Nous ouvrons aujourd’hui le premier volet de l’un des chapitres consacrés à Henri Pescarolo. Le quadruple vainqueur des 24 Heures du Mans a gentiment accepté d’évoquer ses 24 Heures 1968, 1978, 1988, 1998 et 2008. Nous commençons donc aujourd’hui par l’édition 1968, la seule qui se soit déroulée en septembre -et même en automne- les 28 et septembre exactement, en raison des événements du mois de mai, alors que cette édition était à l’origine programmée les 15 et16 juin 1968.
Commençons donc aujourd’hui par 1968. C’est la fameuse année où Henri faisait équipe avec Johnny Servoz-Gavin sur une Matra MS630. La voiture étant tombée en panne d’essuie-glaces, Henri Pescarolo conduisit toute la nuit sous la pluie et sans essuie-glaces, remontant même à la deuxième place avant d’abandonner sur crevaison entre Indianapolis et Arnage.
Henri, est-ce que le report des 24 Heures de juin à septembre a changé quelque chose dans la préparation de la Matra ?
“Non, ça n’a pas changé grand chose, car la voiture était prête pour le mois de juin, et il n’y a rien eu de changé pendant les mois de juillet et d’août, nous n’avons pratiquement pas roulé entre juin et septembre.”
Et la course de septembre, avec une nuit plus longue et plus fraîche, avait-elle changé la donne ?
“En principe, la longueur de la nuit n’a pas vraiment d’importance, la nuit il fait plus frais et le moteur tourne bien et chauffe moins. Ce qui a complètement changé en 1968, c’est la météo et la pluie battante qui, conjuguées à l’obscurité, ont rendu les choses difficiles.”
Pourquoi Matra n’avait-il engagé qu’une seule voiture ?
“La réglementation avait changé et la cylindrée des protos était limitée à trois litres maximum. Faire une voiture capable de gagner au Mans, c’est très dur et l’engagement de Matra, c’était une préparation pour l’avenir, une première étape importante du programme Le Mans de Matra.”
La MS630 s’était qualifiée avec le 5ème chrono. Qui avait fait le chrono ? Servoz-Gavin ou vous-même ?
“C’est Servoz, il était le pilote de développement de la Matra, il avait beaucoup roulé avec la MS630 et la connaissait donc bien.”
Robert Mieusset avait piloté la Matra à Spa. Pourquoi n’a-t-il pas couru également au Mans ?
“Comme il n’y avait qu’une seule Matra engagée, c’était logique que Servoz-Gavin pilote la voiture. De plus, Robert n’était pas vraiment axé sur une carrière en Protos.”
Vous êtes partis prudemment, 16èmes après une heure de course. Quelle en était la raison ? Stratégique, incident ?
“Je ne me souviens pas, il a dû y avoir un petit problème, un incident, car il n’y avait pas de consignes de prudence particulières.”
Après la panne d’essuie-glace de la Matra, Johnny Servoz-Gavin ne voulait plus la piloter, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre le volant quand même ? Quelle était la visibilité dans le cockpit ? Qu’est-ce qui était le plus dur ? La vitesse, le trafic ? Avez-vous connu quelques frayeurs ?
“Ce n’est pas que Servoz-Gavin ne voulait pas conduire la voiture, c’est qu’il ne pouvait pas ! Il n’y voyait rien. Mais quand Jean-Luc Lagardère est venu me chercher pour me dire que le moteur de la Matra était hors d’usage, j’ai pensé tout de suite à l’abandon, mais quand il m’a dit que c’était le moteur de l’essuie-glaces, j’ai trouvé ça risible, et je me suis dit qu’on n’allait pas abandonner pour un problème d’essuie-glaces. Je suis donc parti prendre le volant, j’ai croisé Servoz qui m’a dit que ce n’était pas possible, qu’on n’y voyait rien du tout, mais je suis parti quand même.
Un pilote, et surtout un pilote d’usine, une de ses préoccupations, c’est de ne pas faire de fautes et de ramener la voiture. Si tu fais une ou deux fautes graves, tu peux te faire virer. Tandis que là, j’étais tranquille, je savais qu’on me remercierait pour ce que je faisais. C’est vrai qu’on n’y voyait pas grand chose, et je suis parti en me disant que c’était peut-être le dernier tour, mais les tours s’enchaînaient. Ce qui était difficile, c’était les dépassements parce que quand tu arrives derrière une voiture, avec tous les embruns qu’elle dégage, surtout que ça tombait fort, tu ne savais qu’au dernier moment si elle était à gauche ou à droite de la piste ! Et comme j’allais vite, j’en doublais beaucoup…Il y a un des pilotes qui m’a dit avoir pensé qu’il y avait trois Matra en course comme je le doublais tous les trois tours !”
La Matra a été dans le tiercé de tête pendant plus de la moitié de la course. Avez-vous un moment envisagé la victoire ?
“Non, honnêtement, j’étais totalement concentré sur ma course, je ne connaissais pas ma position, de toute façon avec la pluie je ne voyais pas les panneautages et je ne crois pas qu’au cours de mes arrêts au stand on ait parlé classement. Je prenais la course tour après tour.”
La première crevaison était due à des débris sur la piste, qu’est-ce qui s’est passé pour la deuxième qui a entraîné l’abandon ?
“C’était la même crevaison en fait. La première, à l’avant gauche, c’est quand je suis passé sur des débris. Mauro Bianchi, avec son Alpine A210, s’était crashé dans les Esses du Tertre Rouge, la voiture avait pratiquement explosé et il y avait des débris partout, donc j’ai eu une crevaison lente. L’erreur du stand, ça a été de ne changer que le pneu crevé, parce que dans le cas d’une crevaison lente provoquée par des débris, il vaut mieux changer les deux pneus du même côté car il y a toutes les chances que l’autre pneu ait été affecté par les mêmes débris. Et c’est ce qui s’est effectivement passé. De plus, il y avait un défaut de conception sur la Matra, la batterie était tout près du pneu et la crevaison a provoqué des dégâts irréparables, avec un début d’incendie. Il n’y avait plus rien à faire.”
Le prochain article, logiquement, évoquera la course de Henri sur une Porsche 936 officielle.