Tout juste auréolé d’un titre mondial en WEC dans la catégorie GTE-Am, François Perrodo fait partie des gentlemen drivers les plus respectés du paddock. Vous allez nous dire que le Breton n’a rien à faire dans notre enquête sur les accidents, lui qui fort heureusement n’a pas connu de gros choc sur les circuits. C’est tout à fait vrai mais Endurance-Info a voulu revenir avec François Perrodo sur ses 24 Heures de Daytona 2015.
Cette année-là, le Français roulait déjà pour AF Corse sur une Ferrari 458 Italia en compagnie de son pote Manu Collard, Toni Vilander et Gianmaria Bruni. De quoi réaliser un sacré rêve pour un pilote qui roulait depuis peu sur la scène internationale. Malheureusement pour lui, l’aventure floridienne s’est vite terminée. Après un tête-à-queue sur le circuit routier et alors qu’il était arrêté au milieu de la piste, François Perrodo repart sans voir arriver une Aston Martin. L’accrochage, diffusé en direct à la télévision, a pointé du doigt le rôle des gentlemen. Les réseaux sociaux ont été sévères avec le pilote AF Corse qui n’a jamais caché son erreur. Si son physique n’a pas souffert, ce n’est pas le cas du moral.
On est préparé pour disputer les 24 Heures de Daytona avec Collard, Bruni et Vilander quand on est un gentleman ?
“J’ai eu cette proposition en ayant pleinement conscience de la pression qu’il y avait tout autour. Manu m’avait clairement dit que les petits plats avaient été mis dans les grands. Amato (Ferrari, patron d’AF Corse, ndlr) m’avait rassuré. Je sortais d’une saison en WEC chez ProSpeed avec mes amis Manu (Collard) et Matthieu (Vaxiviere). C’était ma troisième année en sport automobile et j’étais encore assez loin dans tous les domaines. J’avais découvert AF Corse lors d’une course WEC à Bahrain avec Matt Griffin et Manu. Je fais le switch pour Ferrari et je me dis que Daytona allait me servir d’entraînement.”
Les essais de Daytona vous avaient permis de prendre vos marques ?
“Oui et non car j’ai détruit un châssis au Roar Before the 24. Le dernier, seul Gimmi était absent. A la sortie de la chicane Bus Stop, je tape le mur et le châssis est plié. Rien que cette sortie ne met pas en confiance.”
Vous abordiez tout de même la course sereinement ?
“Je voulais tout faire pour ne pas ralentir mes coéquipiers et j’ai clairement échoué car notre course s’est arrêtée très tôt. Mon premier relais n’avait pas été simple car j’avais mis du temps à être dans le rythme. L’objectif était d’être à 2 secondes de mes coéquipiers, ce qui était le cas. J’ai le défaut de ne pas être assez incisif dans le trafic. Je suivais une Porsche GTD dans le Turn 3 et je pensais que son pilote m’avait vu. Il y a eu un léger contact et je suis parti en tête à queue en me retrouvant au milieu de l’épingle à 90°. La première chose qui m’est venue à l’esprit est de redémarrer. Je lève la tête et mon champ de vision est gêné par le muret. Au moment de repartir, l’Aston Martin arrive et le choc est inévitable. Je n’ai pas une seule excuse. C’est la fin de course pour les deux voitures.”
Vous n’étiez pas blessé ?
“Physiquement non, mais quand tu reviens dans le paddock, c’est le ‘walk of shame’. Tu regardes tes chaussures et toute l’équipe Aston Martin était furax contre moi. J’ai encore le souvenir de Christina Nielsen qui me hurle dessus alors que moi je suis penaud. Je m’excuse platement, mais le mal est fait. Si tu n’es pas prêt à accepter ce genre d’incident, alors tu ne fais pas de course automobile.”
Vos coéquipiers ont été durs avec vous ?
“Manu est mon ami donc c’est passé. Toni et Gimmi ont eux aussi été compréhensifs. En revanche, du côté de Ferrari et de Coletta, c’était un peu plus tendu. Mon début de saison est cauchemardesque. J’ai rejoué la scène tellement de fois. Cela restera une leçon !”
Vous avez une activité professionnelle très énergivore. A un moment, vous ne vous dites pas de tout arrêter ?
“Je ne me suis jamais dit que j’allais arrêter le sport auto, je me dis juste que j’avais eu raison de penser que c’était trop. Avec le recul, j’aurais dû écouter mon instinct même si j’aime ce genre de projet. Même aujourd’hui, je ne suis pas certain d’accepter un tel défi. On m’a encore proposé il y a peu de disputer les 24 Heures de Daytona en GTLM sur une Porsche 911 RSR avec des professionnels. J’ai refusé. En 2015, la chose positive était que la saison ne débutait pas avant avril, donc cela m’a permis de prendre du recul.”
Les commentaires n’avaient pas été tendres, notamment sur les réseaux sociaux…
“Je n’ai pas le moindre réseau social, mais je me souviens d’avoir pas mal de choses négatives après la sortie. J’ai eu la chance qu’un article d’Endurance-Info où je m’expliquais ait été traduit aux Etats-Unis sur Sportscar365. Tu ne peux pas ne pas regarder les commentaires. Avant ces deux articles, j’étais vu pour beaucoup, notamment aux Etats-Unis, comme un loser. L’article a bien aidé à rectifier le tir même si j’ai encore en mémoire un papier écrit par Stefan Johansson où j’en ai pris pour mon grade. Quand cette même année deux Porsche officielles s’accrochent, tout le monde trouve cela normal. D’une manière générale, quand il y a un gentleman dans le coup, c’est de sa faute.”
Le regard sur les gentlemen a tout de même changé ?
“Oui et dans le bon sens du terme. Des Christian Ried, Ben Keating ou Paul Dalla Lana ont bien aidé à cela. Même chose pour Egidio Perfetti et Salih Yoluc. Un gentleman arrive tardivement en sport auto.”
Sur un circuit, vous arrivez à faire abstraction de votre travail quotidien ?
“C’est impossible d’être 100% focus sur le racing. C’est la même chose pour les pros, mais eux passent leur temps sur les réseaux sociaux (rire). J’appelle cela de la pollution mentale. La pression du travail quotidien reste présente. Pas de téléphone entre les sessions, mais je travaille le matin et le soir. Si ça ne va pas au bureau, ça revient vite au galop. Il m’est déjà arrivé de gamberger sous régime de full course yellow.”