« Proposer aux concurrents un modèle économique viable et durable pour l’avenir » Telle est la feuille de route du FIA WEC pour les années à venir. Attirer sans dépeupler. Les 24 Heures du Mans deviennent la manche finale d’un calendrier 2018/2019 profondément remanié avec 8 courses en 18 mois, dont Le Mans à deux reprises. La réglementation LM P1 se voit elle aussi retoquée avec une seule catégorie regroupant des prototypes hybrides et non hybrides. Les détails seront dévoilés en temps et en heure mais on en connaît déjà les contours. Dès qu’un changement est opéré, vous ne rallierez jamais tout le monde à votre cause et vous ferez forcément des mécontents. Ce changement de philosophie, accentué suite au départ de Porsche, a selon nous du bon, du moins bon et met en avant quelques questions sans réponse. Décryptage…
L’ensemble du paddock a accueilli ces mesures d’un œil plutôt positif, notamment le calendrier qui se termine par Le Mans, tout comme bien entendu la réduction des coûts. La présence d’une seule catégorie LM P1 est elle aussi une bonne chose pour une meilleure compréhension. Toutes ces annonces ont été préparées durant l’été et on va donc laisser un peu de temps au temps pour s’en faire une idée plus précise. Le règlement 2020 présenté au Mans en juin dernier a donc du plomb dans l’aile.
Deux priorités sur le court terme : réduire les coûts et attirer de nouveaux constructeurs. L’objectif est de disputer la ‘super saison’ 2018/2019 pour un budget identique à 2017. Selon les calculs prévisionnels, une équipe engagée en LM P2 disputera le FIA WEC avec un budget identique à 2016, soit 20% moins élevé que les chiffres actuels. On rappellera tout de même que le premier objectif de la nouvelle réglementation LM P2 était déjà de réduire les coûts. Faire aller une auto plus vite paraît difficilement concevable avec un budget revu à la baisse. Sur l’ensemble de la saison 2017, les équipes ont 72 heures de roulage en course. Pour 2018/2019, on passe à 90 heures, soit 18 heures en plus. Sur la ‘super saison’, il faudra reconstruire deux fois les voitures de A à Z pour les deux Le Mans, sans compter Sebring. Les pilotes et les équipes montent un programme sur une année civile. “Comment vais-je faire pour séduire mes partenaires sur deux années calendaires ?” nous a confié un pilote LM P2. Tous les championnats sont de janvier à décembre et les équipes vont devoir faire différemment au niveau de l’exercice comptable. Celles qui souhaiteront mixer FIA WEC et ELMS devront donc faire deux exercices bien distincts question comptabilité. La Formula E est basée sur un système similaire mais elle n’est pas régie majoritairement par des équipes privées. Les équipes devront garder un budget important pour la dernière course de la saison. Les autos seront parties près de huit mois des ateliers. N’oublions pas que les équipes privées restent le socle du championnat.
Plusieurs pilotes nous ont confié en arrivant à Mexico vouloir passer (ou revenir pour certains) en European Le Mans Series pour une question de planning professionnel. Ce nouveau calendrier va les inciter à revoir leur copie et peut même en attirer de nouveaux en FIA WEC. Signatech Alpine Matmut, CEFC Manor TRS Racing, Rebellion Racing, Jackie Chan DC Racing. Autant d’équipes qui souhaitent passer en LM P1 à court terme et les nouvelles règles vont certainement peser dans la prise de décision. On se réjouit de voir ces équipes de pointe venir en découdre dans la catégorie reine, sauf qu’il y a un bémol. Il faudrait alors trouver de nouvelles équipes LM P2 pour avoir un plateau fourni et éviter le monotype. On risque de déshabiller Paul pour habiller Jacques. Peut-être que quelques équipes roulant en ELMS vont franchir le pas plus facilement même si pour cela les teams vont devoir trouver beaucoup d’argent. Les partenaires suivront-ils ? Il faut aussi des reins solides pour un passage en LM P1 car là on ne parle plus d’un budget de 4 millions d’euros.
Tout le paddock est suspendu à la réponse de Toyota. Stop ou encore ? Toyota va-t-il accepter de se battre contre des équipes privées qui dépenseront beaucoup moins d’argent sur deux 24 Heures du Mans ? Ces nouvelles règles vont-elles séduire Peugeot qui pourrait annoncer quelque chose sous peu ? Chaque concurrent présent en LM P1 disposera d’un potentiel identique, indépendamment du moteur utilisé, même si un léger avantage restera en faveur des hybrides, grâce notamment à une consommation de carburant inférieure, sans oublier des capacités de développement bien supérieures. Jusqu’à présent, seuls les « petits constructeurs » étaient autorisés en LM P1 non hybride. Une marque d’envergure pourrait donc décider de venir en LM P1 sans hybridation. Rien n’a été précisé sur les avantages octroyés aux nouveaux arrivants : plus d’essais, plus de pneus, plus de soufflerie. Ces avantages peuvent modifier bien des choses. L’avenir de l’hybride passe certainement plus par le GT que par le prototype.
Le retour à Sebring ravit tout le monde même si ce n’est pas sur la course historique car les 12 Heures de Sebring restent la manche WeatherTech SportsCar Championship. L’IMSA s’est bien gardé de communiquer sur les 12 Heures de Sebring WEC, mais bien sur une course de 12 heures organisée à Sebring le même week-end que les traditionnelles 12 Heures. Il va falloir organiser le tout dans le paddock et sur la voie des stands avec près de 80 autos à placer sous les tentes et les équipes vont devoir se partager une voie des stands qui n’a rien à voir avec les standards européens. On a connu cela à COTA mais le Texas a une infrastructure européenne. L’écart de 2 heures entre l’arrivée d’une course de 12 heures et le départ d’une autre course de 12 heures risque d’être très court et animé. Les pilotes qui souhaitent disputer les deux auront aussi la vie dure, certains nous expliquant que ce serait compliqué de faire la passe de deux. Il va aussi falloir renforcer l’éclairage autour du circuit pour rendre le produit télévisuel.
Le point noir reste les dates communes entre l’IMSA et le FIA WEC, soit trois dates si on compte la Journée Test. Petit Le Mans tombe le même week-end que Fuji (WEC). On a bien conscience qu’il est compliqué de faire cohabiter le tout et que les circuits ont des impératifs. La FIA tient à éviter toute date commune entre le WEC et la Formula E. Pour quelle raison ? Pour que les pilotes puissent mixer les deux ? On fait de l’endurance ou pas ? A l’heure où il serait bon de se préoccuper de l’endurance, la FIA ne souhaite pas mettre les deux séries en parallèle. Donc, les constructeurs quittent le WEC pour aller en Formula E et on doit en plus éviter toute date commune avec l’électrique car des pilotes veulent faire les deux au risque de pénaliser ceux qui roulent uniquement en endurance et qui veulent mixer les programmes. La question à se poser est de savoir pourquoi la Formula E est attrayante : sport ? argent ? On ne peut pas éviter les dates communes sur tous les championnats, c’est un fait avéré. L’IMSA et le Pirelli World Challenge ont une seule date en commun mais c’est pour être ensemble à Long Beach en avril, alors qu’elles sont concurrentes en GT3.
Le Mans sera donc la finale du championnat avec des points qui ne seront plus doublés. On espère juste que le vainqueur du Mans n’éclipsera pas le titre mondial. Un ajustement au niveau des points doit être mis en place et on aimerait que la solution retenue soit celle mise en place par SRO aux Total 24 Heures de Spa avec des points distribués à 6h, 12h et 24h. Simple et efficace !
Il va aussi falloir régler quelques questions pratiques. Les pilotes sont classés par la FIA du 1er janvier au 31 décembre. Comment fait-on avec une saison à cheval sur deux ans ? Vous commencez le championnat Silver et vous le terminez Gold si vous changez de catégorie ? Si tel devait être le cas, la répartition dans les équipages s’en verrait bouleversée. Autre sujet, plus anecdotique celui-là. La FIA tient chaque fin de saison une soirée de remise des prix pour récompenser ses champions de l’année écoulée. Le champion 2018/2019 devra attendre 5 mois alors que la saison suivante sera lancée. On espère aussi que la FIA va décerner de VRAIS titres mondiaux LM P2 et GTE-Am. L’unique raison pour que ces deux catégories n’aient pas cette récompense est qu’elles ne paient pas le droit d’engagement à la FIA alors que sans ces privés on perd pas mal d’unités.
Il est donc un peu tôt pour se prononcer si ces changements seront positifs, ce qu’on espère. Il va aussi falloir mettre les GTE en avant car c’est bien là que seront les constructeurs en 2018 avec pas moins de cinq marques représentées. La présence d’une course qualificative a été reportée à une date ultérieure. Quant au produit DPi, il faudra s’en passer sur le court terme et transformer une LM P2 en LM P1 n’est pas chose facile vu que la longueur maximale hors tout d’une P1 est de 4650 mm contre 4750 mm à une P2.
Le sport automobile est comme la politique ou le football. La France dispose de 60 millions de sélectionneurs et chaque parti politique est certain de son programme pour sauver le pays. Être promoteur est tout sauf un long fleuve tranquille, n’en déplaisent à certains fans. Il fallait une réaction et elle a eu lieu. Il faut maintenant peaufiner le dispositif, séduire et plus que tout écouter les acteurs. On l’a dit et on le répète, les constructeurs peuvent déstabiliser un championnat et ce n’est pas d’aujourd’hui. David contre Goliath dans les discussions ! C’est comme si vous allez voir votre banquier pour un prêt de 100 000 euros et que vous passez après François Pinault qui demande 500 millions d’euros. Sur les autos des 24 Heures du Mans 2017, 18 seulement étaient soutenues par un constructeur, soit 5 LM P1 et 13 GTE-Pro. Le SUPER GT arrive pourtant à faire dans la stabilité malgré la présence des constructeurs.
Sur un plan plus personnel, nous avons couvert pas moins de 11 championnats sur site depuis janvier dernier. On a discuté avec tous les promoteurs, écouté les équipes, les pilotes, les partenaires. Un seul mot d’ordre : réduction des coûts. Quand on pense que le prix de la Porsche dans sa version GTE a doublé en seulement cinq ans, cela laisse pensif sur le travail à fournir de tous les côtés…