Jean-Bernard Bouvet : “Le Mans, un truc de dingue…”

Nous donnons la parole aujourd’hui dans notre rubrique du Club des Piilotes à un pilote sarthois, Jean-Bernard Bouvet.

Jean-Bernard, Champion de Formule Ford 1600 en 1993, a participé à neuf reprises aux 24 Heures du Mans entre 1993 et 2016.

1993 : Spice-Cosworth #24 (C2) -Richard Balandras/Bruno Miot

1993 24 HEURES DU MANS #24 Spice SE 88 C (Graff Racing) Jean Bernard Bouvet (F) – Richard Balandras (F) – Bruno Miot (F) – res20

1995 : WR LM94 #9 (LMP2) -William David/Richard Balandras)

2000 : WR LMP # 35 (LMP675) -Stéphane Daoudi/Xavier Pompidou

2002 : WR LMP2001 #25 (LMP675) -Stéphane Daoudi/Jean-René De Fournoux – 2ème en LMP675

2002 24 HEURES DU MANS #25 WR LM 2001 Peugeot (Welter Gérard) Stephane Daoudi (F) – Jean René de Fournoux (F) – Jean Bernard Bouvet (F) – res20

2003 : Durango PM02 #19 (LMP900 ) -Michele Rugolo/Sylvain Boulay

2004 : WR LM2003 #36 (LMP2) -Tristan Gommendy/Bastien Brière

2005 : WR LMP04 #23 (LMP2) -Sylvain Boulay/Robert Julien

2006 : Courage C65 #37 (LMP2) -Yann Clairay/Didier André

2016 : Morgan LMP2 #84 (56ème stand) – Frédéric Sausset/Christophe Tinseau

Il a remporté trois fois le titre GT dans le Championnat VdeV avec les Ferrari 458 GT2 et 488 GT3 du Team Visiom, associé à Jean-Paul Pagny et Thierry Perrier et dispute cette année le Championnat Ultimate Cup Series avec la Ferrari 488 GT3 et les deux mêmes complices.

Jean-Bernard, quand êtes-vous venu aux 24 Heures pour la première fois, en tant que spectateur ?

« Je devais avoir dix ans, je venais dans la loge d’une marque de bière, parce que mon grand-père avait des places. Je ne sais pas comment mon grand-père avait ces places, mais c’était merveilleux de pouvoir y être. On était juste au-dessus des anciens stands et on pouvait presque toucher les voitures ! Quand on est petit, qu’on vient pour la première fois, ça marque ! Il y avait des petits balcons dans les loges, et assis au bord, on pouvait presque toucher les voitures ! C’est vrai que la sécurité à l’époque n’était pas comme maintenant. Quand ils mettaient l’essence dans les voitures, on la sentait au-dessus de nos têtes ; ça paraît complètement fou quand on y pense. Ensuite, j’y suis venu tous les ans. Comme j’étais le seul garçon de la famille -j’ai quatre soeurs-, je suivais toujours mon père sur les courses.  Mon père, à l’époque, faisait de la course automobile, il faisait déjà des compétitions, du circuit, du rallye, mais en amateur dans des courses régionales. »

Aviez-vous à ce moment-là des pilotes, des voitures préférées ?

« Mon idole des 24 Heures, c’est et ça a toujours été Jean-Pierre Jaussaud. Pour moi, en tant que gamin, un Français qui gagne les 24 Heures du Mans, c’était fantastique. En 1978, j’avais neuf ans.

Deux ans après, il gagne de nouveau. Je me suis dit alors, « plus tard, je serai pilote comme lui ». J’ai eu la chance de pouvoir lui dire mon admiration de vive voix. L’endurance, ça a toujours été mon fer de lance, et Jean-Pierre Jaussaud, est mon pilote préféré. »

Avant de faire Le Mans, quel a été votre parcours de pilote ?

«J’ai commencé en 1989-90 par les Rencontres Peugeot Sport. En 1989, on a fait deuxième du championnat d’endurance et en 90 je suis champion de France sprint de la Coupe .205 Rallye. Ensuite, je suis passé en Formule Ford en 1991, 92 et 93 avec Graff et je suis passé directement au Mans cette même année 1993 avec le Graff Racing. »

De la Formule Ford à une Spice-Cosworth C2, ça fait un gros écart de puissance …

« Effectivement, la différence était énorme et ça m’a fait un drôle d’effet ! J’étais en Formule Ford chez Graff, avec Jean-Philippe Grand. J’étais en tête du championnat de France et Jean-Philippe Grand me dit « j’ai une place sur la Spice, est-ce que tu as envie de rouler dessus ? »

1993 24 HEURES DU MANS #24 Spice SE 88 C (Graff Racing) Jean Bernard Bouvet (F) – Richard Balandras (F) – Bruno Miot (F) – res20

J’ai dit oui, évidemment, et quand je me suis retrouvé dans la voiture dans les Hunaudières, je me suis demandé ce que je faisais là !! Je passais d’une monoplace qui faisait 135 chevaux et 500 kg à une Groupe C2 à moteur Cosworth, qui faisait 520 chevaux pour 750 kg !! »

La course s’est bien passée quand même…

« Ah oui ! J’avais mis ma confiance à 100% sur Jean-Philippe Grand. Je me suis dit que s’il me mettait la voiture, c’est qu’il m’en jugeait capable. Il m’a beaucoup conseillé, je l’ai écouté avec énormément d’attention. Ce qu’il m’avait conseillé de faire, je l’ai fait, donc effectivement , ça s’est bien passé. « 

 Le trafic, pour cette première année, ce n’était pas trop impressionnant ?

« Les chicanes existaient déjà, mais il y avait les Peugeot 905, avec les V10, les Toyota TS 010 avec aussi des V10. Ce sont surtout les 905 qui m’ont marqué, avec des pilotes de F1, ça arrivait très vite dans les rétroviseurs. J’étais tendu, même avec une C2, un peu l’équivalent des P2 actuelles, il fallait faire attention. Il fallait gérer devant, pour doubler les GT, et derrière pour surveiller les grosses… On a eu un problème d’échappement pendant le nuit qui nous a fait rester longtemps dans le box pour réparer les collecteurs, mais cependant on a fini vingtièmes. On a quand même fait une belle course, parce qu’on était l’équipage le plus jeune de ces 24 Heures. Richard Balandras, Bruno Miot et moi, on était tous les trois débutants au Mans. Bruno Miot avait 25 ans, Richard et moi, on en avait 23. C’était un très bon résultat, une très belle expérience. »

Quelle a été votre voiture préférée au Mans, en tant que pilote ?

« Il y en a deux que j’ai beaucoup aimées, sans que ce soit péjoratif pour les autres. Tout d’abord, la seule LMP1 que j’ai pilotée, la Durango PM02, avec un moteur Judd V10.

Forcément, quand tu es au Mans dans une LMP1, ça te marque. J’ai beaucoup aimé, elle était dure à piloter parce qu’il n’y avait pas l’électronique embarquée qu’il peut y avoir actuellement, mais elle était saine et agréable.

J’ajouterais aussi la Morgan LMP2 du Mans en 2016 avec Frédéric Sausset et Christophe Tinseau. La Morgan, je ne vais pas dire que c’était un vélo, mais je me suis vraiment amusé avec cette voiture, parce que le châssis était vraiment top et la voiture « facile ». Pendant la nuit, j’ai roulé trois heures d’affilée, un quadruple relais, sans fatiguer. « 

Comment vous êtes-vous retrouvé à piloter la Durango ?

« C’est par l’intermédiaire de Sylvain Boulay, qui était dans le coup. Il m’avait appelé et mis en contact avec les Italiens. On a réussi à monter un truc et on avait avec nous Michele Rugolo, un très bon pilote.

La voiture, je l’ai découverte la semaine des Essais des 24 Heures, on avait commencé par faire deux ou trois aller et retour sur l’aérodrome pour que je me mettre un peu la voiture en main et direction les qualifs ensuite. Le moteur Judd poussait fort, avec 580 chevaux. Jes suis monté à 338 km dans les Hunaudières. L’équipe Durango était une équipe privée, avec peu de moyens pour développer la voiture, mais c’était une bonne auto. Michele était le plus rapide sur la voiture parce qu’il la connaissait bien. Il est pilote Ferrari et on se revoit périodiquement pendant les remises de Prix de Ferrari avec Jean-Paul Pagny et Thierry Perrier. »

Quel est votre meilleur souvenir au Mans ?

« C’est ma participation de 2016, avec Fred. C’est l’ensemble de la semaine et de la course. C’est vraiment le meilleur souvenir de mes passages aux 24 Heures du Mans.

#84 SRT41 BY OAK RACING (FRA) MORGAN LMP2 – NISSAN Frédéric SAUSSET (FRA) Christophe TINSEAU (FRA) Jean-Bernard BOUVET (FRA)

ça a commencé le lundi au Pesage et ça s’est terminé le dimanche sur le podium !

Même s’il y a eu des moments plus compliqués, j’ai vécu une semaine hors du commun. Au Pesage, c’était énorme, les gens étaient enthousiastes. J’ai été entouré dans la semaine par des personnes formidables, Frédéric avait monté un petit réceptif SRT41 et quand on vit dans une atmosphère remplie d’affection, en tant que pilote on est serein. Frédéric avait tout pensé, on a vraiment préparé la course dans de très, très bonnes conditions. Fred a fait une très belle course, on n’a pas eu une seule touchette, pas un seul tête-à-queue, la voiture était top à conduire, c’était parfait. Christophe Tinseau prend le départ sous une pluie battante avec la Morgan. Moi, j’ai fait le dernier relais avant de renfre le volant à Fred pour les vingt dernières minutes afin que ce soit lui qui passe la ligne d”arrivée des 24H du Mans.

Quand j’ai fait mon dernier relais, pendant les quarante minutes, j’ai sans arrêt surveillé les rétroviseurs, regardé le tableau de bord, je me suis dit que ce n’était pas le moment de flancher, j’ai assuré mes tours sans aller trop vite, je n’avais qu’une idée en tête, c’était de sortir de la voiture en la laissant en bon état à Frédéric.

Votre pire souvenir, s’il y en a un ?

« Je dirais l’édition 1995, l’année où on était en pole position avec la WR. La pole de William David, qui était mon coéquipier avec Richard Balandras, c’est un bon souvenir, mais la course ça a été autre chose.

#9 W.R. LM 94 (Welter Racing) Jean Bernard Bouvet (F) – William David (F) – Richard Balandras (F) – resAB

Les conditions météo étaient épouvantables cette année-là, il a plu pratiquement tout le temps. Pour rester sur la piste la nuit sous la pluie, c’était chaud. Par moment, je me suis même dit « qu’est-ce que je fous là, je serais mieux à la maison ! Patrick Gonin, avec l’autre WR, s’est retourné dans les Hunaudières, il s’est mis sur l’arceau à 300 kmh, s’est retrouvé à l’hôpital. C’était très compliqué. La voiture était très légère, très puissante, la piste était totalement détrempée… »

Avez-vous une anecdote particulière parmi vos courses au Mans ?

« C’est encore lors de ma première course, avec la Spice. Je venais, comme je l’ai dit, directement de la Formule Ford. Je monte dans la voiture le mercredi, le premier jour des Essais, je ferme les portières papillon, je mets le contact pour faire mon premier tour au Mans et là, j’avais les jambes qui tremblaient, évidemment pour l’embrayage, ce n’était pas l’idéal… J’ai calé deux fois mais j’ai réussi à partir.

Dans les Hunaudières, j’ai monté les rapports, le moteur envoyait un maximum, je me suis retrouvé à 300-320 km/h en un rien de temps, je n’avais jamais roulé aussi vite que ça de ma vie, et à un moment je me suis demandé où était la chicane, je n’avais jamais roulé sur les Hunaudières et à l’époque les simulateurs n’existaient pas… J’ai dû freiner au moins 500 mètres avant la chicane !! J’ai envoyé tous les freins en me disant que je devais ralentir, car je ne savais plus où j’en étais. C’était vraiment la découverte, j’avais trois tours à faire, après m’être demandé à la fin du premier tour je me suis demandé si je ne ferais pas mieux de rentrer au stand et dire à Jean-Philippe Grand que j’y retournerai un peu plus tard après avoir réfléchi. Au deuxième tour, j’ai pris du plaisir, et le troisième c’était encore mieux. Je suis rentré après mes trois tours. Jean-Philippe Grand m’a regardé et m’a dit « Alors ? ». J’ai répondu que c’était un truc de dingue. Il a rigolé et m’a dit « si tu m’avais répondu autre chose, je t’aurais dit d’arrêter de rouler » !! » J’ai repris le volant un peu plus tard pour faire mes trois tours de nuit et il m’a dit ensuite que j’étais validé pour faire Le Mans. »

Parlons aussi un peu de votre actualité….

« Elle est bien remplie actuellement J’ai quitté Pescarolo Sport et l’ITM Graduate School le 15 juin, en bons termes avec Jocelyn Pedrono et son équipe. J’ai décidé de poursuivre ma route et de gérer ma carrière. Je vais développer ma partie coaching-entraîneur, je vais proposer des programmes pour encadrer des jeunes pilotes depuis leurs débuts en karting jusqu’à la compétition automobile, et pas uniquement sur la piste. J’ouvre un Centre de Formation sur Le Mans et je crée une filière JB Bouvet. Je mets en place, pour les pilotes inscrits en championnat (karting ou auto) ou en Track Days, des stages intensifs de perfectionnement au pilotage et de préparations aux courses, avec des durées à la carte en fonction de leurs besoins.

Au catalogue de mes formations, je poursuis aussi la formation pour les BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport) déjà diplômés afin qu’ils puissent s’installer comme Chefs d’Entreprise. Je leur propose également un perfectionnement pour qu’il puissent travailler dans les agences d’Evénementiel spécialisées dans l’automobile et sur les tournées des constructeurs.

Et enfin, je m’intéresse de très près à la sécurité routière et à l’éco-conduite que je connais bien . Je suis sur le gros du projet, trouver des partenaires. »

Votre activité sportive, c’est l’Ultimate Cup Series… »

« Je roule effectivement dans le Championnat Ultimate Cup Series sur la Ferrari 488 GT3 du Team Visiom avec Jean-Paul Pagny et Thierry Perrier. Notre trio fonctionne très bien depuis neuf saisons, ce qui conduit à un lien d’amitié solide entre nous. Le championnat est intéressant malgré le manque de voitures.

Au Mugello, on a gagné après une belle bagarre devant ; le deuxième, une Renault R.S.01 qui finit à 20 secondes seulement, et le troisième, une autre Renault R.S.01, qui n’est qu’à 32 secondes après quatre heures de course, c’est sympa…Du coup, nous sommes en ête du championnat. Les R.S.01, elles sont « full watt » et ça va très vite. Nous roulons sur des beaux circuits dans de belles voitures. Le règlement est juste et la Balance de Performance bien faite. La voiture est fantastique à piloter. Une GT3, quand elle peut exprimer sa puissance réelle, on prend beaucoup de plaisir au volant ! »