Quel visage aura la discipline Endurance dans dix ans, soit en 2027 ? Dix ans, c’est moins de 4000 jours, donc on va considérer que c’est déjà demain. Est-ce que les moteurs thermiques et le bruit animeront toujours la flamme des passionnés ? A l’heure où les constructeurs prennent le pari de l’électrique pour des courses en ville qui relèvent autant de l’entertainment que du sport, beaucoup de questions se posent sur l’avenir de l’Endurance, sans pour autant tomber dans le défaitisme. Il faut juste prendre les bonnes décisions pour la pérennité d’une discipline qui est régulièrement en pointe ces dernières décennies. Si en 2007 on vous avait dit que des courses de monoplace électriques allaient être organisées dans les capitales du monde avec un changement de voiture durant la course, vous auriez eu du mal à le croire.
A trois ans près, 2027 c’est quasiment ce sur quoi ont planché les designers du concours Michelin Challenge Design Le Mans 2030. Beaucoup sont partis volontairement dans de grands délires bien loin de la réalité. A titre d’exemple, l’Embracer P1 Phenom Hybrid (la photo de Une), conçue par le Brésilien Carlos Eduardo de Carvalho, qui met en avant le Michelin TireWing qui remplace la traînée aérodynamique en traînée induite, générant de l’appui même à basse vitesse. Cette LM P1 semble plus proche de tourner dans un blockbuster américain que de rouler dans les Hunaudières.
De 2007 à 2017, de l’eau a coulé sous les ponts et de bien belles choses ont été faites. On a un Championnat du Monde d’Endurance de la FIA, des séries Le Mans continentales qui se portent bien, une unification ALMS/GRAND-AM, le GT3 et le LM P3 qui connaissent un succès mondial et plus de dix marques qui se tiennent dans une seule seconde au sein du championnat Blancpain. Alors pourquoi tirer la sonnette d’alarme me direz-vous ?
On ne peut pas dire que la conjoncture économique soit favorable et le sport automobile traditionnel devient de plus en plus cher. En dix ans, beaucoup d’équipes ont purement et simplement disparu. Par chance, d’autres sont arrivées. Un petit décompte s’impose :
ELMS (Monza 2007) : 47 engagés (11 LM P1, 10 LM P2, 7 GT1, 19 GT2). Sur les 123 pilotes au départ, 81 ne roulent plus et 32 ont une présence à l’international. Il ne reste que 9 équipes encore en activité. Dix ans plus tard, trois roulent encore en ELMS (Villorba, Proton, JMW).
FIA WEC (2012) : 21 équipes au départ, 6 sont encore en FIA WEC cette année (Toyota, Signatech, Rebellion, AF Corse, Proton, AMR) et 10 équipes n’existent plus.
Blancpain Endurance Cup (2011) : 46 équipes, 5 sont encore présentes cette année (AKKA-ASP, WRT, Black Falcon, AF Corse, RJN) et 21 ont disparu.
FFSA GT (2007) : 21 équipes, 2 sont encore là en 2017 (IMSA Performance, Sport Garage via CMR) et 11 ont disparu.
FIA-GT3 (2007) : 15 teams, 42 autos, 84 pilotes. 12 des 15 teams n’existent plus et 12 des 84 pilotes roulent encore régulièrement. Le seul de l’effectif qui a gravi les échelons est Fred Makowiecki.
FIA GT1 (2010) : Sur les 12 teams présents, 8 ont plié bagage. Il reste Reiter, Phoenix, SRT/DKR et All Inkl.
Le constat est le même de l’autre côté de l’Atlantique avec 19 des 35 teams présents en ALMS qui ont fermé et 22 sur les 46 en GRAND-AM.
C’est l’éternel recommencement. Ce qui est valable maintenant l’était certainement dans les années 60/70/80, sauf qu’à cette époque le sport automobile était encore bien vu. Les spectateurs se déplaçaient en masse pour approcher des pilotes et des autos. C’est toujours le cas dans les compétitions nationales où les spectateurs restent proches des acteurs, mais nettement moins sur la scène internationale. Combien de minots (moi le premier) sont allés aux 24 Heures du Mans avec leurs parents en approchant les voitures au sein d’un parc coureurs garni ? Si j’étais resté tranquillement dans un gradin, pas sûr que j’aurais eu la fibre Endurance et que vous liriez ces lignes aujourd’hui. Oui, j’ai eu la chance de me faire prendre en photo tout gamin par mon père où j’étais à moitié assis sur le capot d’une Porsche 962. Maintenant, je suis accrédité média pour vous faire vivre les 24 Heures du Mans au plus près.
Est-ce qu’un minot va développer la passion de l’Endurance de nos jours ? Pas facile à dire car il n’a pas accès aux coulisses. J’ai en mémoire d’avoir suivi tout gamin un changement de moteur d’une Rondeau avec mon père sous une bâche dans le parc coureurs. Je n’ai rien raté de l’exercice si bien que j’avais l’impression que c’est moi qui avait changé le moteur sachant en plus que Jean Rondeau était venu me serrer la main. Résultat, une fois rentré chez moi, j’ai écrit une lettre à Jean qui m’a renvoyé un tas de choses (posters, autocollants, autographe). C’est peut-être là qu’est née ma passion de l’Endurance. En juin dernier, j’ai eu la chance d’aller diner au Mans chez Lucien Monté, l’un des premiers compagnons d’armes de Jean Rondeau et je me suis souvenu de cette anecdote du changement de moteur où Lucien était forcément présent, les mains dans le cambouis. Des anecdotes comme celle-ci, j’en ai des dizaines en mémoire.
Cette année, en plus de mon accréditation, j’avais huit autres pass pour avoir accès aux différents stands et structures sous peine de me faire refouler. Pendant ce temps, le minot essaie de se frayer un chemin durant un pitwalk et il retourne derrière le grillage juché sur les épaules de son père pour voir en découdre deux constructeurs LM P1 se battre pour la victoire, qui plus est avec quasiment les mêmes couleurs.
Je ne pense pas qu’il faille blâmer les organisateurs de ce changement qui suit l’évolution d’une vie qui devient de plus en plus filtrée. Les gens se permettent tout, ne respectent plus rien et volent le premier objet dès qu’ils le peuvent. Il va pourtant falloir faire aimer le sport automobile à la nouvelle génération. La question est de savoir comment.
Les facilités pour suivre les courses se sont nettement développées au cours des dernières années avec la possibilité de regarder la quasi totalité des meetings en live streaming. Internet fait qu’on a accès à tout sans se déplacer.
Pour avoir eu accès récemment aux chiffres réels de fréquentation de trois circuits, on peut vous dire qu’il y a de quoi tomber de sa chaise en les comparant avec ceux donnés par les organisateurs. Donner de faux chiffres ne sert à rien et cela finit par se voir. Le problème est le même avec le nombre de médias accrédités. Je reste toujours stupéfait que moins de deux heures après l’arrivée de la plus grande course d’endurance au monde, la salle de presse est devenue quasiment déserte. On accrédite qui ? Pour faire quoi ? Pour quelle promotion de l’évènement ? D’une façon générale, on a dans les salles de presse 90% de photographes et 10% de journalistes. Quand je me souviens comment on a ramé pour débuter l’aventure Endurance-Info il y a plus de dix ans…
Le Mans et le FIA WEC restent les têtes d’affiches de l’Endurance. En fin de saison, Porsche va prendre la poudre d’escampette et les organisateurs vont devoir réfléchir à la formule pour le futur : séduire de nouveaux constructeurs, contrôler les coûts, garder un intérêt technologique. A court terme, la salut passe par le GTE où cinq marques sont présentes, soit 10 voitures. On attend une possible course qualificative pour mettre en avant des GTE qui restent actuellement la quatrième catégorie du championnat. Cette solution ne semble pas ravir une majorité de pilotes. Quand on pense que tout le monde fustigeait le World GT1 et ses 24 GT1 en piste. La solution GTP ? Des GT et hypercars qui font rêver les gens. On s’emballe certainement un peu trop. Désolé, mais les prototypes actuels ne font pas rêver les fans. De plus, il est loin le temps des petits artisans qui pouvaient tenter de rivaliser avec les gros et qui apportaient une touche d’exotisme. Tout est cloisonné : trois châssis LM P2 (le 4e est peu présent), moteur unique. Le constat est le même en LM P3.
La catégorie LM P1 est en pleine mutation et là aussi il va falloir trouver le règlement qui attire sans faire dans la démesure financière et le développement à outrance. Porsche est bien gentil de nous dire avant de partir qu’ils auraient aimé plus de concurrence, mais Porsche a fait fuir toute initiative compte tenu du budget dépensé. Ferrari a communiqué en son temps étudier une présence en LM P1 en remplacement de la F1. Ferrari a surtout fait de la politique. Tout mettre sur le dos des organisateurs est trop facile car édicter un règlement n’a rien d’évident. Il faut garder les équipes présentes et en faire venir d’autres. L’alchimie est certainement loin d’être évidente surtout si on y ajoute un côté politique. Il faut séduire sans refouler tout en ayant une dose de fermeté. Vous pouvez aussi jouer les gros bras et imposer votre règlement. Sauf que si personne répond présent, votre règlement est juste bon à brûler. Le monde idéal n’existe pas et le règlement idéal non plus. Il faut donc être consensuel et on fait confiance à la FIA et l’ACO pour cela. Faire reposer un championnat mondial où roulent une majorité d’équipes privées et sans aucun retour financier n’est pas simple. L’ILMC avait toute sa raison d’être en son temps.
Le DPi peut être une solution pour faire venir du monde à un coût maîtrisé. Aux Etats-Unis, les DPi font cause commune avec les LM P2, et en Europe, elles seraient les LM P1 non hybrides. Il faut donc les rendre plus rapides que les LM P2. Si Wayne Taylor Racing veut venir au Mans avec sa Cadillac DPi-V.R, il faudra apporter des modifications à l’auto si les DPi roulent en LM P1 non hybride. En même temps, on nous dit que la DPi est la soeur de la LM P2 mais combien de pièces sont communes avec la Dallara P217 ? De plus, une DPi doit rappeler un modèle routier de la marque. Pour l’Acura, il va falloir se creuser la tête pour trouver le rappel.
Trouver des partenaires pour faire de l’Endurance devient compliqué et cela touche tout le monde. Vous avez beau avoir un nom, de l’expérience, des résultats, rien n’est gagné. Philippe Sinault n’a pas pu sécuriser une 2e LM P2 pour la fin de saison. Tout de même un comble quand on connaît le pedigree de l’équipe. Olivier Panis et Fabien Barthez n’ont pas réuni les fonds pour aligner un second châssis en ELMS, Yvan Muller n’a pas appuyé sur le bouton du LM P2, Sébastien Loeb Racing n’est pas revenu en LM P2 malgré le souhait de poursuivre et ART Grand Prix n’a pas été pris sous l’aile d’un constructeur en GT3. Que des grands noms où vous vous dites que trouver des partenaires est plus facile. Que nenni ! Ce sont avant tout des entreprises qu’il faut faire vivre. On l’a dit et on le redit, il faut prendre soin de toutes ces équipes privées car sans elles, on reste tous à la maison et Endurance-Info disparaît. C’est la même chose pour les gentlemen. Sans eux, le château s’écroule dans le monde entier.
Dès que les constructeurs arrivent, c’est la course à l’armement. On met des réceptifs, on dépense toujours plus et on éloigne le public. La base de l’Endurance, c’est de pouvoir aller voir qui vous voulez quand vous voulez et où vous voulez. J’ai en souvenir une interview du patron de Honda Racing à Suzuka en 2013 dans la cadre du SUPER GT. J’avais rendez-vous à 14 heures, on se retrouve derrière le stand et on s’assoit chacun dans une chaise pliante à un mètre du stand parmi les nombreux fans japonais, le tout sous une température de 40°C. Je lui glisse avec le sourire ‘mais vous n’avez pas de réceptif ?’ Sa réponse, avec un large sourire : ‘Un réceptif ? On vous laisse ça à vous les européens. Nous, l’argent on le met dans les voitures’. Voilà voilà… Le Japon a su garder l’attrait du sport automobile pour séduire la jeune génération avec des pitwalks réservés uniquement aux enfants. Il faut recréer l’envie. On allume bien la Tour Eiffel pour l’arrivée d’un joueur de football à Paris et on nous fait croire que les Jeux Olympiques sont quasiment gratuits.
Le rallye a gardé cette proximité avec le public pour un spectacle qui reste gratuit. On ne doute pas une seconde que le FIA World RX va faire le plein à Lohéac. On ne peut pas dire que l’automobile n’intéresse plus. Tout le monde se rue sur les meetings historiques, aussi bien les concurrents que les spectateurs. Non seulement les autos font rêver, mais elles restent accessibles pour le plaisir des yeux et les propriétaires sont souvent ravis de vous faire partager leur passion.
La question va aussi se poser pour les jeunes qui voyaient des débouchés pour décrocher un contrat de pilote officiel. Le Rookie Test de fin de saison FIA WEC est une très bonne idée. Mais quels sont les débouchés ? Paul-Loup Chatin a fait un test chez Audi. Et maintenant ? A 19 ans, Thomas Laurent a toute sa légitimité pour séduire un constructeur. Mais lequel ? Les constructeurs GTE ont leurs pilotes, personne à l’horizon en LM P1, les pilotes Audi ont dû retrouver une place et les pilotes Porsche LM P1 vont devoir en faire autant sous peu.
On ne va pas faire dans la nostalgie car il faut vivre avec son temps mais retourner en Argentine à San Luis pour voir évoluer des GT1 est de l’histoire ancienne, tout comme refaire le monde assis sur une chaise de camping avec Philippe Dumas sur les marches du palais présidentiel de l’Azerbaïdjan. En 2027, on vous racontera les histoires de 2020 et on espère qu’elles seront toujours aussi intéressantes…