Dire qu’un pilote automobile est dur au mal n’est pas usurpé et croyez-nous Christophe Bouchut fait partie de ceux-là. Véritable top gun sur les pistes aux quatre coins du monde, Christophe Bouchut est de la trempe de ceux qui savent ce que c’est d’aller chercher le dernier millième et de piloter à la limite. Comme ses collègues pilotes, même après un accident, seul le retour en piste compte, et le plus vite possible.
Dans les années 2000, Christophe Bouchut était celui qu’on tout le monde voulait battre tant il était capable de vous claquer une pole même avec une auto réglée à l’envers. Combien de pilotes nous ont dit durant ces années-là : “oui mais il y a Bouchut”. Nous sommes aux 24H de Spa 2008 et la qualif’ est marquée par une violente sortie de piste de la Corvette C6.R/SRT de Christophe Bouchut. Hospitalisé, le pilote n’avait qu’une seule envie : retrouver l’équipe et être au départ de la course, coûte que coûte.
2008, c’est encore la belle époque des monstrueuses GT1 : Saleen, Maserati, Corvette, Aston Martin, Lamborghini. Le FIA GT bat son plein et les 24H de Spa sont le point d’orgue de la saison. Souvenez-vous, 2008 c’est l’année où la Saleen S7-R/Larbre Compétition qui devait partir en pole termine sa course dans le Raidillon lors du warm up. Les essais qualificatifs connaissaient aussi une grosse sortie de piste et même une grosse frayeur. SRT, le team de Patrick Selleslagh, sortait d’un forfait en FFSA GT à Spa suite à une violente sortie de piste de Soheil Ayari sur la Corvette C6.R dans le Raidillon. Le team belge a donc travaillé pour remettre en état la GT1 américaine afin qu’elle soit au départ de la classique belge. Christophe Bouchut, Maxime Soulet, Xavier Maassen et Christophe Pillon se partageaient le volant de la Corvette à Spa.
Alors qu’il était sur le point de décrocher la pole, Christophe Bouchut sort durement de la piste au niveau de Blanchimont. La suite, c’est l’intéressé lui-même qui nous la raconte.
Christophe, comment s’est passée la sortie ?
“J’étais à fond au niveau de Blanchimont et j’ai soudainement perdu l’arrière. Mon tour était vite, très vite car la pole devait être au bout. J’ai été gêné, ma trajectoire n’était pas optimale mais il y a quelque chose qui reste inexplicable. Je viens m’écraser en marche arrière dans le mur, l’impact était très impressionnant. J’étais KO, je perds connaissance.”
Vous êtes évacué ?
“L’hélicoptère se pose sur la piste, ce qui est tout de même assez rare. Je suis transporté en urgence à l’hôpital. Dans l’hélicoptère, on me met une lampe dans les yeux et j’entends : ‘on est en train de le perdre, Monsieur restez avec nous’. On arrive à l’hôpital, on me met dans une pièce avec quelqu’un à côté de moi. J’étais toujours KO mais ça allait un peu mieux, j’avais repris quelques couleurs. J’entends un long bip et l’infirmière tire le rideau de mon voisin de chambre. C’était terminé pour lui.”
On vous isole ?
“Je suis placé dans une chambre où je reprends petit à petit mes esprits. Il est environ une heure du matin, je réalise que je suis en plein week-end de course et que je veux rouler. A cette heure, il n’y a pas le moindre médecin, juste les personnes de garde. Je dis que je veux sortir, on me répond que ce n’est pas possible, que je suis complètement fou car j’ai pris beaucoup de G. Bon, en même temps, je suis sorti à environ 260 km/h. On me fait savoir que je dois rester là au moins 48 heures car je peux faire une hémorragie interne à tout moment.”
Donc, vous restez sage ?
“(Il sourit). Je voulais rouler car j’étais persuadé qu’on avait une chance de remporter ces 24 Heures de Spa. Je prends alors la décision de partir mais j’étais perfusé et je n’avais pas le moindre vêtement, juste un peignoir médical.”
Non mais vous êtes sérieux ?
“J’arrache la perfusion et par la même occasion 5 cm de peau. Je me mets à pisser le sang, je trouve une compresse avant de me diriger vers la sortie sans vêtement, toujours avec ce simple peignoir où on voit une partie de mon derrière. Il est plus d’une heure du matin mais il y avait un peu de monde à l’accueil de l’hôpital. J’arrive en peignoir médical, pieds nus avec une tête bizarre et en pissant le sang. On entendait une mouche voler (rires).”
On vous arrête ?
“Non mais on me regarde bizarrement. Les gens devaient se dire : ‘mais c’est qui ce fou ?’ Je franchis la porte, je vois un taxi arriver, je lève la main et je me mets devant lui pour l’obliger à s’arrêter, ce qu’il fait. Je n’avais pas le moindre euro et je lui demande de me remonter à Spa. Je demande à utiliser son téléphone pour prévenir ma femme. Jack (Leconte) l’avait déjà prévenue en lui disant : ‘ne t’inquiète pas, ça va aller mais Christophe a été évacué par hélicoptère’. Pas de quoi la rassurer.”
Et une fois au circuit ?
“On est en pleine nuit, il faisait très froid. Le chauffeur a pu entrer dans le paddock pour me laisser au niveau du stand de l’équipe. Je sors, j’étais toujours dans la même tenue et je rentre dans le stand. Tout le monde me regarde et là… un grand silence. Je demande à quelqu’un de régler la course du taxi. Tout le monde était content de me voir. Je sais le coût qu’une sortie de piste peut engendrer pour une équipe privée même si une voiture se remplace, pas une vie. Tous les acteurs acceptent les règles. J’ai souvent été sur le fil en passant près de la catastrophe.”
La voiture était détruite ?
“Complètement. L’équipe a fait un travail remarquable en la reconstruisant. Pour ma part, j’ai reçu le feu vert des médecins pour piloter. Quelques jours après la course, j’arrive chez moi, je stationne ma voiture, j’avais 50 mètres à faire en marchant et je pense qu’il m’a fallu 30 minutes. Les jours suivants, ça s’est aggravé. Je pense qu’il a fallu 8 mois pour m’en remettre. Le corps humain n’est pas fait pour encaisser autant. On parle de 50 G. Je suis passé tout près de la correctionnelle. Cela fait partie de la philosophie de ma vie. Quand ton heure est arrivée, tu ne peux rien faire contre ça.”
La course de l’équipage de la Corvette C6.R s’est vite arrêtée. Xavier Maassen s’est élancé depuis la 1ère ligne mais le Néerlandais a vite connu un problème de frein qui a occasionné une nouvelle sortie de piste. Malheureusement, l’équipe a jeté l’éponge par manque de pièces de rechange.