Deuxième partie de l’entretien avec Harley Cluxton sur l’aventure Mirage/Grand Touring Cars.
Que pouvez-vous dire à propos de John Wyer ?
“Bien que je n’avais jamais pu voir les Ford GT40-Gulf 1968 et 1969 de John Wyer, j’avais lu tout ce qu’il y avait à lire et presque tout ce qu’on devait savoir sur John Wyer et son histoire.
J’ai été présenté à John pour la première fois par le vainqueur des 24 Heures du Mans 1968 avec une Ford GT40 Gulf-Wyer, mon bon coach de pilotage, Pedro Rodriguez, juste avant le départ des 24 Heures de Daytona 1970 (cela peut paraître stupide à dire maintenant, mais ça a été un grand honneur de voir et de sentir ma portière frôlée par Pedro et sa 917 Gulf).
Le team NART était installé dans les stands entre le team Gulf-Porsche et celui de la SEFAC Ferrari. Après que mon moyeu avant gauche ait explosé à deux heures du matin le dimanche, me catapultant hors du banking du Turn 3 dans l’infield, je me suis arrêté sur trois roues dans le Turn 4 et ça a été une courte marche pour revenir au stand du NART.
Je venais juste d’avoir deux années de réelle pression, et j’ai été sidéré de voir une énorme différence dans l’efficacité et la gestion de cette pression, en observant le Team Gulf et le Team Ferrari en action.
Quoi qu’il en soit, John Horsman -le Directeur Technique de John Wyer- m’a téléphoné quelques années plus tard depuis les installations du GRRC en me demandant d’appeler John Wyer, qui avait pris sa retraite et qui vivait dans le sud de la France, car John désirait me parler.
Je n’ai pas vraiment trouvé ça terriblement surprenant car nous nous parlions régulièrement tous les trois, ceci ajouté au fait des difficultés continuelles de John Wyer avec le système de téléphonie français. Au moment prévu j’ai appelé John Wyer, le temps seulement de l’entendre aller droit au but en me demander si je voulais acheter les Team Gulf-Mirage à Gulf Oil !!!
Cela prit dix minutes à John Wyer pour me convaincre qu’il ne plaisantait s, et quinze minutes de plus pour moi pour le remercier encore et encore de cet honneur. Cependant, je lui ai dit, encore et encore, que j’étais pratiquement certain de ne pas avoir l’argent nécessaire pour acheter le Team Gulf, et je ne voulais pas l’embarrasser et m’humilier.
Je crois que John Wyer et moi avons eu au moins trois coups de fil distincts pour discuter de la somme jusqu’à ce qu’il cède finalement et m’enjoigne d’appeler Gulf avec ma « fichue offre ».
Après avoir discuté des budgets pendant deux jours avec John Horsman et confirmé que le sponsoring était réuni, j’ai appelé Gulf Oil USA avec mon offre honteusement faible pour GRRC. Gulf accepta immédiatement, à la seule condition qu’après les 24 Heures du Mans 1976 je doive vider les installations de GRRC à Slough.
Avec l’aide inestimable de John Horsman (ci-dessus entre John Wyer et Harley Cluxton, en 1977 à l’Hôtel de France de La Chartre sur le Loir, avant les 24 Heures) -vainqueur et troisième des 24 Heures du Mans 1975 et deuxième et cinquième en 1976, le nouveau Directeur de Course de Grand Touring Cars, avec aussi l’aide supplémentaire des trois mécaniciens ex-Gulf nouvellement recrutés, nous avons pu relocaliser fin août 1976 tout ce qui appartenait à GRRC dans le nouveau quartier général de GTC, dans les mêmes installations qui abritaient la concession Ferrari GTC.
Mon mentor en course automobile, Consultant et mon bon ami, John Wyer et sa femme Toddy ont pu s’installer à Scottsdale, Arizona, deux années plus tard et, comme on dit, le reste appartient à l’histoire.
Je reste extrêmement fier, à cause de ce qu’il avait fait pour moi, du fait de n’avoir jamais mis mal à l’aise Mr Chinetti et ne l’avoir jamais laissé tombé délibérément. Et, tout aussi important pour moi j’ai pu garder les Mirage-Gulf de John Wyer, des Légendes du Mans , bien vivantes.
En 1977, vous êtes passé du bloc Ford au V6 Renault turbocompressé. Ce changement de moteur a-t-il demandé beaucoup de modifications sur les voitures. ?
“En règle générale, à chaque fois que vous déposez un moteur V8 atmosphérique et que vous installez un V6 turbocompressé refroidi, avec des transmissions de dimensions différentes, si vous utilisez le même châssis d’origine, ce châssis nécessite une reconfiguration importante, ainsi que ses accessoires (l’emplacement et le fonctionnement du radiateur d’huile, du radiateur d’eau), tout en repensant complètement l’aérodynamique et les changements à apporter sur la carrosserie afin de respecter (dans notre cas) la hauteur, la largeur et la longueur réglementaire, avec la boîte à air Renault (le moteur Renault Turbo, au Mans en 1978, ci-dessous).
Deuxième règle : identifier les problèmes et les zones à problèmes, leurs solutions et les corrections appropriées, le temps alloué à chaque solution, en regard du temps total dont vous disposez pour que tous les préparatifs du projet soient menés à bien et d’être prêts pour la mission, prêts pour la course.
Dans notre cas, étant donné le savoir-faire de John Horsman en matière d’ingénierie, les connaissances de son équipe ex-Gulf et de son histoire avec nos Mirages, ajoutés au flux d’information, aux conseils techniques et le soutien total de Gérard Larrousse, Bernard Dudot et de nos collègues de Renault Sport, je n’avais aucun doute que le passage au moteur V6 Turbo sur nos Mirage, même si c’était une nouveauté, soit une réussite. Cependant, en raison du temps restreint dont nous disposions, nous avons pris la décision de ne faire de modifications aérodynamiques majeures, mais à la place de mettre tous nos efforts pour que le moteur Renault et notre châssis Mirage travaillent comme une seule entité, afin d’obtenir 100% des performances du moteur et du châssis en les faisant travailler ensemble, plutôt que de les faire travailler l’un contre l’autre.
Bien que nous étions moins rapides que les A442 dans les Hunaudières, je crois que nous avons pris la bonne décision, ce qui a débouché sur la seconde deuxième place consécutive au général face à nos principales rivales, les Porsche 936 officielles.”
Quelle est actuellement la popularité des 24 Heures du Mans aux USA ? Est-elle plus forte, ou moins forte, au contraire ?
Vous posez une question personnelle et c’est très difficile pour un (ancien) avocat d’y répondre !
Pour être honnête, la dernière fois qu’une Mirage a couru au Mans (ou a essayé de courir), c’était en 1982 (ci-dessus) avec Mario,Michael Andretti et Philippe Alliot à bord de la Mirage M12 Group C, même si personnellement ce ne fut pas une expérience très agréable en raison de la politique (habituelle) qui y fut appliquée (ci-dessous en 1982, Mario Andretti, John Wyer, John Horsman, Michael Andretti et Harley Cluxton) .
La course la plus célèbre du monde se courait encore en 1982 sur le même circuit qu’en 1970 .
Remontons le temps jusqu’en 2011. Je revenais au Mans pour la première fois, ayant été invité par le Club des Pilotes de l’ACO. J’ai été franchement choqué pour mon retour de voir que Le Mans de Phil Hill, Dan Gurney, Jacky Ickx, Gérard Larrousse et Derek Bell, Le Mans rendu encore plus célèbre par le Le Mans de Steve McQueen, celui que j’avais vécu et respecté, avait disparu.
Je pense que la course la plus célèbre du monde est maintenant dénaturée avec un circuit qui semble maintenant avoir plus de chicanes que de virages !
Pour répondre à votre question, à mon avis, la popularité du Mans reste bonne aux USA à cause de la télévision, ceci ajouté au retour de Ford contre Chevrolet dans leur catégorie. Il va être très intéressant de voir comment l’ACO compte faire pour répondre à l’absence de Peugeot, Audi et Porsche en LMP1, avec des modifications de la réglementation qui vont finalement uniformiser le niveau pour les constructeurs indépendants.
C’est sûr cependant que Le Mans est toujours la course la plus célèbre du monde. Cependant désormais l’ACO est confrontée à une tâche presque impossible avec la perte de quinze années d’Audi et de cinq années de Porsche avec les dégâts faits au LMP1 avec leur départ qui laisse Toyota seul pour lutter contre la horde des LMP2 plus abordables financièrement, qui reniflent l’odeur du sang et qui se battent toutes pour une victoire au général dans la plus grande course du monde.”
Plusieurs Mirage courent (et gagnent) tous les deux ans au Mans Classic. Est-ce que GTC a encore quelque à voir dans leur préparation ?
“J’aimerais pouvoir dire que les affaires vont très bien grâce à notre soutien aux clients de Mirage dans les courses historiques, mais ce n’est pas vraiment le cas parce qu’elles continuent à gagner et que rien ne semble jamais casser !”
Nous remercions vivement Harley Cluxton pour ses propos et les photos d’archives. Nous remercions également Christian Vignon et Luc Joly pour leurs photos.