Faisons un nouveau saut de dix années et retrouvons l’année 1998. Après une Matra officielle en 1968, une Porsche usine en 1978 et une Jaguar officielle sous l’égide TWR en 1998, Henri Pescarolo est de nouveau au volant d’une voiture française, une Courage C36 Porsche, engagée par la Filière.
La Courage-Porsche que tu pilotais avec Olivier Grouillard et Franck Montagny était sous la bannière de La Filière, comme en 1997. Comment s’était fait l’engagement de cette Courage ?
“L’engagement de la Courage était totalement indépendant, comme c’était déjà le cas l’année précédente, de Courage Compétition. La Filière, installée dans le Technoparc, préparait les jeunes pilotes à des carrières en monoplace, la Formule Campus, la Formule Renault,, la Formule 3 et bientôt la Formule 3000. Et pour préparer ces pilotes à la Formule 3000, avec des voitures déjà très puissantes, je me suis dit que puisqu’on était au Mans, on pourrait peut-être les engager aux 24 Heures, avec des voitures très puissantes elles aussi ce qui leur permettrait plus tard d’être plus à l’aise en Formule 3000. J’ai donc convaincu Daniel Trema, qui était chez Elf le responsable de la Filière, de préparer, sous ma responsabilité, une voiture pour Le Mans sous la bannière de la Filière. Tout naturellement, j’ai sollicité Yves Courage, qui était notre voisin à La Filière, car je savais qu’il construisait de très bonnes voitures, et on lui a acheté une voiture. Dans mon esprit, l’engagement de cette voiture, c’était pour nos mécaniciens,qui avaient travaillé sur les Campus, les de Formule Renault, les Formule 3, l’occasion de les aguerrir en les faisant préparer et entretenir une grosse voiture au Mans.”
La Courage #15 était une C36 au contraire de la #24 de Terada /Fréon/Thévenin. Etait-ce le même châssis qu’en 1997 ? Quelles étaient les principales différences entre la C36 et la C41 ?
“En 1998, c’était effectivement le même châssis qu’en 1997. C’était une C36. Le moteur 3 litres venait de chez Joest alors que ceux des Porsche 911 GT1 officielles étaient des 3,2 litres, des nouveaux moteurs, totalement différents. Nous, on avait récupéré chez Joest un ancien moteur d’usine. La C38 et la C41 étaient totalement différentes. La C41 était une nouvelle voiture, dessinée par Paolo Catone, alors que la C36 était une ancienne voiture dont l’aérodynamique devait beaucoup à André De Cortanze. La C36 était en quelque sorte dérivée des Protos Courage fermés. L’avantage, c’est que c’était une voiture au point, qui devait être fiable. La déco avait été réalisée par Elf. Par raport à 1997, la voiture n’avait pas beaucoup évolué, on n’avait pas trop les moyens, de plus Yves Courage travaillait déjà sur la C41, on s’est contenté de fiabiliser la C36. Pour moi, prendre le volant de cette Courage, c’était le moyen de passer le témoin aux jeunes pilotes de la Filière.
La responsabilité technique pendant les 24 Heures était exclusivement du ressort de la Filière. Pierre Daveau, qui appartenait à l’Education Nationale, était le responsable technique de la Filière et il y avait déjà l’ossature de ce qui allait devenir Pescarolo Sport. Les techniciens qui ont oeuvré pendant ces 24 Heures étaient ceux qui s’occupaient des Formule Renault et des autres voitures de la Filière et qui m’ont suivi quand j’ai créé Pescarolo Sport. La gestion technique de la course a été très collégiale.”
Vous aviez pris un bon départ, avant de perdre un peu de terrain avant la nuit. Que s’était-il passé ?
“On avait effectivement fait un très bon début de course, et puis ensuite on a eu des ennuis de transmission, je ne sais plus pourquoi. La boîte Porsche c’était pourtant quelque chose de solide, mais on a eu beaucoup de problèmes, ça a été un excellent entraînement pour les mécaniciens de la Filière, parce qu’ils ont beaucoup bossé ! Cela nous a pris beaucoup de temps, mais on a quand même terminé la course. C’est dommage qu’on ait eu ces problèmes de transmission parce que, potentiellement, on avait une auto qui pouvait faire cinq, sixième.”
Comment se sont comportés vos jeunes coéquipiers, Franck Montagny et Olivier Grouillard ?
« Ils ont été fantastiques. Ce qu’il y a eu de bien avec l’engagement de la Filière, puis plus tard avec Pescarolo Sport, c’est que la plupart des pilotes sont devenus pilotes d’usine. »
Les 911 GT1 étaient vraiment beaucoup plus performantes que les Courage Porsche ?
« Oui, d’une part parce que c’étaient des voitures toutes récentes, avec une aérodynamique très étudiée, avec en plus un nouveau moteur beaucoup plus puissant que les nôtres. Notre Courage datait un petit peu à côté. »
Pensez-vous déjà en 1998, votre avant-dernière année au Mans comme pilote, devenir constructeur comme Yves Courage ?
« Ah non, pas du tout ! Ce qui m’a fait monter ensuite mon écurie, avant que je devienne constructeur, ça a été la détérioration calamiteuse de l’ambiance dans la Filière. Quand Elf a été racheté par Total, alors que j’avais initié le projet d’Endurance à la Filière en voulant l’inscrire dans la durée, il s’est passé deux choses presque concomitantes : je suis parti faire le Paris Dakar et j’ai été pratiquement parti pendant un mois et des poussières, et pendant ce temps-là un pilote italien, Fulvio Ballabio, a convaincu Daniel Trema et Elf de faire une Filière bis en Italie, avec des petites voitures, des Centenari. Quand je suis rentré du Dakar, j’ai appris que la Courage avait été enlevée des locaux de la Filière et on m’a appris que dorénavant il y aurait une Filière endurance en Italie avec Fulvio Ballabio. C’était vraiment un coup de poignard dans le dos, surtout que je savais que par rapport aux Courage, les Centenari ne supportaient pas la comparaison et en plus on perdait tous les pilotes qui avaient grimpé les échelons jusqu’à la Formule 3000. C’est ce qui m’a convaincu de partir de la Filière. La seule ambition des nouveaux propriétaires de la Filière, Total, c’était de se débarrasser de la Filière. On s’est donc réuni avec toute l’équipe de base qui était autour de moi et on s’est dit, puisque la Filière est en train de chuter, on va monter notre propre écurie. Donc, en 1999 on a engagé une voiture extérieure à la Filière, l’engagement portant le nom de Pescarolo Promotion Racing Team, une Courage C50 Porsche, basée sur la C41.
Pour revenir à la question de base, en 1998, j’étais pleinement concentré sur l’engagement de la Courage de la Filière et je n’avais jamais imaginé une seconde que je pourrais créer mon écurie, car à ce moment-là je me sentais très bien au sein de la Filière. »