Aussi à l’aise en rallye qu’en GT, Christian Loriaux a donné naissance à de nombreuses autos. Le directeur technique de M-Sport a longuement travaillé sur la Bentley Continental GT3 pour concocter une nouvelle version bien plus aboutie et fine que l’ancienne. En parallèle de ses activités avec M-Sport, l’ingénieur belge planche, sur son temps libre, sur un règlement GT sans aucune BOP. Toujours prêt à faire partager sa passion, jovial, sans filtre, Christian Loriaux a fait le bilan avec nous sur la première saison de la nouvelle Continental GT3 tout en nous détaillant son règlement personnel.
Quel bilan tirez-vous des débuts de la nouvelle Continental GT3 ?
“Faire débuter une nouvelle GT3 est toujours un challenge. Nous avons connu quelques petits pépins de fiabilité durant l’année qui nous ont posé des soucis en qualifications. Il y a eu plusieurs courses où nous sommes partis de loin en finissant très bien. Nous pouvions gagner au Paul Ricard et à Spa. On ne peut pas se plaindre de la performance. Bien entendu, on préférerait ne pas avoir de soucis de jeunesse, mais c’est normal sur une nouvelle auto.”
La nouvelle Continental GT3 est bien née ? Spa reste le juge de paix ?
“On peut dire qu’elle l’est. On termine les Total 24 Heures de Spa avec une auto toute neuve. Lorsque nous sommes arrivés à Spa pour la première fois, on nous regardait comme une équipe de rallye. Il a fallu cinq ans à d’autres constructeurs pour terminer l’épreuve. Toutes les écuries veulent s’imposer en Blancpain GT Series et Intercontinental GT Challenge. Plus de dix marques sont en piste sur huit courses. Avec deux autos, on subit la loi du nombre. Dans l’absolu, la performance était là, mais, d’un autre côté, nous n’avons rien gagné. C’est un peu frustrant. Il y a quelques années, nous sommes déjà passés à côté de Bathurst et Spa. L’auto est encore jeune. Le point positif est que l’équipe a fait un sans faute toute la saison, aussi bien les mécaniciens que les ingénieurs. 2018 nous a permis de fiabiliser ce qu’il fallait.”
La politique est plus présente en GT qu’en rallye ?
“Il m’arrive de venir sur un circuit en sachant que la politique sera bien présente. En rallye, c’est le meilleur qui gagne. Chaque fois que nous avons remporté le titre mondial, c’était sans avoir le plus gros budget.”
La question est de savoir s’il est possible de faire du GT sans avoir une BOP ?
“J’ai commencé à écrire il y a peu sur mon temps libre un règlement technique GT sans BOP. Il y a encore cinq ans, c’était compliqué car il y avait des moteurs V8, V12, atmo, turbo. Maintenant, avec les règles CO2, chaque constructeur a un moteur turbo dans sa gamme.”
Vous pensez réellement qu’un règlement sans BOP est possible ?
“On peut prendre ce que l’on veut comme moteur, comme un 4.0 litres double turbo. On y met une bride comme en WRC et le problème de la puissance est réglé. On reviendrait au Gr A de la grande époque avec soupapes, bielles, arbre à cames d’origine. Le poids est la deuxième chose à prendre en compte. 1260 kg pour tout le monde serait bien. Reste le sujet de l’aéro. En Formule 1 et WRC, on travaille dans une boîte avec une largeur maximum. En rallye, les autos sont différentes et tout le monde est compétitif. La seule chose où une ouverture serait permise est la surface frontale. Cela peut poser des problèmes de traînée et pour ceux qui sont au-dessus de la fenêtre, on abaisse le toit. Quand nous avons gagné avec la Ford Focus, l’auto était plus grosse que la concurrence.”
Ce règlement pourrait voir le jour ?
“C’est en quelque sorte mon rêve, ma vue personnelle des choses. Claude (Surmont) fait un très bon travail pour équilibrer les autos et Stéphane (Ratel) est un vrai compétiteur. Le souci est qu’il y a toujours moyen de cacher les choses. Ce n’est jamais bon d’avoir une réglementation qu’on ne peut pas vérifier de A à Z. J’ai toujours dit cela pour le WRC.”
La stratégie est de moins en moins prépondérante ?
“Le championnat Blancpain se porte bien, mais la stratégie diminue. Cela devient de la performance pure. Personnellement, je suis content de débuter une course de 24 heures sans forcément avoir la meilleure BOP car son impact est bien moins important. Selon moi, le Sprint a moins d’intérêt car ces autos sont taillées pour les courses d’endurance. Pour extrapoler, c’est comme si on faisait de la F1 avec des autos de rallye. On a tout de même une série magnifique et sans Stéphane Ratel, le GT n’en serait pas là.”
Comment un habitué du rallye en est arrivé à venir en GT ?
“Je suis venu à Spa pour la première fois il y a quelques années à l’invitation de Vincent Vosse. C’était incroyable ! Je vois toutes ces autos et j’appelle Malcolm Wilson en lui expliquant que le GT était superbe avec un tas de constructeurs. Malcolm m’a répondu qu’on allait se concentrer sur le WRC. Je me suis dit que j’allais y aller pour aider un copain qui faisait rouler une Mercedes. En septembre, Brian Gush a posé la question à Malcolm Wilson de savoir si M-Sport pouvait faire du GT. Malcolm me rappelle, mais je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas vu qu’on devait se concentrer sur le WRC (rires). M-Sport n’avait jamais été approché par un constructeur. Je n’avais jamais mis les pieds à Spa, encore moins en Formule 1 et au Mans. Même ma sœur était allée à Spa avant moi.”
Pourtant, tout le monde pensait qu’il serait impossible de développer une Bentley GT3…
“Tout le monde s’est dit : Bentley arrive avec une équipe de rallye pour développer une auto de deux tonnes, ce qui est impossible. Elle a été homologuée à 1300 kg et nous avons gagné des courses. C’est ça qui est génial. Si c’était trop facile, cela n’aurait pas été intéressant. Aux 24 Heures du Nürburgring, les Allemands sont venus nous voir car terminer une telle course dès la première participation était assez inédit.”
Le souci est qu’on voit peu de Bentley…
“C’est une déception de ne pas avoir plus de clients. C’est une phobie de dire que les autres clients auraient un soutien différent. J’admets que si j’étais à leur place, je serais en droit de me poser la question. C’est la même chose pour Audi et WRT, Lamborghini et Grasser. Pourtant, il y a des autos.”
Son coût est plus élevé que la concurrence ?
“Les gens parlent souvent de coût, mais on boucle 20 000 km avec le même moteur et 12 000 avec la même boîte de vitesses sans grosse révision. Nous avons débuté les Total 24 Heures de Spa avec un arbre de transmission qui avait déjà 20 000 km. Je suis convaincu que le coût d’exploitation de la Bentley est plus bas que d’autres GT3. Parfois, il y a des mystères dans le paddock. Peut-être qu’on ne fait pas assez d’efforts pour ôter ce mythe. Nos concurrents sont là depuis longtemps et les gens se disent peut-être qu’il faut acheter une Audi ou une Mercedes car il y a plus d’autos. On doit aussi pousser pour avoir des voitures en Blancpain GT Sports Club car la Blancpain GT Series peut paraître trop élevée pour certains pilotes.”
On a vu à Laguna Seca que l’ancienne version était aussi compétitive que la nouvelle…
“L’ancienne version était plus rapide que la nouvelle. Si on mettait la cartographie de l’ancienne dans la nouvelle, on faisait la pole avec 1 seconde d’avance. Le modèle précédent a bien plus de boost que la dernière génération. Certainement que la BOP n’était pas optimale dans ce cas précis…”