A partir d’aujourd’hui et jusqu’au 23 septembre prochain, le Musée des 24 Heures du Mans présente au public une Exposition qui comblera tous les amoureux de l’endurance et donc des 24 Heures.
Cette exposition « Blue & Orange, une écurie, un mythe », est axée sur une des grandes figures de l’endurance, le britannique John Wyer et des couleurs mythiques Gulf, bleu ciel et orange. Le Président de l’ACO, Pierre Fillon, a ouvert l’inauguration de l’exposition avant de laisser l’accès à l’assistance, sous le regard de John Wyer.
Si John Wyer est surtout connu du grand public au travers des victoires au Mans de la Ford GT40 de Pedro Rocriguez et de Lucien Bianchi et de la Mirage-Ford de Jacky Ickx et Derek Bell, il est aussi un des artisans de la victoire de l’Aston Martin DBR1 de Carroll Shelby et Roy Salvadori au Mans en 1959 -le seul succès d’Aston Martin au Mans-, John Wyer étant à cette époque le Directeur Technique de Aston Martin.
John Wyer rejoint Ford en 1963 et donc participe aux victoires des Ford GT40 et de la Ford MkIV en 1966 et 1967. Ford se retirant de la compétition à la fin 1967, avec le partenariat de Grady Davis, Vice-Président de Gulf Oil, il lance ce qui va devenir une équipe célébrissime, le « John Wyer Automotive Engineering. »
1968, c’est l’année des changements : les voitures de sport peuvent avoir un bloc de 5000 cm3 maximum. John Wyer, qui avait fait courir une Mirage M1 en 1967, remet au goût du jour les Ford GT40, avec le succès que l’on sait – des victoires au Mans et en Championnat du Monde des Constructeurs pour Ford avec des succès des GT40 John Wyer à Brands Hatch, Monza, Spa, Watkins Glen et Le Mans-.
1968, l’année de tous les possibles : ce fut la seule édition disputée en dehors du mois de juin, la seule en automne puisqu’elle s’est courue fin septembre, le report de cette édition ayant été motivée par les événements de mai 1968, mais elle a été aussi remportée par un équipage qui n’aurait pas dû être à bord de la voiture gagnante comme l’a indiqué Fabrice Bourrigaud, Directeur du pôle culture et héritage de l’ACO . A l’origine, la Ford GT40 #11 aurait dû être pilotée par Jacky Ickx et Brian Redman. Ce dernier se fractura un bras à Spa-Francorchamps lors du Grand Prix de Belgique de Formule 1 avec une Cooper-BRM, le 9 juin. John Wyer fit alors appel à Lucien Bianchi pour épauler Jacky Ickx, formant ainsi un équipage cent pour cent belge, mais une semaine avant les 24 Heures du Mans, il se fractura la jambe gauche durant les essais libres du Grand Prix du Canada sur le circuit du Mont Tremblant et fut donc remplacé -au pied levé, sans mauvais jeu de mots…- par le mexicain Pedro Rodriguez, grand chouchou du public manceau.
Ce duo inédit va remporter les 24 Heures et Brian Redman, une des grandes figures de l’endurance, ne remportera jamais la classique sarthoise, tout comme Bob Wollek… Jacky Ickx se rattrapera l’année suivante en donnant aux Ford GT40 John Wyer une deuxième victoire consécutive, associé à Jackie Oliver, avec cent vingt mètres d’avance sur la Porsche 908 de Gérard Larrousse et Hans Herrmann, à l’issue d’une course rentrée dans l’histoire pour son arrivée serrée mais aussi pour son départ -arrêté à l’époque, les voitures rangées devant les stands et les pilotes de l’autre côté de la piste-, Jacky Ickx, opposé à ce type de départ qu’il jugeait dangereux, avait traversé la piste en marchant et non au pas de course comme ses autres concurrents !
Le savoir-faire de John Wyer ne pouvait laisser indifférent Porsche qui lui confiait des Porsche 917 en 1970 et en 1971. Bien que performantes, les 917 K John Wyer ne connurent pas la réussite en 1970 -deux abandons- et les 917 LH, des « longue queue » durent se contenter de la deuxième place de Richard Attwood et Herbert Müller en 1971, Joseph Siffert et Derek Bell abandonnant.
Les 917 bleu et orange sont pourtant rentrées dans l’histoire et l’imaginaire du Mans grâce à Steve McQueen et au film « Le Mans » auxquels l’Exposition rend un vif hommage.
Les Porsche 917 vont être remisées dans les musées en 1972 en raison du changement de la réglementation et John Wyer, désormais Président de l’équipe, a confié les fonctions de Team Manager à John Horsman, autre grande figure du John Wyer Automotive Engineering, et le programme Mirage est lancé. En 1973, les deux Mirage M6 engagées sous la bannière de Gulf Racing Research abandonnent, en 1974 la Mirage GR6 de Mike Hailwood et Derek Bell termine quatrième mais en 1975 la Mirage GR8 de Jacky Ickx s’impose, Derek Bell remportant les 24 Heures pour la première fois et Ickx renouvelant son succès de 1969.
Ce sera la dernière victoire de John Wyer au Mans qui cédera l’année suivante son équipe à Harley Cluxton, mais c’est une autre histoire que Harley Cluxton lui-même racontera aux lecteurs de Endurance-Info dans les jours prochains.
Revenons à l’exposition elle-même..
Six des sept voitures présentées sont aux couleurs Gulf (nous reviendrons plus en détail sur celle qui n’est pas ciel et orange). Plusieurs Mirage sont d’authentiques voitures ayant couru les 24 Heures, dont la mythique Mirage GR8 victorieuse en 1968 -appartenant désormais à la fameuse collection ROFGO de Roald Goethe-, il y a maintenant un demi-siècle, ainsi qu’une Mirage M1, #14 de 1967 pilotée par Dick Thompson et David Piper.
La Mirage GR7 de 1974, derrière la GR8, n’a pas été pilotée par Jacky Ickx et Derek Bell, mais elle a bien couru au Mans en 1974, portant le #12 et conduite par Vern Schuppan et Reine Wisell. La GT40 #6 est une reconstruction.
Deux autres voitures aux couleurs Gulf ne sont pas des Mirage. La Kremer K8 #5 est la première voiture aux couleurs Gulf revenue au Mans depuis le départ de John Wyer. Derek Bell était au volant, comme en 1975, avec Robin Donovan et Jürgen Lassig. Si le bleu de cette K8 est franchement plus foncé que le « Blue & Orange » traditionnel, c’est probablement, selon Fabrice Bourrigaud, le cicerone de la soirée, parce que la première GT40, aux USA, était de cette teinte plus marquée et que le bleu ciel n’a été adopté que pour la venue au Mans. La McLaren F1 GTR de 1996, appartenant elle aussi à la collection ROFGO, a terminé cinquième de cette édition 1996 pilotée par Lindsay Owen-Jones, Pierre-Henri Raphanel et David Brabham.
La présence au centre de salle d’exposition d’une Porsche 917 LH (Lang Hecq pour Longue Queue en allemand) aux couleurs également mythiques du Martini Racing peut paraître totalement incongrue dans le contexte. Cette Porsche #21, don de Porsche au Musée des 24 Heures, a pourtant toute sa place dans cette exposition. Si les noms de Vic Elford et de Gérard Larrousse figurent sur la carrosserie, ils ne l’ont pourtant pas pilotée. Cette 917 LH -dont trois exemplaires seulement subsistent, celle du Musée des 24 Heures, une autre au Musée Porsche dans une livrée identique à celle du Musée des 24 Heures car étant la « vraie » voiture, et la troisième aux USA- était en fait une Porsche 917 John Wyer Automotive Engineering qui, elle, a bien couru en 1971 au Mans, pilotée par Derek Bell et Joseph Siffert, avec le #17, la voiture ayant abandonné. Fabrice Bourrigault nous a montré quelques traces orange étant restées sur la carrosserie. C’est ce qui explique le fac-similé du flanc droit de la Porsche #17 aux côtés de la Porsche 917 #21.
Si les voitures attirent bien évidemment les regards, une autre figure est également bien présente, celle de Steve McQueen, le film « Le Mans » et son personnage de Michael Delaney ayant fait popularisé les Porsche Gulf à jamais. Dans la petite salle de cinéma attenante à l’exposition, un montage de scènes du film et de séquences d’archives fera rentrer les spectateurs dans la réalité de la course.
L’acteur américain est également présent en grandeur nature dans la salle de l’exposition, dans sa combinaison du film et devant la Porsche 917 #20 qu’il pilotait dans le film.
Sont également mis en valeur par un grand panneau les hommes clés du succès intemporel des couleurs Blue & Orange : John Wyer, bien évidemment, Grady Davis, le Vice-Président de Gulf Oil, David Yorke, Team Manager qui possédait un sens inné et très aigu de la stratégie de course et qui a contribué grandement à plusieurs victoire des voitures ciel et orange, notamment celles des 24 Heures 1969, et enfin, last but not least, John Horsman, qui a accompagné pendant de longues années John Wyer, tout d’abord chez Aston Martin puis chez John Wyer Automotive dont il a assumé la responsabilité technique du programme Mirage à partir de 1972 avant de jouer un rôle important dans la cession du team à Harley Cluxton en 1976. Ingénieur de très grand talent, le succès des Porsche 917 lui doit beaucoup. Les pilotes la jugeaient en effet très difficile à conduire. John Horman, comme l’a expliqué Fabrice Bourrigaud -qui annonçait la présence de John Horsman lors des 24 Heures 2018-, a noté lors d’essais, la présence de nombreux impacts de moucherons sur le capot avant, mais aucun sur le capot arrière !! Il a retravaillé l’aérodynamisme et notamment le capot arrière. La voiture devenue plus stable, les pilotes gagnèrent d’un seul coup trois secondes au tour ! John Horsman communiqua ses modifications à Ferdinand Piech chez Porsche qui les adopta aussitôt, ce qui aboutira sur les victoires au Mans en 1970 et 1971.
Autre panneau, celui des pilotes John Wyer, avec dix pilotes d’exception dont cinq vainqueurs sous les couleurs Gulf : Pedro Rodriguez, Lucien Bianchi, Jacky Ickx, Jackie Oliver et Derek Bell. Les cinq autres, s’ils n’ont pas gagné au Mans, n’en ont pas moins un palmarès important : David Hobbs a terminé troisième en 1969 associé à Mike Hailwood, le multi champion du Monde de Moto, Brian Redman a tout gagné en dehors du Mans (3 fois à Daytona, 2 fois à Sebring, à Spa, Monza, au Nürburgring et bien d’autres) mais la réussite l’a fui au Mans où il n’a pas fait mieux en quatorze courses que deux cinquièmes places et a dû se contenter de deux victoires en Groupe 5 avec des Porsche 935, et ce bien qu’il ait été en tête des 24 Heures à plusieurs reprises…
Bien d’autres éléments dignes d’intérêt sont dans l’exposition, notamment un joli diorama, un texte de Hervé Poulain sur les couleurs Blue & Orange, des détails techniques sur la Ford GT40, sur les voitures exposées, bien d’autres choses encore, mais mieux que des discours, il vaut mieux aller les voir sur place.
En sortant de l’exposition, comme par magie, une grande fresque vous plonge directement sur la ligne droite des Tribunes, avec un bond d’une quarantaine d’années en avant..