Quand on parle 24 Heures du Mans, on parle forcément records. Record de victoires pour un pilote: neuf pour Tom Kristensen, record de victoires pour une marque : Porsche, avec 18 succès-, record de vitesse : Roger Dorchy, avec une vitesse maxi officielle de 405 kmh en 1988 avec une WM P88 Peugeot , record de la distance : 5410,713 km par l’Audi R15+ TDI n°9 Audi Sport North America de Dumas/Bernhard/Rockkenfeller en 2010…Ces records sont toujours en vigueur, et certains d’entre eux le resteront probablement à jamais, comme celui de Roger Dorchy en raison de la configuration du circuit actuel, d’autres vont durer encore quelques belles années et seront difficiles à battre, tels ceux de Tom Kristensen et de Porsche…Le plus menacé est celui de Dumas/Bernhard/Rockenfeller, qui ont eu d’illustres prédécesseurs.
André Lagache et René Léonard,les premiers vainqueurs en 1923, avaient parcouru -sur un tracé très différent de l’actuel circuit- une distance de 2209,536 km avec une Chenard &Walcker Sport. Le cap des 3000 km fut franchi en 1931 par une Alfa Romeo 8C pilotée par Henry « Tim » Birkin et Lord Howe -c’est un record qui a au sens littéral du terme des titres de noblesse, Tim Birkin étant un authentique Baronnet et Lord Howe un véritable Comte- qui bouclèrent une distance de 3017,654 km. Il fallut attendre 1953 pour les 4000 km soient franchis, performance accomplie par la Jaguar C de Duncan Hamilton/Tony Rolt avec 4088,064 km.
Le cap suivant, celui des 5000 km, était alors bien loin. Il fallut attendre l’arrivée de Ford au Mans pour penser que cette barrière puisse être franchie. Jusqu’à la première victoire du constructeur américain, la meilleure marque était détenue par la Ferrari 275 P de Jean Guichet/Nino Vaccarella, victorieux en 1964 avec 4695,310 km, loin des 5000 km donc. En 1966, la Ford GT40 Mk II de Chris Amon/Bruce McLaren était la première à passer le mur des 200 km/h de moyenne sur 24 Heures avec 4843,090 km en 1966. Les 5000 km se rapprochaient.
En fait, le mur explosa dès l’année suivante, et c’est notre sujet du jour. Ford avait donc remis son titre en jeu en 1967 pour ce qu’on présentait à l’époque pour l’édition du siècle et l’expression dans ce cas ne fut pas galvaudée, loin de là.
Nous allons donc revisiter ces 24 Heures 1967 et l’explosion de ce mur des 5000 kilomètres. Nous déclinerons cet exploit en trois parties : Part 1, la genèse, Part 2, les essais et la course Quant à la Part 3, les vainqueurs, Dan Gurney et AJ. Foyt, deux légendes du sport automobile au palmarès incomparable, nous ont fait l’honneur de répondre aux questions d’Endurance-Info. Qu’ils en soient remerciés.
Après l’échec de l’achat de Ferrari par Ford en 1963, Henry Ford décida d’affronter le constructeur italien sur son terrain et donc de remporter les 24 Heures du Mans. En 1964, aucune des GT40 Mk I ne vit l’arrivée, et en 1965 ce fut la même chose pour les Mk I et les nouvelles Mk II.
Ces Mark II furent évidemment améliorées pour l’édition 2016 mais Ford mit également en chantier en 1966 une nouvelle voiture, totalement américaine. Alors que la Ford GT40 Mk II était basée sur le châssis Lola Mk6 conçu par le britannique Eric Broadley, la relève -la Ford GT40 Mk IV- eut pour origine le Prototype J, -J parce que correspondant à l’annexe J de la réglementation-. La conception du Prototype J était due à Roy Lunn (ci-dessous).
La monocoque était aluminium en nid d’abeille, l’aérodynamique avait été revue, avec moins de traînée, la voiture était plus légère, avec environ 50 kg de moins que la Mk II.
La Ford J (ci-dessus) fit sa première apparition au Mans lors des essais préliminaires au mois d’avril 1966, pilotée par Chris Amon et Bruce McLaren, Chris Amon étant le plus rapide de ces Préliminaires 1966, Amon approchant le temps de la pole position de la Mk II de Phil Hill l’année précédente. Toutefois, Ford avait préféré se concentrer sur les GT40 Mk II, tablant sur la fiabilité plus éprouvée des Mk II. Cette décision s’avéra être la bonne, les GT40 Mk II obtenant leur première victoire dès le mois de juin avec un retentissant triplé, Amon/McLaren devançant Ken Miles/Dennis Hulme et Ronnie Bucknum/Richard Hutcherson.
Après cette première victoire et la décision de revenir au Mans l’année suivante, avec une voiture conçue et construite aux Etats-Unis, Ford reprit les essais de la Ford J qui se distinguait visuellement de la GT40 Mk II par un arrière de type ”breadvan”, donc plus relevé. Ces essais avaient lieu en Californie du Sud, sur le circuit de Riverside, par une forte chaleur. A la fin de la longue ligne droite en descente du circuit, la Ford de Miles partit brutalement en tête-à-queue, se retourna, la voiture prenant feu lors du crash. Ken Miles avait éjecté et fut tué sur le coup. Il avait fait une saison 1966 brillantissime, remportant les 24 Heures de Daytona et les 12 Heures de Sebring avec Lloyd Ruby avant de prendre la deuxième place au Mans en 1966. Cette année aurait pu être encore plus brillante si Henry Ford n’avait pas souhaité que ses voitures franchissent ensemble la ligne d’arrivée. Miles était en tête de l’épreuve et sans cette décision et la réglementation des 24 Heures -la Ford n°2 de Bruce McLaren/Chris Amon avait réussi le quatrième temps des qualifications alors que la Ford n°1 de Ken Miles/Denny Hulme avait fait le deuxième et on estima donc que, partie derrière la Ford n°1, la Ford n°2 avait parcouru une plus grande distance , 20 mètres!- Ken Miles (ci-dessous à gauche à côté de Bruce MLaren) aurait remporté la même année Daytona, Sebring et Le Mans -la triple couronne, pour les anglo-saxons-, et aurait réalisé ce triplé historique, ce qui n’a encore jamais été fait sur une seule année.
Après ce décès, Ford décida de revoir le dessin de la voiture. Les premiers essais ne furent pas concluants et on fit appel à l’ingénieur numéro un de Carroll Shelby, Phil Remington (ci-dessous, entre Dan Gurney et A.J. Foyt).
Avec l’aide de plusieurs autres ingénieurs, Remington revit la copie en l’espace d’une semaine . La voiture était plus longue, plus fine et également plus sûre. Le design de Remington se vérifia en soufflerie à Dearborn. La partie arrière, notamment, fut modifiée, avec l’abandon de l’arrière de type ”breadvan”, avec donc une ligne plus basse sur la poupe de la voiture, dans le but d’améliorer l’appui aérodynamique de la Ford dans un souci de stabilité, alors que la vitesse de pointe de la Ford excédait les 350 km/h, le museau étant également légèrement prolongé. Le châssis aluminium de la Ford Mk IV qui succédait donc à la Mk II (la Mk III étant réservée à un usage routier) était en nid d’abeille et la carrosserie en fibre de verre. L’arceau de sécurité étant en acier par souci de sécurité.
Ford MkIV : moteur Ford V8 type 427 en position centrale 6997cm3 ; 500 chevaux à 6400 tours/minute ; couple maxi 637,2Nm à 5000 tours/minute ; vitesse maxi 355 kmh ; boîte de vitesses Ford Kar Kraft à 4 rapports ; poids 1000 kg ; longueur 4,343m ; largeur 1,791m ; hauteur 0,978m ; empattement 2,413m ; suspension doubles triangles AV, simple triangle AR, ressorts, barre anti-roulis ; freins à disque ventilés Ford ; pneus Goodyear.
De son côté, Ferrari n’est pas resté inactif et avait construit la Ferrari P4 -châssis tubulaire acier, carrosserie aluminium, moteur V12 3967 cm3 (3 soupapes par cylindre), 450 chevaux à 8000 tours/minute, pour un poids de 800 kg environ, donc plus légère que les Ford-. La P4 succédait à la P3 dont elle avait un air de famille, une P3 étant convertie en P3/P4. Trois exemplaires de la P4 furent construits en plus de la P3/P4, toutes disposant désormais de l’injection directe ce qui avait permis d’augmenter la puissance du moteur.
Les voitures débutaient aux 24 Heures de Daytona en janvier 1967 et infligeaient un retentissant camouflet à Ford, les Mk II étant largement dominées, les Ferrari signant en triplé avec la victoire de la P3/P4 de Lorenzo Bandini/Chris Amon (passé de Ford à Ferrari et enchaînant donc succès au Mans et à Daytona) devant la P4 de Mike Parkes/Lorenzo Bandini, toutes deux engagées par la Scuderia Ferrari et la 412P du North American Racing Team de Pedro Rodriguez/Jean Guichet.
Les Mk II étant dépassées, Ford lançait la Mk IV dès la manche du Championnat du Monde suivante, les 12 Heures de Sebring où Ferrari ne s’était pas engagé. Un exemplaire -châssis J4- était engagé, confié à Mario Andretti et Bruce McLaren, Ford Motor Company engageant également une Ford GT40 Mk II B pour A.J. Foyt et Lloyd Ruby. Cette première sortie de la Mk IV se soldait par un net succès devant la Mk II de Foyt/Ruby , la voiture ayant également réussi nettement la pole position.
Ford amenait une Ford Mk IV lors des essais d’avril -malheureusement endeuillés par le décès de Roby Weber dans les Hunaudières avec une Matra 630-BRM- , le châssis J3, avec Bruce McLaren au volant. La Ford fut nettement dominée lors de ces essais par les Ferrari P4, Lorenzo Bandini étant le plus véloce en 3’25”500, loin devant McLaren. La Mk IV n’avait pas réellement chassé le chrono, testant un grand nombre de réglages, mais avait démontré une jolie vitesse de pointe dans les Hunaudières. La suprématie des Ferrari en avril était même peut-être une des raisons de leur défaite de juin…
Ford construisit pour la course quatre châssis de Mk IV -construits aux USA, alors que les châssis des Mk II l’avaient été en Grande-Bretagne- et les engagea au Mans sous la bannière de deux teams, Shelby American et Holman & Moody.
On ne revit pas les Mk IV en piste avant Le Mans, l’usine Ford ayant fait l’impasse sur les manches du Championnat du Monde après Sebring et n’étant plus représenté que par des GT40 Mk II privées, comme celles de Ford France ou de Filipinetti. Les Ferrari P4 faisaient le doublé à Monza, Ford battait les voitures italiennes par procuration à Spa avec le succès de la Mirage M1 John Wyer de Jacky Ickx/Dick Thompson, Ford et Ferrari s’abstenant officiellement à la Targa Florio et au Nürburgring, les Porsche 910 en profitant pour s’adjuger les deux victoires. (à suivre…)
Remerciements au service media de Ford ainsi qu’à The Henry Ford ici