L’aventure d’Yves Courage au Mans avait commencé en 1977 -il y a donc 40 ans maintenant, en tant que pilote, aux côtés de Joël Laplacette et de « Segolen ». En tant que constructeur, elle avait débuté en 1982 avec la Cougar C01 Ford Cosworth que Yves avait piloté lui-même avec Michel Dubois et Jean-Philippe Grand.
Le premier podium arriva en 1987 -il y a 30 ans, le 14 juin précisément, Yves Courage franchisant la ligne d’arrivée au volant de la Cougar C20 Porsche qu’il avait pilotée lui-même, associé à Pierre-Yves Raphanel et Hervé Regout
Le constructeur manceau est revenu avec nous sur ce premier podium tout en partageant quelques souvenirs.
Yves, cette course de 1987 et le premier podium, c’est un beau souvenir…
”C’est sûr, mais ça a été une course très, très difficile. Difficile, parce que à l’époque, on ne venait pas au Mans avec autant de matériel que maintenant, et on ne disposait que de deux capots. Et en fait, on en a eu cinq de cassés, ce qui nous a obligé à en reconstruire. De plus, ça nous a mis beaucoup de pression. J’ai été obligé de faire beaucoup plus de gestion que je ne l’avais prévu. La mécanique a beaucoup souffert, il a fallu changer la transmission, ça a été dur.”
C’est pour ça que vous avez conduit en course moins que prévu ?
”Bien sûr, parce qu’il fallait parer au plus pressé, alors que j’avais fait tous les essais, le développement, c’était ma voiture. Il ne faut pas oublier que pendant toute cette période j’avais toute une équipe derrière moi.”
Aux essais, ça s’était plutôt bien passé ?
”Tout à fait, avec le sixième chrono, c’était bien. »
Pierre-Yves Raphanel était très rapide…
”Oui, c’était un très bon pilote, il allait vite, mais je n’étais qu’à deux dixièmes de ses chronos, donc ce n’était pas mal non plus ! Raphanel avait été imposé par Primagaz et un pilote qui n’est pas de la maison, même si c’est le meilleur, l’équipe ne le vit pas de la même façon, mais il a fait quand même du très bon boulot.”
Vous avez eu de très bons pilotes au Mans…
« Oui, des très bons et en plus quelques vrais gentlemen. Derek Bell, par exemple. Il court avec nous au Mans en 1993 et rentre au stand « Désolé, j’ai fait une faute”, et nous on se rend compte qu’on avait un problème avec les freins. N’importe quel pilote aurait dit ”Je ne sais pas ce qui s’est passé”, mais lui, il te dit qu’il a fait une erreur …
Pour moi, le top des pilotes qu’on ait eu, c’est Bob Wollek. Parfait. Avec Andretti, même si la course de 95 laisse des regrets, ça a été une véritable rencontre. Pour nous Andretti, c’était comme une montagne. En fait, il était très, très simple. Par contre, quand il est venu avec son fils Michael, en 1997, on a été surpris. Un pilote comme lui, avec le palmarès qu’il avait, on pouvait penser qu’il avait une totale compréhension de la course, or en fait il était venu pour gagner avec Michael, il avait ça dans la tête. A un moment je lui ai dit : ”Mario, mais on ne peut pas gagner, on n’a pas la puissance des équipes d’usine … »
1995, c’est difficile de vivre avec des regrets. On a vécu des aventures fantastiques, même si on a connu des galères invraisemblables. Quand a commencé en 1982 avec le Cosworth, la voiture avait coûté tellement plus cher que prévu, avec le Cosworth on n’arrêtait pas de casser les moteurs, il n’y avait rien qui tenait, mais quand on a commencé avec Porsche, on a trouvé la fiabilité. »
En 1987, la Cougar C20 avait un 2.8 litres ?
”Oui, il y en avait même qui avaient monté un 2.6l , je crois que peu de gens le savent. En 1985, je fais les essais, je rentre au stand et je dis « dans la ligne droite, ça va drôlement vite…”On avait pourtant fait des essais chez Michelin, mais là j’étais vraiment surpris par la vitesse. On entend à ce moment-là à la radio que Alain De Cadenet, qui courait avec moi et Pierre-Henri Raphanel avait été le plus rapide dans la ligne droite, avec 372 kmh. Le plus vite qu’on ait fait dans les Hunaudières, c’est 395 kmh, bien sûr à l’époque il n’y avait pas les deux chicanes, mais ça allait vite. .. »
En 87, les Porsche officielles avaient un moteur 3 litres ? Le moteur a toujours été un élément important ?
”Oui, plus puissant que le nôtre. Le moteur, c’est essentiel. En 1995, c’est Bob Wollek qui avait monté toute l’opération, c’est comme ça qu’on s’est retrouvé semi-usine, avec des gros moyens usine. Seulement, le programme avait démarré très tard mais on était bien nanti, avec Bob Wollek, Mario Andretti, Eric Hélary, qui n’était pas officiel Porsche, mais qui était très, très bon. Tous ces pilotes-là étaient payés, et bien payés. Mario avait un salaire incroyable. Pour les essais, on avait un moteur usine. Bob Wollek fait deux tours, il s’arrête et dit « c’est pas possible, j’arrive au panneau 300 mètres, et je suis déjà au rupteur depuis un bout de temps… » C’est là qu’on a vu la différence entre un moteur usine et un moteur client, le jour et la nuit. Quand Mario se sort, on n’avait pas à l’époque toutes les images qu’on voit maintenant, sinon ça ne serait peut-être passé de la même façon. 1995, ça reste un grand souvenir, même s’il a fallu gérer pas mal de choses, des querelles de pilote, Bob ne voulait pas laisser le volant à Hélary… ; on était aussi vraiment porté par la foule. Quand Bob s’est arrêté, il était sûr d’avoir gagné la course et quand on lui a dit qu’on était deuxième, il était furieux, il a balancé son casque et ne voulait pas venir sur le podium. Il a fallu que ma femme Liliane aille le chercher, je crois bien que la cérémonie du podium a été retardée… ”
Qui était le plus rapide en 1995 ? Wollek ou Andretti ?
”C’était toujours Bob. Par contre, quand Mario sort c’est parce qu’il était à ce moment-là plus vite que Bob sous la pluie. Bob, il n’allait pas chercher midi à quatorze heures. La course, on l’avait quand même un peu imaginée et pour Bob il n’était pas question de se sortir en début de course. Mario, lui, s’est mis en condition, s’est mis en confiance, trop sûrement. En 1995 et les années précédentes, même après, il fallait réparer et ça prenait du temps. Maintenant, les grosses équipes, même un gros crash, des fois ça ne prend pas beaucoup de temps pour remettre la voiture en piste”.
Pour revenir à 1987, il faut quand même que je raconte une belle histoire. On arrive au Pesage, et il y a quelqu’un de chez Michelin qui vient me trouver et qui me dit que son patron veut me voir. Le patron de Michelin, en 1987, c’était Pierre Dupasquier. Comme dans ces moments-là on est un peu tendu, je me demandais ce qui se passait. Pierre Dupasquier arrive et me dit ”on vous observe, on donne des pneus à des gens qui pourraient facilement se les payer, et on a décidé de vous donner les pneus.” J’étais un peu sidéré, j’avais même les larmes aux yeux, touché par ça . Je crois que des vrais gentlemen comme ça, on en voit de moins en moins. Et il a tenu parole, pas besoin de signer un contrat.”
C’était important, cette fourniture de pneus au Mans?
”Oh oui, je ne me souviens plus de la somme économisée, mais c’était dans l’ordre de la moitié du budget de l’année, c’était énorme, et ça a été vraiment une belle histoire …”