Suite de notre entretien de Franck Larue qui nous parle de son métier et évoque avec nous ses meilleurs souvenirs en plus de 20 ans de compétition automobile…
Vous quittez Jota en 2014 avec qui vous avez remporté les 24 Heures du Mans en LMP2 (photo de Une) pour aller chez Audi Sport en LMP1 l’année suivante. Comment se sont faits les contacts ?
« Déjà parce qu’il y avait un accord entre les deux équipes à l’époque. De plus, l’un des ingénieurs chez Audi Sport était Kyle Wilson-Clarke. Je l’avais rencontré en Formula Super League et il avait ensuite voulu m’emmener chez Audi. Le projet était qu’on bosse tous les deux. Le souci, c’est qu’au moment où cela s’est fait, il a eu une offre de chez Porsche. Il ne pouvait pas refuser, mais en même temps impossible de m’emmener avec lui. Je me suis dit que de toute façon, ce serait ma seule opportunité d’aller chez un constructeur comme Audi donc je l’ai saisie ! »
Avoir côtoyé une équipe usine marque forcément dans une carrière…
« Techniquement, technologiquement, Audi Sport, c’est un truc dantesque ! C’est digne de la Formule 1. Cette voiture était magnifique tout comme les pièces qui la composaient. Leur puissance de travail est colossale, c’est très impressionnant. C’est d’ailleurs le côté qui ne m’a pas trop plu, c’est-à-dire que c’était un peu trop Formule 1 où chacun a une tâche bien dédiée et n’en sort pas. De plus, mon poste n’a pas été celui qui avait été signé sur le contrat. Audi Sport est une juste une énorme machine. Il y a une chose contradictoire par contre : ce côté grosse machine pour Audi et la partie plus familiale, plus simple de Joest Racing. Chez Joest, où j’étais, il y a un super groupe de mécaniciens avec qui je m’entendais bien ainsi que Ralf Jüttner et sa femme. Ce sont des gens géniaux. Par contre, dans le travail, il n’y avait pas ce côté famille. La structure est grosse ce qui fait que l’on a d’imposantes procédures à respecter et c’est assez lourd. »
Vous êtes désormais chez High Class Racing. Comment s’est passée votre première course avec eux à COTA (Texas) en WEC ?
« C‘est une équipe très agréable avec un bon groupe de mécaniciens. C’est une structure certes danoise, mais elle est basée à Barcelone. Il y a un très bon chef mécanicien qui a fait de la Formule 1 auparavant. C’est une belle écurie qui souhaite vraiment mettre des choses en place. C’est intéressant aussi car ils ont plus ou moins dit qu’ils avaient des vues sur d’autres choses dans les années qui viennent. Après, Austin s’est moyennement passé car l’équipe est passée des pneus Goodyear aux Michelin. Entre mes réglages de la voiture et les nouvelles gommes, il leur a fallu un temps d’adaptation. Nous avons depuis fait des essais à Barcelone la semaine avant le début du confinement. C’était déjà bien mieux, les pilotes ont compris comment fonctionnent les enveloppes. Il faut savoir que ce n’est pas la même philosophie entre Goodyear et Michelin.»
Vous fêtez vos 21 ans de carrière cette année. Quels sont vos meilleurs souvenirs en sport automobile ?
«Je citerais le titre de champion d’Europe avec Franck Montagny en Open Telefonica Nissan en 2001. Je dirais aussi la victoire LMP2 aux 24 Heures du Mans 2014 avec Jota. Audi Sport reste aussi un bon souvenir car techniquement, c’est impressionnant. Dans mes bons souvenirs, je mentionnerais aussi toutes les super personnes que j’ai pu rencontrer, je ne veux pas faire de jaloux donc je ne citerai personne en particulier (rire).. C’est pour cela que je préfère les petites équipes qui privilégient le côté humain. C’est quelque chose d’important, une structure où tout le monde a son mot à dire et où chacun amène ses idées.»
Vous avez côtoyé de nombreux pilotes. Quels sont ceux qui vous ont le plus impressionné ?
«Là encore, je citerais Franck Montagny. C’était avant qu’il fasse de la Formule 1. Il m’avait impressionné sur son ressenti au niveau de la voiture. Il y a aussi eu Nicolas Minassian sur sa gestion de l’essence, Marc Gené sur son calme. Un autre nom me vient en tête : Harry Tincknell. Nous l’avons fait débuter chez Jota alors qu’il sortait de F3. Au volant de la Zytek, il a été « avionesque », impressionnant tout de suite. Benoît Treluyer ou Felipe Albuquerque m’ont aussi fait forte impression quand j’étais chez Audi au niveau des actions au volant. Tout est électronique maintenant. A fond dans l’enchaînement Stowe / Becketts à Silverstone, à 200 km/h, Benoît était en train de jouer avec les mollettes du volant afin que la consigne qu’on lui avait donnée soit active le plus vite possible ! Ce jour là, il a juste répondu sereinement à la radio : « copy done » alors que le gars était à fond dans cette partie du circuit très difficile ! Des gars comme Antonin Borga, Simon Dolan ou encore Alexandre Coigny, je les aime bien, ils ne sont pas professionnels, mais ils se donnent les moyens d’y arriver !»
Quand on regarde votre parcours, vous avez évolué en monoplace, en LMP, en GT. Où va votre préférence en termes de voiture ?
« Les prototypes ! Les courses de sprint, c’est sympa car on va chercher la performance pure et dure de la voiture. Par contre, quand l’auto est sur la grille de départ, les dès sont jetés. On n’a plus d’influence sur la course à part dire au pilote qu’il est en retard, qu’il doit faire attention à ci ou çà. L’endurance, par contre, c’est long, mais toute l’équipe, pas que les pilotes, est impliquée à travers les arrêts au stand, les ravitaillements. Maintenant, les 24 Heures du Mans sont devenues un vrai sprint en LMP2 et, dans ce cas de figure, tout le monde a son mot à dire. On cherche les deux ou trois secondes lors d’un ravitaillement qui pourraient faire la différence. C’est ce que j’aime dans cette discipline. En Endurance, il peut se passer plein de choses, bien plus qu’en sprint. Sur un format court, 40 /45 minutes, il faut surtout être bon en qualifs ! En proto, faire la pole est une chose, gagner en est une autre. Je reviens sur 2014 avec Jota au Mans. On a plongé à la 8e place en début de course. On s’est alors dit que cela allait être compliqué, mais dans la nuit, les autres ont eu des problèmes. On est revenu petit à petit. On se retrouve alors sur le podium provisoire et on se dit qu’on a quelque chose à jouer, qu’il faut mettre une nouvelle stratégie en place pour être plus offensif. Il peut se passer n’importe quoi en Endurance. On a pu le voir avec Toyota en 2016. C’est stressant pour le cœur, mais quand le résultat est au bout, c’est une grosse satisfaction car c’est un vrai travail de groupe. Une victoire, ce n’est pas juste trois pilotes mais bien une quinzaine de personnes…. »