Le rideau est tiré sur les 24 Heures du Mans 2018 avec une victoire Toyota. Pour connaître les champions FIA WEC, il faut attendre les 24 Heures du Mans 2019, fin de la Super Saison. Avant de se tourner vers la 87e édition qui devrait avoir un plateau très proche de celui de cette année, retour sur 2018.
Les mauvaises langues diront que Toyota a gagné les 24 Heures du Mans 2018 sans le moindre panache car sans concurrence. C’est un peu réducteur car une course reste une course. Audi a gagné à plusieurs reprises sans concurrence et personne ne s’est plaint. Une victoire se construit sur la piste. La marque japonaise avait 388 tours pour se faire piéger : panne mécanique, sortie de piste. Dans dix ans, on se souviendra que Toyota a remporté les 24 Heures du Mans 2018. Cette victoire est amplement méritée quoi qu’on en dise. Le constructeur japonais n’est en rien responsable du départ précipité de Porsche.
On ne peut pas dire que cette édition 2018 restera dans les annales sur le plan du suspense. Les catégories LMP1, LMP2 et GTE-Pro ont vite dessiné un vainqueur. Pour la victoire au général, on savait de toute façon que le Toyota Gazoo Racing partait avec un net avantage sur la concurrence, et sans réajustement de l’EoT, il en sera de même en juin 2019. Les 24 Heures du Mans 2021 devraient permettre de voir un nouveau visage d’une catégorie reine dont on ne connait pas encore le nom. Les constructeurs pourront dépenser 200 millions mais celui en dépensera deux fois moins aura les mêmes chances de s’imposer, ce qui n’est pas le cas maintenant. Le curseur entre hybride et non hybride n’est pas facile à trouver sachant que les moyens financiers sont loin d’être les mêmes. On peut critiquer ce que l’on veut mais croire que les privés pouvaient être au niveau des LMP1 hybrides était utopique. Calim Bouhadra, vice-président de Rebellion, a été clair à l’arrivée : “Nous sommes vainqueurs de cette course contre la montre maintenant je pense qu’il y a de grandes leçons à en tirer de la part de l’ACO et du WEC sur ce qu’il attendent d’une équipe privée comme la nôtre pour le futur. Je pense qu’il y a de grosses décisions à prendre de leur part. Dans le cas contraire, nous saurons les prendre.”
Si les Toyota ont déroulé, les pilotes ont tout de même été réprimandés à plusieurs reprises pour vitesse excessive sous régime de ‘slow zone’. Il n’aurait pas fallu que Toyota se retrouve face à Audi ou Porsche car le temps perdu aurait été dur à rattraper. Le seul bémol que l’on peut mettre à cette victoire reste l’attention médiatique faite autour de Fernando Alonso, qui a fait une très belle prestation. Quand on lit les messages sur les réseaux sociaux et dans les médias, on est en droit de se demander si l’Espagnol n’a pas roulé en solo durant 24 heures même s’il a été très bon. Alonso a bouclé 130 tours, soit 1 de plus que Buemi et Nakajima qui ont eux aussi remporté les 24 Heures du Mans, ne l’oublions pas.
Quand les choses ne vont pas, on le dit, mais quand elles vont bien, on se doit aussi de le dire. Fernando Alonso a été épié, guetté, chassé durant toute la semaine. Le service presse de Toyota a amplement facilité l’accès aux médias à son pilote vedette par différents moyens (groupe WhatsApp, point presse dédié, réactions à chaud). Pour clôturer le sujet, Fernando Alonso a toujours répondu aux questions sans se défiler.
On a beaucoup parlé de Toyota mais la belle prestation de toutes les équipes privées est à souligner. Rebellion Racing et ORECA n’ont rien à se reprocher, SMP Racing et ART Grand Prix ont rempli leur mission, CEFC TRSM Racing et Ginetta ont bien figuré malgré le manque de roulage avant Le Mans. ByKolles Racing et DragonSpeed ont abdiqué en cours de route. On ne savait pas trop quoi attendre de ces nouvelles LMP1 sur 24 heures comme on ne savait pas trop quoi attendre des nouvelles LMP2 en juin 2017. Dans les deux cas, le positif l’a emporté. Si on devait décerner nous-mêmes un trophée Spirit of Le Mans, on le donnerait à Alexandre Pesci pour l’implication sans faille de Rebellion en Endurance et au Mans. Pour rester chez Rebellion, il faut aussi souligner la nouvelle belle performance de Thomas Laurent qui une nouvelle fois a fait des étincelles et qui décidément brille dans tout ce qui a quatre roues. On serait curieux de le voir en GT3 dans une bonne équipe ou dans le baquet d’une Formula E, ne serait-ce que pour un test.
Le bilan de la catégorie LMP2 est difficile à faire puisque le classement reste suspensif suite à la disqualification du G-Drive Racing et TDS Racing. L’appel donnera le résultat. La catégorie LMP2, la seule à ce jour sans BOP, est celle où on peut avoir une idée plus précise du potentiel des uns et des autres. G-Drive Racing a survolé les débats avec certainement l’équipage le plus compétitif du plateau. La très belle prestation d’Andrea Pizzitola est à souligner. Signatech-Alpine a su tirer son épingle du jeu en faisant une course solide. Panis-Barthez Compétition, IDEC Sport Racing et DragonSpeed ont de quoi nourrir des regrets, mais ces trois équipes ont mis le feu à la catégorie sans avoir eu la récompense d’un podium, contrairement à Graff-SO24 qui peut être fier de sa position finale. Le Mans, c’est aussi des équipes avec moins de budget qui peuvent être sous les feux des projecteurs. Du côté des châssis, ORECA a trusté le haut de l’affiche mais les Ligier n’ont pas démérité, bien loin de là. Il faut aussi tirer un grand coup de chapeau à Larbre Compétition et Algarve Pro Racing qui faisaient confiance à un équipage gentlemen. Chez TDS Racing, François Perrodo a encore franchi une étape et comme le vin, le gentleman qu’il est se bonifie avec le temps.
Sur le papier, on savait que la catégorie GTE-Pro serait certainement la plus disputée malgré le fait d’une nouvelle BOP à l’issue des essais qualificatifs. Gimmi Bruni a mis tout le monde d’accord en essais avec un chrono assez incroyable. Le début de course a été animé mais un safety car a anéanti toute bagarre pour la gagne. Le feu rouge à la sortie des stands lors de la première neutralisation avec une bonne partie du plateau bloquée au feu a ôté tout suspense. De 2.397s à l’issue de la 2ère heure, l’écart entre les deux premiers est passé à 0.741s dans l’heure suivante avant de passer à un tour… jusqu’à l’arrivée. Vraiment dommage que ce feu soit resté rouge. Porsche et Ford ont survolé les débats. BMW a fait illusion en début de course, Ferrari est toujours resté en retrait, Corvette a souffert et Aston Martin n’a rien prouvé. Pourtant, on ne peut pas crier au scandale sur la BOP.
La seule vraie bagarre a concerné la Ford GT de Sébastien Bourdais et la Porsche 911 RSR de Fred Mako le dimanche matin. Les avis sur ce duel divergent mais n’oublions pas que l’on fait du sport automobile. Les vidéos qui tournent en boucle ne montrent pas la bagarre en totalité et la direction de course ne s’y est pas trompée avec aucune pénalité infligée. Il n’y a pas eu le moindre contact entre deux pilotes professionnels. L’objectif des pilotes n’était pas de se bloquer mais bien d’ôter toute aspiration. N’oublions pas qu’on fait du sport automobile, pas une course de caisses à savon. De nos jours, tout est réglementé, on ne peut plus rien faire et on crie au scandale pour un oui ou pour un non. Le ‘Motorsport is dangerous’ est de moins en moins présent. On ne doit pas tout accepter mais dans ce cas, il n’y a pas de quoi se plaindre. La bagarre a été virile. Les actions en piste ont été rares et ce duel Ford/Porsche a été vu près de 80 000 fois sur YouTube. Tout le monde se souvient de la bagarre Aston Martin/Corvette dans le dernier tour en 2017. En 2018, on retient la victoire de Toyota et ce duel Bourdais/Mako.
La catégorie GTE-Am a vite tourné à l’avantage de Porsche mais restait à savoir quelle 911 RSR allait s’imposer. Le Dempsey-Proton Racing a su sortir du lot. L’homme fort de la catégorie a été Julien Andlauer. A 18 ans, le champion de la Porsche Carrera Cup France a été flamboyant. La France peut compter sur Thomas Laurent en prototype et Julien Andlauer en GT. Les deux sont doués, rapides, bien éduqués avec de vraies qualités humaines. On entendra parler de Julien Andlauer à l’avenir, cela ne fait aucun doute. Pour le reste, il faut saluer la prestation de Spirit of Race, Keating Motorsports, Ebimotors et JMW Motorsport.
Cette 86e édition des 24 Heures du Mans a été très calme sur le plan des actions en piste, c’est le moins qu’on puisse dire. Le Mans doit rester un laboratoire technologique tout en surveillant que les règles ne plombent pas le spectacle et la stratégie. Entre EoT, BOP, nombre de tours réglementaires à boucler avant de ravitailler, durée des ravitaillements, on finit par ne plus savoir quelle est la meilleure auto et quelle équipe sort vraiment du lot. Les équipes doivent donc optimiser chaque point du règlement pour être devant.
Les contours du futur règlement dévoilés au Mans ont ravi l’ensemble du paddock. Il faut maintenant en connaître les détails. Que vont faire les constructeurs présents en GTE ? Mixer LMP/GTE ? Se concentrer sur une des deux catégories ? Quelle sera la collaboration avec l’IMSA ? Quel avenir et quels chronos pour les LMP2 ? On parle de 3.20 mn au Mans alors qu’une LMP2 tourne en 3.27. En attendant juin 2021, Toyota va certainement tout faire pour garder définitivement le trophée au Japon…