Il y a des accidents qui passent en boucle à la télévision et sur la toile, et d’autres que personne n’a vu. Celui de Romain Grosjean à Bahrain, des millions de gens l’ont vu et revu, ce qui n’est pas le cas de la sortie de Guillaume Moreau lors de la Journée Test des 24 Heures du Mans 2012. Pas la moindre caméra officielle quand sa OAK-Pescarolo est sortie de la piste au Virage du Karting à haute vitesse. Ce 3 juin 2012, sa LMP1 ouverte touche de la moquette synthétique encore glissante et le Limougeaud perd le contrôle pour terminer sa course dans le rail.
La suite, vous la connaissez : la moelle épinière touchée et le risque de finir paraplégique. Un mois plus tard, Guillaume Moreau, encore convalescent, a fait une visite au paddock du Mans Classic. Un miracle ? Non, une envie de vivre et un mental à toute épreuve. Depuis, sa vie professionnelle a changé avec la gestion de l’entreprise familiale de bois et Racecare, la société montée avec Franck Bayle, pour assurer les pilotes et le soutien à la carrière de Paul Petit. Sans cet accident, Racecare n’aurait peut-être même pas vu le jour. Croyez-nous, Guillaume Moreau est plus difficile à coincer que quand il voyageait aux quatre coins du monde pour piloter.
Guillaume Moreau et Romain Grosjean, deux anciens coéquipiers devenus amis. Le hasard a voulu que, quand nous avons appelé Guillaume pour recueillir son témoignage, il venait de raccrocher avec le pilote Haas F1 Team.
Vous avez vu l’accident de Romain en direct ?
“Non car je suis de moins en moins de courses en direct. En revanche, je regarde tout en replay. L’accident est dur à encaisser, mais le plus important est qu’il aille bien.”
C’est tout de même triste de terminer une carrière en F1 sur un tel accident…
“Romain a tout de même fait 10 ans de Formule 1. Quel pilote français actuel peut en dire autant ? Je le connais bien pour avoir roulé avec lui. C’est quelqu’un d’attachant et un performer à l’état pur. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis d’aller en F1. Il y aura forcément un avant et un après.”
Avant cet accident, on parlait de Romain en Endurance. Selon vous, il a les caractéristiques pour être un bon pilote d’endurance ?
“Il connaît déjà la discipline pour avoir disputé les 24 Heures du Mans en 2010 (sur une Ford GT1 de Matech Competition, ndlr). Je suis persuadé que s’il a envie d’aller en Endurance, alors il sera bon. Faire une carrière en F1 donne plus de maturité.”
Vous avez connu un grave accident en 2012. Vous aussi, votre premier objectif était de reprendre le volant le plus vite possible ?
“Dès que tu vois que c’est sérieux, mais que tu vas t’en sortir, tu te demandes pourquoi tu n’es pas capable de piloter tout de suite. Tu te dis : ‘je dois être capable de revenir’. L’instinct du sportif reprend le dessus. J’ai discuté avec Romain de son envie d’être dans la voiture à Abu Dhabi. Il y a le physique mais aussi le mental. Il faut aussi laisser croire au sportif qu’il a l’opportunité de revenir. Romain a passé dix ans en F1, il est en vie et je sais que c’est un dur à cuire.”
Il faut croire au destin ?
“Oui, mais il ne faut pas aller contre la loi physique car un tel accident change ta vie à jamais mais une nouvelle vie commence. Un sportif est mentalement fort. Pour ma part, ne plus partager de moments forts dans une équipe m’a manqué. Tu as un métier de rêve, tu pilotes dans le monde entier. C’est devenu quelque chose de banal pour un pilote professionnel. Tu n’as pas toujours la meilleure voiture ni la meilleure équipe, mais le lien humain est toujours là. Quand tu es victime d’un accident grave, ta vie bascule car tout s’arrête du jour au lendemain.”
Votre mental d’acier vous a sauvé ?
“Le mental est une grande force pour s’en sortir. Pour ma part, cela m’a bien aidé. Chaque jour, tu te dis : ‘si j’avais ça’. Je ne regrette rien et il faut regarder vers le futur. Regarder le passé n’amène pas de positif. J’ai connu le haut niveau et des exigences élevées. Il y a une vie après le sport automobile et même dans le sport automobile. Sébastien Philippe en est le parfait exemple. Pour ma part, j’ai pris un peu de recul.”
Un peu de recul ne veut pas dire tirer un trait…
“Ce monde du sport auto est tout de même un peu fou. Je connaissais ses qualités et maintenant je vois ses défauts. Quand tu es dedans, tu ne le vois pas ou tu ne veux pas le voir. C’est une machine à laver qui peut t’essorer jusqu’à la la lassitude et le dégoût. J’ai rencontré tellement de gens brillants et tout cela est gravé sur une carte mémoire dans ma tête. Le temps passe, mais j’ai toujours l’impression d’avoir 25 ans.”
A suivre…