Juin 1987 ! Le Circuit des 24 Heures du Mans inauguraient la chicane Dunlop pour une meilleure sécurité des pilotes. Malgré l’arrivée de ce ralentisseur, les pilotes n’avaient d’yeux que pour cette longue ligne droite des Hunaudières où les avis étaient partagés. Retour sur la polémique de juin 1987…
Quelques semaines avant la course, Jochen Mass, Hans Stuck et Dereck Bell parlaient de ne pas prendre part à la course si toutes les conditions de sécurité n’étaient pas réunies. Plusieurs pilotes mettaient en avant le revêtement bosselé de la ligne droite et l’inefficacité des glissières. Bien entendu, les organisateurs ne l’entendaient pas de cette oreille en martelant que le circuit répondait aux normes de la FISA. Eux incriminent plus les réglages des autos de plus en plus pointus qui favorisent la tenue de route en virage.
Le bitume en place dans les Hunaudières revenait dans les conversations, notamment de l’incidence des derniers hivers rigoureux. « Tout cela est faux » déclarait un technicien du laboratoire de la direction nationale de l’Equipement. « Nous avons mené une étude minutieuse et nous pouvons assurer que le revêtement n’a absolument pas évolué ces dernières années. » L’étude a mis en avant que les suspensions talonnaient dans les Hunaudières.
Jean-Pierre Moreau, directeur des sports à l’ACO, a une idée sur le sujet : « Les constructeurs adoptent des réglages spéciaux pour bénéficier au maximum de l’effet de sol dans les courbes. Ce n’est pas sans risque. »
A la demande des pilotes, une troisième rangée de rails a été installée dans la seconde partie de la ligne droite pour un coût de 700 000 francs (175 000 euros). L’ACO souhaitait à tout prix conserver la ligne droite pour avoir un vrai banc d’essais.
Les pilotes avaient des avis partagés sur la question de garder ou pas la ligne droite des Hunaudières dans sa version longue. « Trop de pilotes inexpérimentés font seulement les 24 Heures » lâchait Eddie Cheever, pilote d’une Jaguar XJR8 LM. « Ils roulent bien durant trois ou quatre heures et puis la fatigue arrive et ils accumulent les erreurs. Les différences de vitesse sont trop grandes dans les Hunaudières. Si une auto lente déboîte devant vous, c’est comme si vous tapiez un mur à 150 km/h. Et puis à mon sens cette ligne droite ne sert plus à rien. Au XXe siècle, les jeux du cirque sont révolus. Au moindre petit incident, la voiture devient un petit avion. Une ou deux chicanes s’imposeraient dans les Hunaudières. Pourtant malgré tout cela, j’adore Le Mans. »
Henri Pescarolo, qui pilotait cette année-là une Kouros Mercedes, avait un avis plus tranché : « Pour un pilote, ça ne représente aucun intérêt de se balader à fond durant quatre kilomètres. Lorsque l’on a une voiture bien réglée, c’est cependant le seul endroit où l’on peut se détendre musculairement. Mais une partie de la légende du sport automobile et toute l’histoire du Mans reposent sur cette spécificité du circuit de la Sarthe. Supprimer les Hunaudières serait tuer Le Mans. Certains pilotes ne se rendent pas compte que les sports prototypes étaient en état de sursis ces dernières années. Cela va mieux aujourd’hui. Pourquoi vouloir scier la branche sur laquelle nous sommes assis ? Et puis, cette ligne droite a toujours suscité un exercice aérodynamique difficile qui passionne les techniciens. Par contre, je suis tout à fait d’accord pour participer à une action commune, destinée à apporter à cet endroit une sécurisation optimale. »
L’un des plus virulents était Hans Stuck, alors au volant d’une Porsche 962C officielle : « En 12 mois, il n’ont réglé les problèmes que sur 1 km. C’est scandaleux. Je sais, cela coûte cher, mais si l’ACO n’a pas d’argent, elle n’aurait pas dû organiser les 24 Heures cette année. De notre côté, nous pilotes, nous devons refuser de partir dans ces conditions. Mais l’intérêt des constructeurs prime. Jaguar a le vent en poupe et tient absolument à courir au Mans. Alors… »
Bob Wollek, également pilote d’une Porsche 962C officielle, penchait pour plus de sécurité : « La ligne droite des Hunaudières a sa raison d’être mais pour cela elle doit être irréprochable au niveau de la sécurité. Avec un enrobé qui fatigue moins les suspensions et de véritables rails de sécurité, pas des éléments de décors faisant office de tremplin. Les abords de ce secteur devraient être suffisamment sûrs pour qu’un incident mécanique ou une faute de pilotage survenant à très grande vitesse ne se solde pas par un drame. Ces dernières années, deux fois sur trois, les gars sont passés par-dessus les glissières. Je suis pour les Hunaudières mais contre la ligne droite qui tue. »
Du côté d’Yves Courage, artisan constructeur, l’avis était plus mesuré : « Je ne vois pas comment on pourrait éliminer les Hunaudières. Il ne faut pas toucher à ce qui fait la légende du Mans mais ça ne veut pas dire que la sécurité ne doit pas être améliorée. Il faut prendre en compte l’environnement, donc remettre un rail supplémentaire. Je prêche aussi pour une réfection complète du revêtement. Mais plus que cette ligne droite et son environnement, j’ai la conviction que c’est l’escalade technologique à laquelle se livrent les constructeurs qu’il faut remettre en cause. »
Ian Norris, en charge des relations avec la presse chez Jaguar, mettait en avant la sécurité des pilotes : « Nous pensons que ce dossier des Hunaudières concerne avant tous nos pilotes. D’ailleurs, nous nous sommes attachés à prendre leur avis. En Italie, les constructeurs disposent d’un circuit, Nardo, où l’on peut tester les voitures à près de 400 km/h. Jaguar et d’autres ne s’en privent pas. »
« Le Mans est un grand challenge » retenait Jürgen Barth, responsable de la compétition-client chez Porsche : « Un banc d’essais incomparable. Nos ingénieurs sont ravis d’avoir à leur disposition pareille ligne droite pour tester leurs moteurs en pleine charge. Le point de vue est le même chez nos aérodynamiciens. Pour connaître la pression des pneus dans les Hunaudières et faire face à la moindre crevaison, nous avons par ailleurs mis au point tout un système qui sera ultérieurement utilisé dans la série. Grâce à cela, de nombreux accidents de la route provoqués par des pneus mal gonflés seront évités et des vies sauvées. Mais si on me demandait de rouler aujourd’hui sur la 962, je serais partant. C’est un truc fantastique. C’est dangereux, c’est vrai, mais c’est également dangereux de rouler à 200 km/h sur une autoroute. »
Chez WM, on a toujours voulu aller vite dans les Hunaudières, ce que confirmait Vincent Soulignac, ingénieur chez WM : « Nous sommes là pour nous démarquer des usines. Nous sommes une équipe d’amateurs, tous très professionnels dans notre domaine respectif, mais nous n’avons pas les moyens des grands constructeurs. Alors nous nous attaquons à un autre challenge. Et cette approche de la course nous a paru intéressante. »