Passer quinze jours hors d’Europe au XXIe siècle peut paraître simple. Un billet d’avion, un hôtel, une location de voiture et un passeport en règle. Voyager est devenu tellement simple. L’habitude fait que vous partez au bout du monde des dizaines de fois par an comme vous allez acheter votre baguette de pain. Cette règle était vraie jusqu’en mars dernier.
Depuis, plus un avion, plus un tampon sur le passeport, plus une valise perdue, plus un seul décalage horaire. Il y a tout de même eu quelques opportunités avortées.
L’Asian Le Mans Series est l’occasion de sortir de l’Espace Schengen pour la première fois en un an. Le calendrier veut que le vol pour Dubai ait lieu un an jour pour jour après le retour d’Australie. Croyez-le ou non, mais on oublie vite les habitudes. La préparation demande plus de minutie pour ne rien oublier. Prévoir l’imprévu est tout sauf simple en cette période de pandémie. Quand vous avez passé du temps entre trois personnes peu souriantes du gouvernement américain dans un train entre Montreal et New York, qu’on vous a confisqué votre passeport et qu’on menace de vous sortir du train illico presto alors que vous êtes en vacances en famille, vous essayez de prévoir l’imprévu.
Dans le monde COVID-19, le passeport ne suffit plus. Vous devez être muni d’un test PCR négatif de moins de 48 heures sur papier en français et anglais, une attestation de sortie du territoire pour motif impérieux, une lettre du promoteur du championnat qui explique que votre présence est requise, une assurance personnelle qui couvre les frais liés au COVID-19 (français et anglais), une assurance personnelle qui peut vous rapatrier dans le monde entier (français et anglais). Le passeport deviendrait presque secondaire. Bien entendu, il vous faut un paquet de masques chirurgicaux. Ready to go…
Deux solutions pour monter à Roissy CDG : train ou voiture. Le train est bien plus rapide, mais en 15 jours, il peut se passer bien des choses en France. Il suffirait qu’on reparte pour un confinement dur et que des trains soient annulés pour que le retour se corse. La voiture est donc privilégiée avec le plein de carburant avant d’arriver à Paris pour assurer le retour. Si le déplacement doit durer 15 jours, psychologiquement, je pars pour un mois minimum. Se retrouver isolé dans un hôtel est une possibilité, soit en tant que positif, soit en tant que cas contact. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Par mesure de précaution, mon ordinateur est chargé de sujets à rédiger pour passer le temps en quatorzaine et mon abonnement Netflix est bien valide.
Roissy est désert ce dimanche matin. Il faut déjà montrer son billet pour avoir accès au terminal. Une fois dans le T3, aucun contrôle supplémentaire si ce n’est celui de baisser son masque au contrôle du passeport pour vérification de l’identité. Personne ne m’a demandé si je partais à Dubai pour le travail ou des vacances. Rien, pas une question. Personne n’a contrôlé si mon test PCR était négatif ou positif. Le seul contrôle était la date du test.
L’avion est aussi désert que le terminal. En un an, ce qui n’a pas changé, c’est la pauvreté des films sur les vols Air France. Un vol de 6h40 passe généralement très vite. Celui-ci m’a semblé durer 24 heures, un peu comme quand vous allez en Californie pour la première fois. Une fois arrivé à Dubai, l’aéroport est aussi désert qu’à Roissy. Le hub de Dubai est pourtant l’un des plus fréquentés de la planète en temps normal. Le premier barrage vous demande votre test PCR négatif et pas question de l’avoir en numérique. C’est sur papier ou rien.
L’avion arrivait à 23h20 et il fallait que le passeport soit tamponné avant minuit sous peine de perdre un jour pour passer de Dubai à Abu Dhabi. Même si les deux villes font partie du même pays, une frontière terrestre a été installée et il est impossible de passer d’une ville à l’autre avant le 11e jour sur place. Sans savoir comment les formalités allaient se dérouler à Dubai, l’idée était de réserver un siège le plus possible à l’avant de l’avion pour sortir dans les premiers pour rejoindre le guichet avant minuit. Une nouvelle fois, prévoir l’imprévu.
Mission accomplie pour le tampon avec 15 minutes d’avance, ce qui donne un peu d’air pour passer à Abu Dhabi. Franchir l’immigration est une formalité, toujours avec la même gentillesse bien loin de ce qu’on connaît en France. Il reste la voiture de location à prendre et direction l’hôtel tout près du circuit. Ma bonne connaissance de la ville me permet de me passer de GPS, mais si en France il faut 40 ans pour construire une autoroute, à Dubai il faut moins d’un an pour déployer de nouveaux échangeurs. Ce qui était il y a 14 mois une ligne droite est devenu un immense échangeur. Il est minuit passé et il fait 22°C. Pandémie ou pas, la température est toujours aussi agréable en février.
Le lendemain, place aux choses sérieuses. Couvrir l’Asian Le Mans Series aux Emirats Arabes Unis est une chance, surtout avec 36 autos. Comme sur les autres circuits depuis la reprise des compétitions, pas d’accès aux garages, le respect de la distanciation sociale, le port du masque et le lavage des mains. Le plus frustrant dans le monde d’après est le manque de chaleur dans un paddock malgré les 26°C. Plus question de passer d’un stand à l’autre, d’échanger autour d’un café. Vous conduisez vos interviews en extérieur. Reconnaître des gens avec un masque peut s’avérer compliqué, qui plus est pour moi qui ne suis pas physionomiste en temps normal. Tout le monde joue le jeu et on sent le sourire derrière les masques. Le paddock est content d’être là même si tout n’est pas gagné. Dans la région, on ne rigole pas avec le virus et tout peut s’arrêter en cas de souci. Donc, on respecte tous les consignes. Endurance-Info couvre l’Asian Le Mans Series depuis maintenant près de 10 ans et s’il y a bien une chose qui est restée intacte, c’est clairement la convivialité, COVID-19 ou pas.
Chaque année, le paddock de l’Asian Le Mans Series fait penser à une colonie de vacances en déplacement. Cette saison, vous voyez les mêmes personnes durant 15 jours. A Dubai, le paddock a découvert quelque chose de fou qu’on appelle un restaurant. Vous pouvez choisir votre repas et on vous amène à manger. Vous avez des tables espacées, des gens mangent, échangent et sourient. Si vous saviez le nombre de personnes qui m’ont dit : « wow, on a mangé au restaurant. » Ce qui était banal est devenu exceptionnel. Je m’étais marré en lisant la chronique de François Perrodo qui avait redécouvert les restaurants en janvier lors des 24H de Dubai. Il avait bien raison l’ami Fanche.
Le clou du clou est d’avoir roulé en Renault 5 Turbo 2 à Dubai grâce à GP Extreme. Il est bien ce monde d’après, tu manges au restaurant, tu roules en R5 Turbo 2 et il fait 25°C en février. Tu fais même tes 60 km de vélo dans le désert chaque matin jusqu’à l’arrivée du brouillard dès le troisième jour. Ce déplacement m’a aussi permis de visiter une collection privée de voitures toutes aussi folles les unes que les autres, dont certaines que vous n’avez jamais vu, et pour cause car elles ne sont pas encore sorties. Pas d’adresse pour y aller, juste un point GPS. L’endroit est situé dans des entrepôts vierges de toute signalisation à l’extérieur de la ville. C’est ça aussi Dubai.
Une fois le meeting de Dubai terminé, la caravane Asian Le Mans Series prend la direction d’Abu Dhabi pour deux nouvelles courses. Avant cela, tout le monde doit aller se faire mettre un coton-tige dans le nez. Si la chose est parfaitement bien organisée directement sur le Dubai Autodrome, ce n’est pas simple que cela car le test doit avoir moins de 48 heures. Il faut donc trouver le bon créneau pour être sûr d’avoir le résultat avant de passer à Abu Dhabi afin de ne pas dépasser les 48 heures. L’heure du prélèvement fait foi. Pour ma part, j’attends le lundi pour un départ le mercredi. Le souci est que le prélèvement a eu lieu à 10h10 et que le départ vers Abu Dhabi est prévu le mercredi à 9h. Si je franchis la frontière après 10h10, c’est retour à la case départ. Par chance, il y a une possibilité de départ à 7 heures.
Pour passer de Dubai à Abu Dhabi, au sein du même émirat, un poste frontière a été installé et vous devez montrer patte blanche : passeport et test PCR négatif de moins de 48 heures. Ceux qui sont passés avant le 11e jour ont été refoulés et ceux qui sont passés après les 48 heures ont été… refoulés. C’est assez déroutant car on a l’impression d’être dans une zone assiégée. Là, pas question de rigoler.
Une fois arrivé sur le circuit de Yas Marina à Abu Dhabi, il faut refaire un nouveau test PCR. Un endroit dédié a été installé sur le circuit, mais il est conseillé d’y aller en voiture car c’est à l’autre bout du circuit. Alain Tannier, que tout le paddock connaît, et moi décidons de prendre un taxi pour aller se faire curer le nez une énième fois. Il y a trois files en drive, mais la nôtre se ferme très vite. Même si nous sommes la 6e voiture, cela prend du temps, beaucoup de temps. Pas mal d’équipes et de pilotes font la queue comme nous dans plusieurs voitures. Les petits malins qui étaient derrière nous et qui avaient des membres d’équipes devant nous en ont profité pour passer dans la voiture de devant. Voilà comment on s’est fait faire le frein. J’ai les noms des rebelles. Un jour, ça se paiera. Nous avons attendu 3h30. Oui oui 3h30 pour faire 4 km en taxi. Le compteur du taxi n’a pas trop tourné vu le peu de kilomètres (30 euros).
Chaque matin, il fallait présenter son test PCR négatif à l’entrée du circuit et en refaire un tous les quatre jours sur place, sans oublier celui imposé pour le retour en France. Si les Français ont la chance de pouvoir rentrer directement, c’est bien plus compliqué pour les Anglais. Soit, c’est isolement strict à leurs frais en rentrant d’un pays classé en zone rouge, soit c’est 10 jours dans un pays non rouge avant de rentrer. Quand on sait que le paddock est composé majoritairement de britanniques, ça complique la donne. Jota va par exemple en profiter pour travailler sur sa LMP2 à Bahrain.
Malgré d’innombrables tracasseries depuis un an, l’Asian Le Mans Series a eu lieu sans le moindre accroc, le tout dans une atmosphère détendue. Venir aux Emirats Arabes Unis pour y retrouver une vie sociale est quand même improbable. Je n’ai pas serré la moindre main ou fait la moindre bise, mais j’ai trinqué avec des gens charmants sur une terrasse en mangeant des chips et en suivant une course de voitures en février par 25 degrés. Il vaut mieux être un journaliste gâté qu’un enfant perdu…