93 ! Il aura fallu attendre 93 jours pour connaître le classement définitif des 24 Heures du Mans. Deux jours après la course, G-Drive Racing (vainqueur en LMP2) et TDS Racing (4e) avaient été disqualifiés pour une infraction au règlement technique. Cette affaire a fait grand bruit dans les différents paddocks tout au long de l’été, si bien qu’on a tout entendu. Entre les partisans d’une optimisation du règlement et les partisans d’une volonté d’être en marge du règlement, les avis étaient partagés. Les deux équipes ont décidé de faire appel de l’exclusion, d’où un examen approfondi où chaque partie a préparé ses arguments pour une audience devant la Cour d’Appel Internationale de la Fédération Internationale de l’Automobile, trois mois jour pour jour après la décision prise par les commissaires sportifs de l’exclusion des 24 Heures du Mans.
Le jugement, rendu public (téléchargeable gratuitement sur le site de la FIA), permet d’y voir un peu plus clair sur cette disqualification. Il nous a tout de même fallu plusieurs heures pour comprendre le tout et décortiquer le jugement.
Les faits…
L’ACO et la FIA ont constaté que les deux ORECA 07 (G-Drive Racing/TDS Racing) ont ravitaillé plus vite (environ 25%) que la concurrence (LMP2), ce qui a occasionné un gain de 6 à 10 secondes par arrêt aux stand, comme le précise le rapport du jugement. A l’issue de la course, les commissaires techniques ont inspecté les systèmes de ravitaillement des deux équipes, mais aussi ceux de Signatech-Alpine Matmut (2e) et United Autosports (5e). Le législateur a aussi étudié en profondeur les temps cumulés de ravitaillement de chaque équipe durant la course. Il en est ressorti que G-Drive Racing et TDS Racing ont ravitaillé environ 242 secondes plus vite que l’Alpine A470 victorieuse.
Le jugement précise que G-Drive Racing et TDS Racing ont utilisé une pièce usinée sur mesure et amovible dans le système de remplissage de carburant, plus précisément entre le restricteur de débit de carburant et ce qu’on appelle vulgairement la ‘vanne de l’homme mort’ (la vanne qui se referme s’il n’y a pas d’intervention). La pièce en question était un raccord sur mesure qui relie la “vanne de l’homme mort” au restricteur de débit de carburant, où se trouvait une seconde pièce usinée sur mesure qui s’insère dans le restricteur une fois le raccord monté.
Les délégués techniques ont rapporté qu’une pièce usinée supplémentaire ne figurant pas sur le dessin du règlement technique avait été insérée dans le restricteur de débit de carburant, modifiant ainsi la surface humide indiquée par le dessin réglementaire.
Si on prend en compte les temps de ravitaillement au Mans, le premier arrêt pour les ORECA 07 #26 et #28 était de 61s contre 63s à l’ORECA 07 Jackie Chan DC Racing #38. On remarque que les deux ORECA 07 JCDR et la Dallara P217 #47 Cetilar Villorba Corse ont elles aussi ravitaillé plus vite que la concurrence, mais tout de même un peu plus lentement que G-Drive Racing/TDS Racing. Trois LMP2 ont effectué le même nombre d’arrêts sur 24 heures : ORECA #26, Ligier #32, Alpine #36.
La défense des appelants…
G-Drive Racing et TDS Racing ont expliqué à la Cour qu’il n’existait aucune base légale arrivant à la conclusion d’une violation du règlement technique. Les deux équipes ont fait valoir « une innovation technique louable. » De plus, les deux équipes ont expliqué que le règlement technique ne contenait aucune référence ou réglementation concernant les raccords à utiliser entre le restricteur de carburant et la vanne de ‘l’homme mort’. La FIA a admis lors de l’audience qu’un raccord était nécessaire et que ce raccord n’apparaissait pas sur les dessins de l’Annexe A du règlement technique. Toujours selon les deux équipes, rien n’interdisait de concevoir un raccord pour autant qu’il respectait le diamètre maximum de 38 mm. Les appelants ont expliqué avoir trouvé des innovations techniques louables, dans les limites du règlement technique et dans le cadre d’un sport où la technique est fondamentale.
Il convient de préciser que la FIA a examiné le dispositif de ravitaillement en carburant avant de se prononcer pour la conformité des deux LMP2 avant la course.
La catégorie LMP2 se veut être une catégorie compétition-client à un coût maîtrisé qui passe par une standardisation de l’équipement utilisé. Pour ce qui est du restricteur de débit de carburant, la FIA a expliqué que le règlement technique LMP2 vise à limiter un avantage durant un ravitaillement, et que les deux équipes n’ont pas demandé conseil ou d’autorisation à la FIA pour la nouvelle pièce utilisée. La FIA a souligné que les raccords ont pour seul but de relier une pièce à une autre sans améliorer le débit de carburant. L’angle conique d’une longueur et d’une étroitesse bien plus importantes a permis de diminuer la turbulence et d’augmenter la vitesse du débit de carburant. La FIA a donc refusé le terme « innovation technique louable » pour une transgression claire et délibérée de l’esprit du règlement technique LMP2. Le passeport technique des voitures n’a pas été immédiatement mis à jour.
Les conclusions de la Cour…
Après examen des pièces, la Cour a constaté qu’il n’existait en effet aucun critère applicable aux raccords autre que le diamètre intérieur maximal fixé à 1,5 pouce ou 38 mm au titre du point 7 de l’Annexe A du Règlement Technique qui stipule que “Tous les flexibles et raccords utilisés doivent avoir un diamètre intérieur maximum de 1,5 pouce“. La Cour a bien reconnu, qu’à l’exception du diamètre intérieur, il n’y a aucune réglementation applicable au montage permettant de relier la sortie de la cuve à la vanne de ‘l’homme mort’.
Bien que les diagrammes intégrés dans le règlement ne mentionnent pas la partie des raccords, les concurrents ne peuvent pas déduire de ces diagrammes que ces pièces de raccord peuvent être entièrement intégrées dans l’un ou l’autre de ces deux éléments. Les concurrents peuvent donc concevoir ou acheter le raccord qu’ils souhaitent tant que celui-ci ne dépasse pas 38 mm. Toutefois, cela n’est valable que pour les raccords. Les appelants ont fait valoir que ‘l’homme mort’ avait pour but de répondre au critère du diamètre intérieur de 38 mm par rapport à un raccord et qu’il fait donc partie de ce qu’ils ont appelé, avec leur deuxième pièce usinée sur mesure une ‘partie supérieure de l’homme mort’. Selon la Cour, la pièce usinée sur mesure et amovible ne relie aucune pièce, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’un raccord. La Cour a motivé la disqualification au motif que la pièce était en deux parties.
La Cour a estimé que la “non mise à jour du passeport technique” des autos est une lacune grave. Elle a aussi souligné qu’elle ne pouvait pas se prononcer dans quelle mesure l’avantage était déterminant pour le résultat de la course.
La Cour a indiqué qu’elle attendait des concurrents qu’ils se renseignent auprès de la FIA afin de s’assurer que toute innovation spécifique soit conforme au règlement. A noter qu’une clarification sur le ravitaillement en carburant a été apportée après les 24 Heures du Mans à la demande d’une équipe, soit avant la manche ELMS du Red Bull Ring. Depuis les 24 Heures du Mans, les temps de ravitaillement de G-Drive et TDS Racing (au Red Bull Ring) sont toujours plus rapides que la concurrence, sachant qu’aucune sanction n’a été prononcée, alors que le règlement est identique à celui des 24 Heures du Mans. G-Drive Racing vient d’ailleurs de décrocher la couronne 2018 à une manche de la fin de saison.
Le changement de classement des 24 Heures du Mans dans la catégorie LMP2 n’a aucune incidence sur Le Mans 2019 puisque Signatech-Alpine Matmut et TDS Racing sont présents en FIA WEC. G-Drive Racing a décroché une invitation aux 24 Heures du Mans 2019 suite au titre ELMS.