S’il avait un nom, il a mis du temps à se faire un prénom. Il a fallu beaucoup de travail à Jules Gounon pour percer en sport automobile. Début 2016, l’Ardéchois est à pied, sans volant pour la saison. Il se retrouve un peu par hasard à faire un run pour Callaway Competition en ADAC GT Masters. Sans un sou pour disputer la saison, Ersnt Wöhr et Giovanni Ciccione lui font confiance pour piloter la Corvette C7 GT3 R en compagnie de Daniel Keilwitz.
Tout se passe pour le mieux avec la possibilité de rafler le titre ADAC GT Masters dès ses débuts dans une série réputée pour être l’une des plus compétitives en GT3. Le 2 octobre, Jules Gounon est à Hockenheim pour la finale. La couronne est à portée de main, mais un accident vient tout mettre par terre. La sortie est violente, très violente. Alors qu’il suit une Lamborghini Huracan GT3, sa Corvette part en travers pour taper le mur en béton en latéral. Les visages se figent, tout le monde est crispé dans les stands. Rien à voir avec sa cabriole de l’année 2015 où sa Porsche s’était retrouvée sur une autre Porsche en Cup à Navarra. Si le titre allemand s’est envolé, sa carrière aurait pu s’arrêter là. Il reviendra en 2017 avec le même châssis pour décrocher ce titre qui lui tendait les bras un an plus tôt.
Avant de taper le mur, vous avez compris que ça allait faire mal ?
“Je revenais derrière une Lamborghini qui avait un problème de diffuseur. Il perdait l’arrière, je lève et je freine légèrement dans le virage à droite. Ensuite, je touche l’arrière droit de la Lamborghini et l’herbe était mouillée. Impossible de rattraper quoi que ce soit. Je perds la Corvette à 238 km/h, je tape le mur à 169 km/h et mon corps encaisse 38 G. L’impact était violent même si je n’en ai aucun souvenir. Je me souviens juste avoir tourné la tête vers le mur.”
Vous êtes conscient ?
“J’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, je ne voyais rien. La voiture commençait à prendre feu et c’est l’extincteur qui pointait vers moi. J’avais mal à la jambe. La poignée de porte en carbone était plantée dans ma jambe. J’ai ensuite été évacué vers l’hôpital sous morphine. Mon père, mon partenaire, mon ingénieur, Ernst et Giovanni sont venus à l’hôpital et j’étais tellement shooté que je croyais avoir des anges face à moi (il rit). Ce moment m’a marqué.”
Vous avez vite repris vos esprits ?
“On m’a ôté le morceau de carbone de la jambe. La seule chose qui m’inquiétait est de savoir comment j’allais payer la casse. Ernst et Giovanni ont tout de suite été clairs en me disant : ‘tu vas revenir l’année prochaine et on va gagner le titre’. Quand tu es sur un lit d’hôpital, tu te rends compte qu’il y a des choses plus graves qu’une qualification ratée ou qu’un souci de BOP. Tout peut s’arrêter en une fraction de seconde. Cela permet de faire un gros bilan sur soi-même et de se remettre les idées en place. Voir ses proches arriver en pleurs, ça marque pour la vie. En arrivant à l’hôpital, j’étais pris de convulsions car la dose de morphine était trop importante.”
Avant la sortie, vous étiez titré ?
“L’équipe ne m’a pas fait passer le message comme quoi le titre était dans la poche pour ne pas me perturber. L’Audi qui jouait le titre face à nous était passée dans un bac et une 4e place était pour nous synonyme de titre. Je savais que je devais tout donner. Avant le départ, Ernst m’avait dit : ‘on joue le tout pour le tout, alors sors la full attack, je paierai la franchise’. J’ai donc tout donné.”
Vous n’avez pas eu d’appréhension à reprendre le volant ?
“Une fois remis, Callaway Competition a organisé un test à Hockenheim pour moi. C’était très bizarre car il y a avait ce droite qui passe à fond où il m’a fallu plusieurs tours pour y arriver. Je levais le pied alors que je n’avais pas envie de lever. Mon corps s’en est rappelé en passant à cet endroit. J’ai aussi été très chanceux de ne pas blesser le commissaire présent à cet endroit. Le mur est en béton, il pèse 4 tonnes, il a bougé de 10 mètres et s’est coupé en deux.”
Vous avez eu des séquelles ?
“Deux ou trois semaines après l’accident, mon corps était tout déréglé avec de violents maux de tête et un mal au ventre persistant. J’avais des bleus sur une partie du corps alors que ça n’avait pas tapé. J’ai discuté de l’accident avec Stéphane Ortelli. Je me souviens encore de ce qu’il m’a dit : “dans la vie, tu as plusieurs jokers, là tu en as grillé un.”
Un tel accident, ça change une vie ?
“Cet accident a changé ma relation avec mes proches. La vie est courte et tout peut vite arriver. Je ne pense pas au danger car il y a tellement d’adrénaline dans la voiture. Le jour où tu y penses, il faut arrêter. Quand on côtoie la mort, on comprend pourquoi on se prend la tête pour de petites choses qui n’en valent pas la peine.”
Pensez-vous que le simulateur peut avoir un effet négatif sur les pilotes ?
“Personnellement, je ne suis pas un fan du simulateur. En virtuel, on peut mettre des coups de roue et on voit sur la piste que ça s’est accentué. Tant que tu n’as pas tapé en réel, tu ne sais pas. Par chance, les autos sont de plus en plus sûres, mais, en réel, pas question de faire un reset et de refaire la course.”