Henri Pescarolo, Hubert Auriol et Patrick Fourticq, trois aventuriers avec un grand A

En mai 2016, Henri Pescarolo avait reçu Endurance-Info chez lui pour couper le gâteau d’anniversaire des 10 ans du média. Au cours de la journée passée chez Henri et Madie, le quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans était revenu pour nous sur ses aventures aériennes en compagnie de Hubert Auriol, décédé aujourd’hui-même, et Patrick Fourticq. Retour sur une partie de l’entretien avec Henri qui nous a raconté son aventure avec Hubert Auriol.

Henri est passionné par l’aérien depuis plusieurs décennies. Il a même un hélicoptère chez lui : « Je l’utilise très fréquemment. C’est mon ultime espace de liberté. Sur la route, c’est fini, tu n’es plus libre de rien. Tu es tellement sous contrôle. Avec l’hélico, rien de tout cela. Tu n’as pas de plan de vol à déposer. Tu décolles quand tu veux et tu vas ou tu veux, comme tu veux ! C’est LA liberté, ça me convient parfaitement. » 

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« Moi, ce que je voulais par-dessus tout, c’était voler, être pilote de chasse ! La voiture, c’est venu de manière fortuite, personne dans ma famille n’était connaisseur de course automobile même si mon père aimait les belles autos. Mais ce que je souhaitais, initialement, c’était de devenir pilote d’essai dans l’aéronautique. Je voulais donc faire des études supérieures afin d’y parvenir : Maths LM, Maths Sup, Maths Spé. Malheureusement, ma mère est décédée pendant que je faisais Maths LM et cela m’a coupé un peu les ailes. J’étais tout de même accepté en Maths Sup mais étant un peu trop juste en maths suite à mes problèmes, je ne m’y projetais pas trop. Je ne savais plus trop quoi faire et c’est ainsi que je me suis retrouvé en médecine ce qui ne me passionnait pas du tout même si je réussissais mes examens. C’est là que j’ai entendu parler de l’opération “Ford jeunesse” sur Europe 1 et que je me suis lancé vers la voiture parce que j’étais ouvert à tout. Mais j’avais toujours les avions dans la tête. En marge de ma carrière de pilote automobile, je volais, j’avais mon brevet de pilote mais j’avais abandonné toute idée de vivre de véritables aventures dans le domaine de l’aviation.

Des courses d’ULM pour commencer…

Et puis un jour, je vois arriver Hubert Auriol accompagné d’un mec qui marchait avec des béquilles. Hubert me dit : “on a un projet : faire une équipe de course d’ULM.” C’était encore totalement inconnu en France à cette époque l’ULM. Je lui réponds : “c’est quoi l’ULM, c’est pas dangereux ?” Et le mec aux béquilles, Patrick Fourticq me répond : “Non, non, ce n’est pas dangereux. Bon,je viens de me péter le genou mais ce n’est pas dangereux !” Au même moment, le groupe Moët et Chandon avec qui j’étais très lié, souhaitait faire la promo de son nouveau vin donc il décide de nous soutenir. Nous avions d’abord trois puis quatre ULM aux couleurs de différents alcools du groupe Moët. Nous faisions toutes les courses d’ULM qui se présentaient et nous étions la première équipe véritablement organisée avec un motorhome, un hélico qui nous suivait. »

« Le motorhome était rempli de Champagne, l’hélicoptère me permettait d’emmener des journalistes, c’est ainsi que j’ai moi aussi découvert ce monde là, » ajoute Madie. « Les autres équipes n’en revenaient pas de ce que nous pouvions faire. En plus, ils gagnaient, les résultats étaient là ! » « C’était vraiment l’aventure, » reprend Henri. « Il y a eu quatre morts tout de même durant le Tour de France en ULM… Par la suite, nous avons battu un record Paris-Londres. C’était retransmis en direct sur TF1 !

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Là-dessus, les dirigeants du groupe Moët, ravi des retours qu’ils obtenaient, nous disent : “C’est formidable. Que pouvez-vous faire de mieux ?” Alors nous : “Mieux ? C’est l’avion ! » Or un organisateur lançait une course Paris-Libreville en avion. Patrick, qui était déjà fou d’informatique, a rentré toutes les données de tous les avions existants. Il en conclut que pour gagner la course, il nous faut un Piper Malibu. Or cinq seulement avaient alors été construits dans le monde. Patrick, qui ne doute jamais de rien, décide d’appeler les cinq propriétaires pour leur demander de nous prêter leur avion ! Mais c’est un avion monomoteur, très rapide et très haut de gamme. Donc les gars qui avait acheté cet avion le considérait comme son jouet ! Et lui leur demandait de prêter leur avion à des français, eux qui ne devaient même pas savoir ou se situait la France. Pour faire une course vers Libreville, eux qui ne devaient même pas savoir que le Gabon existait ! Donc sans surprise, il essuie quatre refus avec les quatre premiers… Mais le cinquième était très sympa. Il avait fait fortune dans la fabrication du Beryllium en Californie. Il écoute Fourticq et lui dit : “Il faudrait qu’on se voit.” Patrick lui répond : “Je suis là demain matin.” “Ah bon, vous êtes en Californie ?” “Non, non, mais je serai là demain !” Patrick saute dans un avion et il réussit à séduire le gars.

Record sur l’Atlantique !

Il fallait donc ramener l’avion en France. Et là on se dit que c’est quand même dommage de faire un si long voyage sans en faire quelque chose de bien. Donc on demande à Moët de rallonger un peu le budget afin d’établir trois records en monomoteur : Los Angeles- New York, New York-Paris et Los Angeles-Paris. Ils acceptent. Donc on se lance dans une préparation d’enfer. Il fallait remplir l’avion au max de carburant. Pour cela, on retire les sièges, les revêtements et on rajoute des réservoirs de partout. Le gars voyait son avion se transformer, son beau jouet. Mais c’est un mec génial, que l’on revoit encore d’ailleurs, et il nous laisse faire.

Nous faisons donc Los Angeles-New York sans trop de problème. Là, Patrick s’occupe de la paperasse pour la traversée de l’Atlantique. Pendant ce temps là, je refais tous les pleins de l’avion. Puis je l’inspecte. Et là, premier miracle, je vois quelques gouttes d’huile sous le moteur ! Patrick étant occupé, je cherche une solution. Il est minuit et je vois des lumières dans un atelier en face sur l’aéroport. Je remets les moteurs du Piper en route et je me dirige vers le hangar. Les gars m’ouvrent, ils bossaient encore ! Je leur explique qu’on est en train de tenter de battre un record entre Los Angeles et Paris. Ils me regardent comme si j’étais un martien ! Je leur parle du problème et les gars, amusés, décident de m’aider. On démonte tous les capots et là on accède au moteur à plat. On découvre que tous les boulons étaient en train de se desserrer ! Sans les gouttes d’huile, on allait droit dans la patouille, le moteur allait s’ouvrir en deux ! Les gars resserrent donc tout avec du Loctite et je ramène l’avion.

Là, Patrick arrive. Deuxième miracle. Consciencieux comme le co-pilote Air France qu’il était, il inspecte de nouveau l’avion même si je l’avais déjà fait ! Il arrive et il me dit : “Tu déconnes, je t’avais dit de faire les pleins !” Je lui réponds que je les ai bel et bien faits ! Mais il me montre et effectivement, ce n’était pas plein ! On a compris pourquoi plus tard. Les réservoirs sont compartimentés et de petits orifices permettent à l’essence de passer de compartiment en compartiment. Or le débit de ces trous était plus faible que celui de ma pompe ! Donc on remplissait plus vite le premier réservoir que les suivants. Et une fois plein, j’ai cessé de le remplir mais il a continué de se déverser dans les autres ! Or, nous savions que nous avions besoin de la capacité maximum en carburant pour traverser l’océan. Nous avions entre 15 et 16 heures d’autonomie et on fait la traversée en 14 heures 1 minute… Nous aurions pu tomber à l’eau avant de toucher les côtes…

Plongée vers l’Océan !

Bref, on décolle vers Paris. On avait choisi une période ou il y a un maximum de dépressions pour aller plus vite. Donc la patouille en bas, c’était des creux de 15 mètres ! Au milieu de l’Atlantique, on devait faire un point en direct avec les journalistes. C’était en direct sur France Inter. L’interview commence et là, le moteur se met à ratatouiller. Et les journalistes l’entendent ! Bon, je dis à Madie : “on a un petit problème, je te rappelle.” Le moteur perdant de la puissance, on passe sous la couche. Donc ça tabasse. Moi, j’étais au pilotage et Patrick tentait tout ce qu’il pouvait pour relancer le moteur. Et la descente continue, de plus de 3000 mètres. Là, on commence à se dire qu’on y va tout droit. Dans des vagues de 15 mètres avec les réservoirs encore à moitié plein ! On descend, on descend et ça dure plus d’une minute. Pendant toute cette minute, tu sais que tu es mort ! C’est quand même quelque chose… C’est là une grosse différence par rapport à l’automobile ou un accident ne dure au pire que quelques secondes avant tout n’explose. Ton cerveau turbine à toute vitesse mais c’est très court. En avion, tu as le temps de cogiter un maximum, de réaliser ce qu’il t’arrive mais il faut tout de même garder son calme pour tenter de se sauver…

On n’était plus qu’à environ qu’à 400 mètres de la mer lorsque, troisième miracle, le moteur a commencé à retrouver un peu de souffle. Patrick modifie encore un peu les réglages et on retrouve la pleine puissance. Ouf ! On remonte donc au-dessus de la couche et là, on décide de rappeler Paris. Plus de radio !!! Impossible de les joindre… Or ils avaient tous entendu qu’on avait des problèmes. » Madie raconte la suite « Et là, les journalistes me demandent : quand est-ce que l’on peut annoncer leur mort ? Ouch ! Pendant ce temps là, au Bourget, nous avions 200 invités qui les attendaient ! » « Ils ont fini par penser que l’on pouvait s’en être sorti lorsqu’un radar irlandais a signalé un écho non identifié qui n’était pas un avion de ligne… On suppose que le problème est venu lors d’un transfert de carburant d’un réservoir à un autre, ce que l’on devait faire régulièrement au fur et à mesure que les réservoirs se vidaient afin de rééquilibrer l’avion… Mais cette longue descente vers la mer, ça reste un moment très, très fort. L’Aventure avec un grand A, c’est rigolo.

Bref, on battu les records, puis on a gagné ensuite Paris-Libreville… Grâce à tous les potes pilotes de Patrick qui étaient déjà postés en Afrique, là ou nous aurions besoin de carburant. Ils avaient déjà fait toutes les opérations de dédouanement ce qui nous faisait gagner un temps considérable à chaque arrêt car c’est de la paperasse compliquée en Afrique.

Toujours plus fort, toujours plus loin !

Et là, le groupe Moët, aux anges avec nos exploits, en veut encore plus ! C’était dur de trouver mieux que cela pour nous. Mais à ce moment là, Patrick visite le musée Howard Hughes à Los Angeles. Il me dit : “J’ai trouvé. On va battre le record du tour du Monde de Hughes avec le même avion !” Nous voilà donc embarqués dans l’aventure avec Hubert Auriol et Arthur Powell.

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Mais c’était compliqué parce qu’il nous fallait retrouver un Lockheed des années 30 ! Patrick met la mais sur un Lockheed 18, utilisé plus tôt par des contrebandiers mais qui ne volait plus depuis longtemps, et c’était reparti pour la grande Aventure. D’ailleurs, plus que le record, c’est le rapatriement de l’avion en France pour sa préparation qui était le plus difficile. Il était brut de fonderie, plus rien ne marchait dedans. Donc on procède à quelques réparations sur la base de Fort Lauderdale. Là, en surveillant tout cela, je vois quelques monoplaces d’Indycar dans un hangar et je me demande ce qu’elles faisaient là. C’était les voitures des frères Whittington ! (propriétaires un temps de Road Atlanta, victorieux au Mans en 1979 et ayant ensuite fait de la prison pour trafic de drogue!)

Nouvelle descente vers l’Océan !

Après les réparations, il fallait donc ramener le Lockheed en France. Et là encore, au milieu de l’Atlantique, rebelote, les deux moteurs se mettent à ratatouiller et on plonge ! Mme Fourticq, qui était de ce vol et habituée des aventures, ne s’affole pas. Elle prépare les canots de sauvetage à l’arrière de la cabine ! Juste avant d’arriver dans la flotte, on voit passer un voilier. Puis, comme par miracle, on retrouve à nouveau de la puissance. En fait, on venait de traverser une zone de givre et comme on volait assez haut, les prises d’air avaient gelé et le mélange ne brûlait plus. En descendant, ça a dégelé et ça s’est remis à fonctionner. Pendant ce temps-là, Florence Arthaud gagne la route du Rhum, privée de radio depuis plusieurs jours. Elle voit un gros avion qui la survole, pensant qu’on la recherche. En fait, c’était nous qui tentions d’éviter d’aller se foutre à l’eau ! Et on s’en est rendu compte, en discutant ensemble, quelques années plus tard…

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Bref, on arrive en France, on prépare l’avion et le vol pendant des mois et là, patatras, un couillon d’allemand se pose sur la place Rouge à Moscou en pleine guerre froide ! Du coup l’URSS licencie ses généraux et ferme son espace aérien car ça ne fait pas très sérieux de voir un petit avion se poser là sans qu’aucun radar ne l’aie détecté ! Donc ça fout tout notre plan de vol en l’air… Et c’est encore Patrick qui trouve la solution : “On va faire le tour du Monde, mais puisqu’on ne peut plus suivre l’itinéraire de Hughes, on va passer faire la même distance mais en passant par le pole Nord !” Donc un vol sans instrument puisqu’au pole, tu n’as plus d’indications fiables ! Pas facile… C’était beaucoup plus difficile que Hughes du coup puisque nous ne bénéficions plus des vents portants comme lui avait pu les avoir en volant d’Ouest en Est… Les escales comptent dans le temps total donc les pleins étaient tout un sport. Remplir les réservoirs à la pompe Jappy, ça fait les bras… On a battu le record mais de peu… (en 88 heures contre 91 à Hughes) C’était une belle aventure.

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Mais pendant le vol, en France, la loi Barzach est votée, mettant un terme à la publicité à la télé pour les alcools. Ça a mis un terme à nos aventures. C’est dommage parce que le projet suivant était encore plus fou : faire, toujours avec le Lockheed, un tour du Monde par les deux pôles en suivant le méridien de Greenwich ! On avait tout signé avec TF1, tout était prêt et tout s’est arrêté à cause de cette loi… Et puis Patrick est décédé jeune, quelques années plus tard (en 2003), emporté par un cancer, j’ai perdu mon coéquipier… »