Nous avions quitté les essais officiels GT World Challenge Powered by AWS en faisant un point avec Jérôme Policand. A ce moment-là, le patron de AKKA-ASP Team cherchait à mettre en place différents plans afin de poursuivre les essais. L’épidémie s’est transformée en pandémie et le sport automobile, comme le reste, est à l’arrêt. Depuis ces essais, l’équipe basée à Rabastens a tout de même reçu un châssis Mercedes-AMG GT3 neuf qu’il faut préparer. Les pièces arrivent elles aussi au compte-gouttes. L’activité n’est donc pas totalement arrêtée dans la banlieue de Toulouse. Nous avons repris contact avec Jérôme Policand pour faire un point sur la situation actuelle.
Quelle est l’activité au sein de l’équipe ?
“Une fois rentrées à l’atelier, les autos ont été déchargées et nous nous sommes arrêtés deux semaines. Dans un premier temps, il faut préserver les hommes et leurs familles car nous avons passé pas mal de temps en essais avec un paddock qui vient de toute l’Europe. L’activité a repris en fin de semaine avec la mise en place d’équipes de trois personnes, soit en faisant travailler 20% de l’effectif. L’équipe travaille sur les autos une à une. Tout est fait pour que les gars ne se croisent pas en prenant toutes les précautions possibles. L’atelier fait 1000 m2, donc à trois c’est assez facile.”
Le planning est fait sur du long terme ?
“Il est fait pour deux semaines. On doit tenir nos engagements même s’il y a une zone de flou. L’activité tourne entre 10 et 20%. Nous avons reçu une auto il y a 10 jours. Un transporteur spécifique a livré l’auto et tout a été fait dans les règles. Il est encore possible de commander des pièces chez AMG. A ce titre, nous avons réceptionné les kits des GT4. Tout le monde fait très attention car il ne faut surtout pas se croire invulnérable.”
Il n’y a pas que la partie mécanique à s’occuper…
“Je n’ai pas vu passer les deux dernières semaines avec toute la partie administrative à s’occuper. Jusqu’à maintenant, le gouvernement a joué le jeu pour les petites entreprises, ce qui rassure. Malgré cela, il faut s’attendre à une année très compliquée. Personnellement, je n’envisage pas de faire autre chose car c’est mon métier et je n’ai pas envie d’en changer. On passe d’une grosse activité à quelque chose de quasiment arrêté. Il manque l’essentiel, la course.”
Vous prenez votre mal en patience ?
“Je n’ai pas le droit de me plaindre car le sport auto, c’est quoi par rapport à la situation actuelle ? Le sport auto, c’est epsilon. J’ai la chance d’avoir des clients et des partenaires historiques. J’ai toujours travaillé avec des gens qui ont tenu leurs engagements. Le plus compliqué, c’est l’incertitude. Je ne doute pas de mes partenaires et de mes pilotes. L’équipe a 20 ans, c’est quelque chose qui compte. Les fondamentaux sont là. Il y a encore trois semaines, personne n’aurait cru qu’une telle situation pouvait arriver. C’est unique pour tout le monde.”
Il y aura un avant et un après ?
“Il y aura un impact, c’est certain. Lequel ? Je ne sais pas. A l’instant où on parle, des gens meurent, ce qui n’est pas rien. Malgré tout, je suis quelqu’un d’optimiste, sinon je ne ferais pas ce métier. Sur un plan sportif, il faut attendre la sortie de crise et on ne sait pas quand elle arrivera.”
Un constructeur comme Mercedes pourrait diminuer son soutien ?
“Il est possible qu’en général, les constructeurs diminuent leurs engagements. La situation du mois dernier était différente de celle que l’on vit actuellement, donc on ne sait pas de quoi demain sera fait. Le sport auto était dans un professionnalisme où tout était précis. On est en quelque sorte dans une bulle. Il y aura des choix à faire et reprendre les vrais fondamentaux. Le confort vient aussi de l’implication des constructeurs. Le fait qu’ils soient là tirent la discipline vers le haut. Le sport auto peut s’adapter même si ça ne sera pas de gaieté de cœur. Il faut aussi penser aux autres métiers qui souffrent comme la santé, les petits commerçants, les bars et restaurants pour ne citer qu’eux.”
On vit une époque où rien ne semble acquis. C’est aussi votre avis ?
“Il y a 15 jours au Paul Ricard, j’espérais aller à Brands Hatch puis à Silverstone. Les choses changent tellement vite. On fait partie des acteurs, on a contribué à toute une évolution des choses et c’est dur d’aller à l’encontre de l’évolution. C’est aussi valable dans les autres sports. En football, qui va payer les droits TV ? Le foot est un sport majeur qui tire ses revenus dans les audiences.”
Tout l’inverse du sport auto…
“Le sport auto tient grâce à l’implication de passionnés, de constructeurs, de partenaires et de promoteurs. Forcément, l’équilibre est fragile. Comme je l’ai dit, je n’envisage pas de faire autre chose car je fais partie des pros de la course. On est tous perdu pour quelque chose qui est en dehors du sport auto. Qui pouvait s’attendre à ça ? J’ai la responsabilité de 15 personnes.”
Faire une année blanche est impossible ?
“Arrêter 2020 et revenir en 2021 n’est pas envisageable. Qui peut s’arrêter de travailler un an ? Mon équipe ne peut pas se mettre en sommeil 12 mois, mais je comprends que des structures peuvent le faire. Le sport auto est un mélange d’écuries, de constructeurs et de bailleurs de fonds. C’est le cas depuis le tout début. La situation générale est triste, c’est une réalité. A mon niveau, je n’ai pas le droit de me plaindre et, pour faire ce métier, il faut être optimiste.”
Il faut donc attendre…
“A un moment, il peut y avoir de la frustration. D’ailleurs, elle va venir car l’émotion et l’adrénaline peuvent manquer. Concrètement, on devait débuter dans quelques jours à Nogaro. L’effervescence de début est toujours quelque chose de particulier, il y a toujours une tension palpable. Là, elle est retombée. L’équipe n’a jamais été aussi prête. La difficulté, c’est l’incertitude. Si on dit que ça recommence le 15 juillet, au moins on sait à quoi s’en tenir. On sait de toute façon qu’il faudra enchaîner et bien gérer le côté logistique. Peut-être que ce sera un problème positif à gérer… “