Alors qu’il se rétablit chez lui de l’intervention chirurgicale qu’il a subie récemment -le corps médical lui ayant prescrit un mois de repos, Henri Pescarolo a bien voulu néanmoins évoquer l’abandon qui n’en était pas un de sa Kouros-Mercedes C9 #61 lors des 24 Heures 1987, il y a trente ans désormais, cette édition 87 ayant eu lieu les 13 et 14 juin.
Henri Pescarolo : « C’est un petit peu pour moi l’esprit ”Dakar”. Avant de laisser une voiture en plan, je ne peux pas m’y résoudre tant que je n’ai pas essayé soit de la dépanner, soit de la ramener à un endroit où on puisse le faire.
La Kouros-Sauber avait un gros inconvénient, c’est qu’elle avait des transmissions un peu fragiles. Le moteur Mercedes avait un énorme couple, la voiture allait très bien, elle allait vite, aérodynamiquement elle était bien équilibrée, donc elle avait tout pour bien figurer pour Le Mans, mais on avait déjà eu des problèmes de transmission avant Le Mans, notamment sur les cardans à l’arrière. Dans la coquille qui contenait la boîte de vitesses, il y avait un tripode qui s’insérait dedans. Théoriquement, tout était bien étudié, mais le couple était tel qu’entre la théorie et la réalité… Le deuxième inconvénient, c’est qu’il n’y avait pas d’autobloquant sur cette Kouros, donc ça voulait dire que si la transmission cassait, c’était fini. Une voiture qui a un autobloquant efficace, tu peux la ramener, mais sans, rien à faire…
En sortant d’Arnage, à l’accélération j’ai senti je venais de casser la transmission, et sur mon élan , comme c’était un peu après Arnage, j’ai pu aller jusque dans l’échappatoire avant de rentrer dans les virages Porsche. J’ai ouvert le capot, j’ai regardé ce qui se passait et un mécano de chez Sauber arrivé en scooter. Il regarde la voiture en restant derrière les rails puisqu’il n’avait pas le droit de venir près de la voiture, je lui explique, et pour lui c’était évident, c’était un abandon puisque je ne pouvais pas ramener la voiture au stand.Il sort son téléphone, il appelle Sauber « abandon, transmission cassée » et il s’en va.
Moi, j’étais là en train de tourner autour de la voiture. Je me suis dit que je n’allais pas rester là à rien faire, ni rentrer à pied , que je pouvais bricoler. Sur les Sauber, comme sur beaucoup de voitures à l’époque, il y avait une trousse à outils. Je regarde un peu ce qu’il y avait dans la transmission, il y avait pas mal de dégâts, il n’y avait plus d’entraînement du côté de la roue. J’ai sorti tous les outils de la boîte pour voir ce qui pouvait convenir, pour être capable d’enfiler quelque chose dans la coque, pour essayer de resolidariser avec le tripode intérieur et de refaire . J’ai trouvé une clé à bougies, une clé à molette, un tas de trucs que j’ai essayé d’enfiler. Il y avait du rilsan, j’en ai mis pas mal pour consolider. J’ai essayé de démarrer et évidemment, j’ai tout explosé. J’ai recommencé avec autre chose, avec une clé à bougie, j’ai mis un maximum de rilsan. Ce n’était pas facile de démarrer, parce que je savais qu’il y avait un tel couple moteur que je devais démarrer avec un tout petit filet de gaz sous peine de tout exploser, d’autant plus que c’était en légère montée et que j’étais au fond de l’échappatoire. J’ai donc fait patiner l’embrayage au maximum, en donnant un tout petit filet de gaz et j’ai réussi à me remettre sur la piste. Ensuite, j’ai réussi en profitant de la descente à arriver jusqu’au stand. J’y vais directement . Et là, plus personne…Je ne comprends pas, j’ai même pensé que je m’étais trompé de stand. Sauber, en déclarant l’abandon, avait, en bon suisse, fait ranger le stand et tout nettoyer, le camion était pratiquement fermé… Le speaker ayant annoncé que je rentrais au stand, la porte se rouvre, les mécanos rappliquent complètement affolés. Le problème, c’est que Sauber avait signé la feuille d’abandon. Marcel Martin était Directeur de Course et a dit : “ce que vous avez fait, c’est exceptionnel, je vous autorise à continuer, vous n’avez pas abandonné”, et il a déchiré la feuille… On est reparti, on a cassé un peu plus tard et cette fois on a vraiment abandonné, mais tu vois, c’est tout de même une histoire amusante !”
Nous remercions vivement Henri pour son témoignage et toute l’équipe d’Endurance-Info lui souhaite un bon rétablissement.