Les passionnés d’Endurance ne connaissent pas forcément son visage mais tout le paddock connaît bien Jean-Félix Bazelin, directeur des opérations de Dunlop Motorsport Endurance. Vrai passionné au sens large du terme, attachant, vous ne trouverez pas une seule personne pour dire quelque chose de négatif sur lui, chose plutôt rare dans le milieu. Présent chez Dunlop depuis 1985, Jean-Félix va tirer sa révérence en fin d’année pour relever de nouveaux challenges. On ne pouvait pas se passer de revenir avec lui sur sa carrière et sa passion inébranlable du sport automobile, non sans quelques anecdotes plutôt insolites.
Quel bilan tirez-vous de votre carrière chez Dunlop ?
« J’ai passé 37 ans dans le pneumatique, dont 33 chez Dunlop et les 15 dernières années au service compétition. J’ai vécu mon rêve d’adolescent comme un grand nombre de personnes au sein du paddock. Tout n’a pas été facile car le service compétition n’est pas quelque chose qui marche tout seul. Il faut toujours convaincre sachant en plus qu’on doit faire face à des incidents de parcours. Le plus gros a sans aucun doute été la fermeture de l’usine en 2013/2014 même si c’est probablement l’expérience la plus enrichissante qui soit. Il fallait fermer une usine qui fabriquait des pneus dans un pays depuis 100 ans sans arrêter d’en produire. Si on arrête une année en compétition, on revient difficilement. Il fallait rester actif en répartissant le tout dans de nouvelles usines. Transférer la production sans le personnel n’est pas quelque chose de facile. Nous avons réussi en améliorant des choses : partenariat avec AMR, VLN, niveau de compétitivité en LMP2. »
Tous vos souhaits ont donc été réalisées ?
« J’ai passé mon savoir-faire en formant des plus jeunes. L’opportunité de faire autre chose est arrivée. La chose manquante était de gagner Le Mans. J’avais dit qu’avant de partir, je voulais voir une auto équipée de pneus Dunlop passer en tête sous la passerelle. C’est arrivé mais sans le damier final. Je n’ai pas tout à fait gagné mon pari mais je n’en suis pas loin. Je ne peux que souhaiter à Dunlop de gagner à nouveau Le Mans.
On a tendance à oublier qu’il faut arrêter un jour. Ce départ n’était pas anticipé et j’ai plein d’idées pour la suite. Si je ne continue pas en motorsport, on ne me reverra pas sur un circuit. J’ai déjà eu cette expérience une fois en Formule 1 et je ne me suis pas amusé. Je ne veux surtout pas être un fantôme qui hante les grilles de départ même si je continuerai à suivre de très près le sport automobile même si mes centres d’intérêt ne manquent pas. Je n’ai jamais pris le temps de lire. Au lieu d’aller courir à 21h en sortant du bureau, j’irai courir le matin à 9h. »
Vous êtes passionné de sport auto depuis tout gamin ?
« J’ai toujours été passionné par l’automobile dans son ensemble. Dans les années 60, mon père avait commandé une Renault Dauphine et il fallait pas mal de temps pour l’avoir. Chaque week-end, je demandais à mon père de m’emmener en voir une dans la vitrine du garagiste. J’aimais aussi les trains. A l’âge de 13/14 ans, mes parents me donnaient 5 francs d’argent de poche et j’en avais profité pour acheter la revue Moteurs. Mon père me disait : ‘tu as conscience que tu as dépensé un moins d’argent de poche pour une simple revue ? A quoi cela te servira dans tu seras grand ?’ J’ai toujours cette revue et j’ai pu lui montrer à quoi elle avait servi (rire). »
Vous êtes venu au Mans très jeune en spectateur ?
« J’habitais dans l’Est de la France et Le Mans était bien trop loin. Je ne travaillais pas très bien à l’école mes parents ont voulu me mettre dans une école militaire. Quand j’ai regardé le dossier, j’ai vu que c’était au Mans, donc très loin d’une punition même si ça ne s’est finalement jamais fait. En revanche, je suivais les slaloms et les rallyes dans ma région, ainsi que le Tour Auto. J’ai aussi vu quasiment la totalité des GP de F1 à Dijon et au Paul Ricard. Je résidais à Vesoul et des représentants de chez Ricard passaient dans les bars avant le GP de F1. Je devais avoir 14/15 ans et je suis allé voir un représentant pour lui demander si c’était possible d’aller au Paul Ricard. Le gars me regarde et me donne un billet. Je me rends sur place en auto-stop et je croise à nouveau la même personne qui m’a dit que comme j’étais venu, il ferait son possible pour m’aider les années suivantes. »
Votre carrière professionnelle a débuté chez Dunlop ?
« J’ai commencé chez Kléber avec Audi en rallye. C’était l’époque de Mouton, Blomqvist, Mikkola. J’ai fait cela durant les deux premières années post école d’ingénieur. Je ne me suis pas rendu compte de la chance que j’avais. Même gratuitement, j’aurais accepté le poste. Passer une nuit entière d’essais dans la neige avec Michèle Mouton est quelque chose d’incroyable. Les pilotes roulaient à 200 km/h sur des routes verglacées. Je suis ensuite passé chez Dunlop où je m’occupais de la liaison avec les constructeurs. En parallèle, je travaillais le week-end avec Audi en Championnat de France de Supertourisme. Je suis passé ensuite responsable qualité et production avant d’intégrer la compétition fin 2002 en Angleterre. »
Quel est votre meilleur souvenir ?
« La prochaine victoire est toujours le meilleur souvenir. Des souvenirs, j’en ai plein la tête. Il suffit de repenser aux derniers tours en GTE-Pro aux dernières 24 Heures du Mans. J’ai eu aussi l’agréable surprise de me retrouver dans le dernier Michel Vaillant. Maintenant que je suis dans Michel Vaillant, je peux partir tranquille (rire). Je retiens aussi la passion de Jim McWhriter de JMW Motorsport. Un vrai passionné au sens large du terme. »
Vous n’avez jamais été pilote ?
« J’ai acheté un karting avec un cousin mais on se l’est fait volé. C’était la fin de ma très courte carrière. Je ne pense pas que j’aurais été bon. Nous roulions près de Grenoble et on se faisait battre par un gamin de 10 ans plus jeune que nous. C’était Christophe Bouchut. J’avais dix ans de plus, donc je suis passé à autre chose. »
Et l’historique ?
« Le temps m’a manqué dans ma vie, alors pourquoi être actif en historique. Ce milieu est très chaleureux. On y retrouve un peu la même entraide qu’en rallye. Je me souviens de François Chauche qui se battait contre des Audi avec sa petite Citroën Visa. Il a connu un souci sur sa voiture et les mécanos de chez Audi l’ont aidé à réparer. Je pense qu’on retrouve la même chose dans le Classic. La seule course où je vais en dehors du travail est Le Mans Classic et je serai là en 2018. Lorsque je suis arrivé en Angleterre, j’ai pensé acheter une Lotus Elan mais je me suis dit que le jouet était un peu cher. J’aurais dû car je n’aurais pas perdu d’argent. »
L’Endurance vous a toujours plu ?
« C’est pour moi la discipline la plus marquante. J’ai débuté le sport à 50 ans et je fais des marathons, pas du sprint. »
Et si c’était à refaire ?
« La même chose sans hésiter. En 1980, je suis rentré à la SERAD créée par Charles Deutsch et dirigée par Robert Choulet, le designer de la Matra 640. Les deux sont à la base de l’aérodynamisme. J’ai eu la chance d’avoir un maître de stage exceptionnel. Dans ma carrière, j’ai envoyé deux CV, dont un à Kléber. J’ai donc eu une chance incroyable. Je suis à la compétition depuis 15 ans et je ne suis pas lassé. Travailler dans une usine est aussi très intéressant. Ce que l’on fait le jour-même se voit le lendemain. J’ai juste un seul regret, celui de voir l’audience du sport automobile chuter. Aujourd’hui, les voitures sont des ordinateurs avec un peu de mécanique autour. »
Quels pilotes vous ont marqué ?
« Jackie Stewart, François Cevert et Didier Pironi. Dans ceux que j’ai connu, sans hésiter Olivier Pla, aussi bien pour l’homme que son professionnalisme et son retour technique. Olivier est pour beaucoup pour ce qui nous est arrivé. C’est aussi pour cela que nous sommes allés chercher Daniel Serra et Pipo Derani. J’ai découvert Olivier lors de son passage chez Quifel ASM. Je le connaissais de nom car il venait du GP2. Je n’étais pas présent aux premiers essais à Estoril et un de mes ingénieurs m’envoie un message qui disait : ‘on a trouvé la perle rare’. Nous collaborions avec OAK Racing et si on voulait développer notre relation, il nous fallait Olivier. Sur les gens qui ont compté, il y a aussi Jacques Nicolet pour tout ce qu’il a fait et fait encore pour la discipline. »
Quelques anecdotes de toutes ces années ?
« (rire). La vie est faite de rencontres. Mon cousin était copain d’enfance de José Alesi, le frère de Jean. Je me souviens à Nogaro avoir aidé Jean à pousser sa monoplace car il n’y arrivait pas tout seul. Mon cousin nous a présenté dans la foulée. L’année suivante, je suis à Monaco et Jean roulait en F3. A cette époque, nos pass nous permettaient d’aller partout. J’aperçois Jean derrière le grillage sans pass. Je lui donne le mien en lui disant qu’un jour il serait dans une de ces autos et que le jour où ça arrivera, il ne me dira plus bonjour. Il m’avait répondu : ‘si c’est le cas, tu pourras me botter le derrière.’ Quelques années plus tard, Jean roulait en F1 et je traverse la voie des stands. C’était à l’époque où les séances étaient coupées en deux. Je continue mon chemin et quelqu’un arrive derrière moi. Jean s’était détaché pour sortir de sa F1 en courant vers moi pour me saluer et me dire : ‘je ne veux pas que tu me bottes le derrière.’
« A l’école, je n’étais pas très bon en Anglais. En classe de 4e, il fallait trouver des correspondants pour aller passer du temps dans le pays pour apprendre la langue. Mon correspondant était à Bicester, là où était basé March. Avant de partir, j’ai écrit à mon correspondant pour lui dire que je voulais aller visiter March, ce qui ne l’intéressait pas du tout. J’ai pris un plan et j’y suis allé seul. J’ai frappé et demandé à visiter. J’ai été très bien accueilli et avant de prendre congé, je demande si on ne peut pas me donner un souvenir. Je suis reparti avec une broderie que j’ai demandé à ma mère de coudre sur un vêtement. Sur la broderie était marqué Dunlop. Comme quoi les raccourcis de l’histoire… Plus tard, je suis retourné en Angleterre avec un ami en vacances. Je voulais visiter Morgan. J’arrive près des locaux et je vois un jeune qui vient me demander ce que je veux. Je lui explique et il me fait visiter. J’ai même pu faire un tour dans une voiture avec un pilote d’essais. J’ai reparlé de cette visite avec Charles Morgan il y a quelques années à Goodwood. Il s’en souvenait très bien puisque c’était lui qui m’avait fait visiter l’usine. Avec tout cela, comment pourrais-je regretter quelque chose de ma vie professionnelle ? »