Jean-François Veroux : “Avec la technologie, le pilote ne peut pas mentir”

#71 AF CORSE (ITA) FERRARI 488 GTE EVO GTE PRO DAVIDE RIGON (ITA) SAM BIRD (GBR)

Suite de l’entretien donné par Jean-François Veroux (président permanent du Collège des Commissaires) donné au site du FIA WEC. La première partie est à retrouver ici

Comment fonctionne la procédure lorsque vous êtes sur un week-end de course ?

“Par l’intermédiaire d’un rapport qui nous est adressé, le Directeur de Course nous informe d’un incident nécessitant une enquête. Mais il n’est pas la seule personne à nous envoyer des rapports, nous pouvons également en recevoir des Délégués Techniques. Les concurrents peuvent également soumettre certains cas à notre jugement. Une fois que nous avons le rapport en mains, le Directeur de Course n’est plus impliqué dans la décision finale, à moins que sa présence ne soit requise par les Commissaires.

“Pour un cas se produisant en piste, par exemple, nous regardons toutes les données de la voiture, les images vidéo, et tout document pertinent s’ajoutant au rapport. Nous menons notre propre enquête, avec le concours du spécialiste des données de SBG.

“Alors, dans le cas d’une infraction majeure, nous convoquons le(s) pilote(s) impliqué(s) et le(s) représentant(s) de leur(s) équipe(s) pour écouter leurs explications. En endurance, et même si ce n’est pas une obligation imposée par le code de procédure, nous convoquons chacune des personnes concernées afin de parler avec elles et de comprendre parfaitement ce qui s’est passé.

“Je considère que c’est important car c’est pédagogique. Même si nous sommes là pour faire respecter les règles, nous sommes impliqués dans un sport, et nous devons maintenir le dialogue afin d’être respectés et afin que, de manière égale, nous respections nous-mêmes les concurrents.”

De quels changements avez-vous été témoin depuis que vous êtes Commissaire FIA, et l’évolution de la technologie a-t-elle été pour vous une aide ou un obstacle ?

“C’est une question difficile ! Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse véritablement d’une aide mais cela dépend un peu du Commissaire et de la manière dont il travaille. Bien sûr, nous disposons des données, ce qui nous permet de tout voir : la vitesse, la distance, le point de freinage, la manière d’agir sur la pédale de frein, où le pilote a tourné le volant, etc. C’est très bien, mais c’est facile de tout juger d’une seule perspective, depuis son bureau avec deux autres personnes qui consultent les données. Mais en réalité, c’est très différent lorsque le pilote est à plus de 300 km/h en pleine nuit et à la lutte avec les autres.

“Personnellement, je travaille en utilisant les données comme un outil de soutien. Je préfère regarder et discuter et ensuite, je me sers des données si je dois vérifier quelque chose. Mais l’important, en fait, c’est qu’avec la technologie, le pilote ne peut pas mentir.

“Chaque course est différente et a son propre caractère. Parfois, un concurrent peut être plus agressif ou plus dur en piste qu’en d’autres occasions, mais il y a toujours une certaine limite au-delà de laquelle le comportement d’un pilote est inacceptable. Nous demandons alors son avis au Pilote Conseiller. Nous ne sommes pas forcément d’accord avec lui, mais nous l’écoutons toujours. Il ne fait pas partie de l’Arbitrage officiel, mais son avis peut être pris en compte.”

Pourquoi faut-il parfois autant de temps pour aboutir à une décision ?

“Avec la complexité de la règlementation technique en endurance, le désir du législateur d’obtenir un niveau égal de performance pour des voitures différentes courant ensemble dans quatre catégories, avec les détails toujours plus nombreux du règlement sportif et aussi la technologie, cela devient de plus en plus difficile et génère de plus en plus de pression. Pour nous, une journée ne se termine pas avant 6 ou 8 heures après l’arrivée d’une course. Il n’en était pas ainsi voici quatre ans.

“Tout d’abord, le temps nécessaire pour une enquête peut être très long. Nous demandons des informations aux chronométreurs, aux producteurs télé et vidéo, nous consultons les données de l’écurie concernée, celles des Délégués Techniques, etc. A partir de là, nous organisons une audition des concurrents et des pilotes concernés, parfois une deuxième et même une troisième si un nouvel élément nécessite d’être analysé.

“Lorsque tous les faits sont enregistrés et assimilés, nous devons rendre une décision et nous en discutons entre nous. Au début, nous ne sommes pas toujours d’accord, mais au final, tous les Commissaires doivent être unanimes, alors il faut parfois du temps pour convaincre l’un ou l’autre.

“Puis il faut rédiger la décision, et aujourd’hui il faut aborder cette étape avec le plus grand soin, car il s’agit d’un document juridique ayant une valeur légale. Il faut le mettre en forme, obtenir toutes les signatures nécessaires, et aussi respecter le temps accordé à un concurrent pour faire appel. Au mieux, c’est une procédure longue et au pire, elle peut être extrêmement longue.”

Selon vous, la “meilleure” des courses serait-elle celle où il y aurait très peu, voire aucune décision à prendre ?

“Ça n’arrive jamais (rires) ! Je me souviens en tout cas d’une course qui devait être la dernière de la saison, et nous n’avions eu que quelques décisions à prendre, mais c’est très inhabituel… En fait, c’est une utopie !”