Suite de notre entretien avec le duo de la Porsche RSR #92 qui évolue en WEC : le Français Kevin Estre et le Danois Michael Christensen…
Quelles sont les difficultés de partager une voiture en endurance avec un coéquipier de manière générale ?
M.C : « C’est toujours un défi de trouver le juste milieu dans une relation avec votre coéquipier. Avec lui et l’équipe, nous devons partager beaucoup de choses. Nous avons besoin de l’autre, c’est un intérêt mutuel. De plus, si vos styles de pilotage ne sont pas trop éloignés l’un de l’autre, cela aide. Au Mans, avec un troisième pilote, s’il y a trop de différences à ce niveau là, c’est plus difficile pour l’équipe et les ingénieurs de produire un set-up qui satisfera tout le monde. Donc si vous êtes proches, les compromis sont plus faciles à trouver au niveau des réglages de l’auto. »
Qu’est ce qui fait un bon pilote d’endurance d’après vous ?
MC : « Pour faire de l’endurance, vous devez être bon pilote. Vous devez gérer tout type de situation. Vous devez être en capacité de vous adapter rapidement, changer votre style de pilotage si nécessaire, être en mesure de piloter comme on l’a vu l’an dernier aux 6 Heures de Spa WEC sous la neige, sous le soleil, sous la pluie et je ne parle pas des conditions au Nürburgring ! Il faut savoir prendre des risques dans le trafic tout en étant raisonnable. C’est particulièrement vrai en WEC où vous avez des courses longues, une météo changeante, des catégories en piste différentes aussi. Il faut savoir prendre des décisions rapides au niveau de la stratégie, des pneus, double relais ou pas, etc…Cela vous apprend aussi à savoir passer d’une voiture à l’autre par rapport aux championnats que vous disputez. »
Porsche étudie officiellement le règlement LMDh. Que pensez-vous de cette éventualité pour la marque ?
M.C : « C’est super que Porsche regarde cette nouvelle catégorie ! La réglementation définitive n’a pas encore été publiée. C’est une bonne chose que l’ACO, l’ACO et le WEC se soient rapprochés, qu’il y ait une plateforme commune, que les constructeurs puissent rejoindre les deux championnats. C’est une bonne nouvelle pour le sport automobile en général et je pense que cela aura une influence positive sur la baisse des coûts. J’aimerais penser que Porsche est attiré par la possibilité de se battre pour toutes ces courses au général, les pilotes sont intéressés aussi. Je suis très content avec ce que j’ai depuis que j’ai rejoint Porsche en 2014. J’ai les 24 Heures de Spa maintenant à mon palmarès et j’ai encore le Nurburgring sur ma liste, nous avons failli accrocher cette épreuve l’an dernier avec Kevin. Je suis très content de ce que j’ai pu accomplir en GT, mais mon principal rêve est de me battre pour la victoire au général dans les plus grandes courses d’endurance au monde. On verra ce que l’avenir nous réserve.»
Avez-vous eu la chance de pouvoir piloter la Porsche 919 Hybrid un jour ?
M.C : « Pour ma part, oui, j’ai eu cette chance ! J’ai commencé chez Porsche en tant que pilote Junior en 2012 et 2013. L’année suivante, j’ai intégré le programme officiel des Porsche 911 en IMSA avec CORE, faisant équipe avec Patrick Long. A mi saison, j’ai un coup de fil pour savoir si je voulais bien faire quelques tours avec la Porsche 919 Hybrid. Je l’ai repilotée à Motorland aussi un peu plus tard. Je n’ai pas bouclé beaucoup de tours avec, mais ce fut une belle expérience. J’ai dû m’habituer à pas mal de nouvelles choses comme les pneus, les appuis aérodynamiques et toute cette puissance, mais ce fut génial… »
K.E : « Je suis arrivé en tant que pilote officiel Porsche au début de l’année 2016. Les équipages étaient déjà bien formés, je n’ai donc pas eu la chance de rouler dans cette 919 Hybrid, mais j’espère qu’un jour cela se fera en tant que voiture historique (rire) ! »
Pensez-vous que la future réglementation LMDh pourrait réduire la compétitivité de la catégorie GTE Pro / GTLM ?
P.Z : « On ne sait pas ce qui se passera quand la catégorie LMDh va arriver, personne ne peut le dire. Une chose est sûre : c’est une super catégorie. Il y a beaucoup d’intérêt pour le GT, on peut aussi le voir en GTE Am avec toutes ces Ferrari sur la grille, ainsi que deux Aston Martin et nos Porsche. Je pense que la classe GT et donc le GTLM ont encore un bel avenir devant elles, au moins pour les trois prochaines années. »
Pascal Zurlinden, comment choisissez-vous les associations de pilotes ? Pourquoi avoir mis Kevin et Michael sur la même voiture ?
P.Z : « L’une des choses les plus importantes c’est leur entente, il faut que les deux ou trois pilotes, suivant le type de course, s’entendent bien. En Endurance, les pilotes doivent tout partager. Ils doivent s’entendre sur pas mal de choses, mais aussi faire des compromis comme sur le set-up de la voiture. C’est très différent de la monoplace où vous réglez l’auto exactement comme vous le souhaitez. Là, en Endurance, il faut trouver le meilleur package et c’est en faisant des compromis chacun de son coté qu’on y arrive. C’est pour cela que nos équipages ont pas mal gagné comme au Mans ou à Spa et même au Nurburgring. A la fin, c’est une « success story » ! De plus, comme l’a dit Michael précédemment, il est aussi important que les styles de pilotage concordent. »
Quelles sont les forces de l’équipage #92 ?
P.Z : « Comme je l’ai précisé, ils arrivent tous les deux à trouver de compromis sur les réglages qui conviennent bien au duo. Ils ont tous les deux cette force ! De plus, ils sont très bons et très rapides lors des doubles relais et c’est pourquoi l’endurance leur va si bien. Par contre, ils savent aller aussi très vite quand on leur demande comme on a pu voir avec Kevin lors des 24 Heures du Nurburgring avec ce dépassement spectaculaire sur la Mercedes-AMG GT3 pour s’emparer de la tête de course.»
Kevin, vous voyez-vous un jour avec une carrière comme celle de Romain Dumas ?
K.E : « J’adorerais (rire) ! J’aimerais avoir son palmarès et ses victoires, c’est certain ! Je pense que ce sont des époques différentes, même si cela ne fait que 15 ans, mais cela fait beaucoup en sport automobile. Romain a rapidement pu faire du prototype, ce qui n’est pas mon cas. J’espère rester aussi longtemps chez Porsche que lui ! »
Avez-vous suivi les discussions au niveau de la catégorie LMDh ? Si Porsche se décide, seriez-vous intéressé ?
K.E : « Remporter les 24 Heures du Mans au général est mon plus grand objectif comme je l’ai dit. Cela l’a toujours été depuis que j’ai mis les pieds en endurance et ça l’est encore plus maintenant que nous avons gagné en GTE Pro en 2018. Gagner sa catégorie est quelque chose d’incroyable, surtout lorsque l’on voit le plateau présent chaque année. Mais l’emporter au général, c’est un cran au dessus et ça doit être très différent. Gagner des épreuves légendaires comme Le Mans ou Daytona au général, en tant que pilote usine, c’est le mieux que l’on puisse faire en endurance. Je suis impatient que cela se produise un jour. Comme Pascal l’a dit, Porsche va considérer la catégorie LMDh quand nous aurons le règlement définitif. En tant que pilote, je serais heureux si cela arrivait ! Ce n’est pas dans les mains des pilotes, nous soutiendrons Porsche quelque soit la décision. Si nous avons notre mot à dire, nous pousserons au maximum ! »