Tout est parti d’une discussion autour d’un café (Trottet bien entendu) avec Georges Kaczka et Sébastien Philippe dans le paddock de Pau. On s’est dit que suivre le parcours d’un pilote devant passer sur le simulateur AOTech avant de rouler au Mans serait une bonne idée. Sauf que pour cela, il fallait que les plannings de tout le monde concordent, ce qui n’a pas été possible. L’autre solution était de passer moi-même dans le simulateur.
Depuis quelques années, les pilotes ne figurant pas sur la liste des pilotes confirmés pour les 24 Heures du Mans doivent obligatoirement suivre une formation sur le simulateur agréé par l’ACO. Ce passage est aussi obligatoire pour tous les pilotes Bronze qui n’ont pas pris part à l’épreuve en 2016 ainsi que ceux qui n’ont pas roulé au Mans depuis 2012. Mon cas personnel est réglé puisque je n’ai jamais roulé au Mans et que je ne suis même pas pilote. Toutefois, j’avais eu la chance de tester la première version du simulateur AOTech il y a quelques années où j’avais chiffonné (pour rester poli) une McLaren MP4-12C dans le Raidillon. Pas étonnant que Frédéric Vasseur ne m’ait jamais envoyé un contrat de pilote.
Depuis mon premier passage, AOTech a investi un nouveau local, toujours au sud de Paris. L’endroit est digne d’une clinique médicale. Mon but n’étant pas de me qualifier pour Le Mans, il est prévu que je passe après des pilotes de monoplace de renom qui sont là pour préparer leur prochaine échéance. Un pilote est dans le simu pendant que l’autre regarde le travail des trois ingénieurs qui étudient les données en temps réel. La pièce est sombre, pour ne pas dire noire. Pas un bruit sauf celui du moteur. Le run du pilote se termine, la pièce s’éclaire et là trône devant vous un alien tout droit sorti du film de Ridley Scott. Une sorte de pieuvre géante est là, encore chaude, derrière une glace. Impressionnant !
Une question me brûle les lèvres : Pourquoi je suis là ? J’ai bien conscience que je ne peux rien casser, que je n’ai pas la prétention d’être pilote et qu’en aucun cas j’ai l’intention de participer aux 24 Heures du Mans un jour.
Pourtant, avant d’aller au Mans, que que vous soyez Mark Webber, Rubens Barrichello, Fernando Alonso ou Laurent Mercier, vous devez suivre le même programme. Vous pourriez penser que ce passage obligé dans un simulateur qui coûte quand même plus d’un million d’euros est juste un moyen facile de récupérer de l’argent. Si vous pensez cela, vous faites fausse route. D’une, ce simulateur est tout sauf un gadget, de deux il permet de mieux appréhender les différentes procédures d’une des courses les plus dures au monde. En règle générale, les pilotes sont en binôme durant une journée, chacun devant boucler une trentaine de tours.
Par chance, on ne vous jette pas comme un malpropre dans le simulateur. Il faut tout d’abord écouter un briefing car l’oreille interne va être mise à rude épreuve. Le programme est identique à chaque pilote, l’objectif n’étant pas de faire un chrono, mais bien de rouler de jour, de nuit, sous la pluie, dans le trafic, de respecter les drapeaux, la procédure de slow zone. Un vrai travail d’écolier.
Deux possibilités s’offrent à moi : rouler dans un cockpit comme si j’allais disputer Le Mans dans un prototype ou rouler dans une coque de McLaren comme les pilotes GTE. Il faut moins d’une heure aux ingénieurs pour changer la plateforme. Je vais donc rouler dans un prototype pour une question pratique. Casque radio sur les oreilles pour échanger avec l’ingénieur, réglage du pédalier, harnais serré, traction control réglé, c’est parti pour un premier tour du Circuit des 24 Heures du Mans.
Démarrage, limiteur enclenché dans la voie des stands, un coup d’oeil dans les écrans qui servent de rétroviseurs pour surveiller le trafic, j’ôte le limiteur et la chicane Dunlop s’ouvre à moi. Pour ce premier run, je n’ai pas les mouvements de la voiture. Je dois donc me concentrer sur la piste, le trafic, les diodes sur le volant. Bien suffisant pour un rookie de ma trempe… La particularité du simulateur AOTech est d’avoir un vrai système de freinage. Il faut donc taper dans les freins en arrivant au premier ralentisseur des Hunaudières sans oublier de descendre les rapports à la volée. J’ai freiné tellement tôt qu’une LM P1 me fait l’extérieur sans problème. J’essaie de faire comme mes amis pilotes m’ont expliqué dans le passé pour avoir une trajectoire la plus optimale possible et je remonte les vitesses une à une pour arriver pleine balle au second ralentisseur des Hunaudières qui se passe sans problème même si l’allure me semble trop lente. C’est ensuite que ça se gâte. Le compteur indique plus de 300 km/h avant Mulsanne avec un prototype à mes trousses. Je surveille les drapeaux, je prends les freins, la voiture bouge, je fais mon possible pour corriger mais je corrige un peu trop et ce qui devait arriver arriva : tanké dans le bac.
Le temps de me remettre sur la piste, les autres concurrents passent et c’est reparti vers Indianapolis où il faut bien se placer pour entrer dans le virage et freiner au bon moment. L’ingénieur me passe le message à la radio que les mouvements vont débuter petit à petit alors que je me bats dans les Virages Porsche comme un beau diable pour rester sur la piste. Avec les mouvements, ce n’est plus la même musique. Vous entrez dans la 5e dimension. Si vous passez une roue sur un vibreur, vous le ressentez comme dans la réalité. Pour ma part, j’ai beaucoup de mal à négocier le freinage du virage du raccordement et le placement de l’auto.
Les mouvements s’amplifient à l’entame du deuxième tour. Au début, le ressenti était comparable à un pilote de Formule Renault. Là, je suis limite à ce qu’encaisse un pilote de GP2. A chaque freinage, le harnais tire, les passages dans les courbes sont nettement plus difficiles, je sens bien que mon rythme cardiaque augmente. Le mouvement n’est pas le problème mais bien l’affichage qui occasionne un déséquilibre de l’oreille interne qui se traduit par une difficulté à maintenir la position. J’ai de plus en plus l’impression d’être dans un monde parallèle. Malade, non, désorienté, oui.
Chaque pilote qui passe dans le simulateur doit aussi se familiariser avec les ‘slow zones’. Vous recevez le message de l’arrivée d’une ‘slow zone’ où il faut actionner la palette sur le volant à l’entrée de la zone pour respecter le 80 km/h. Toutes les procédures des 24 Heures du Mans sont testées.
Une attestation est ensuite remise au pilote qui doit la présenter lors des vérifications administratives avant la Journée Test. Une note est envoyée à l’organisateur avec un chrono qui ne sert aucunement à qualifier le pilote même s’il est conseillé d’être en-dessous des 107%. Les pilotes arrivent à tourner dans des chronos similaires à la réalité.
Le simulateur AOTech est en évolution permanente afin de coller encore plus à la réalité. Personne ne sait jusqu’où la technique nous emmènera mais vous suez autant dans le simulateur que dans une voiture de course. Pour une journée complète, le short est obligatoire.
Si j’étais venu avant le 1er juin chez AOTech, j’aurais pu me qualifier pour les 24 Heures du Mans même si pour cela il fallait encore boucler les 10 tours le 4 juin dernier. Malheureusement, il me manque le talent et pour ça, il faut bien plus qu’un passage dans un simulateur…
Un grand merci à toute l’équipe AOTech pour l’accueil et les conseils prodigués