La période des fêtes est traditionnellement le moment de se poser un peu avant d’attaquer l’année suivante du bon pied. C’est aussi la période pour se pencher dans les archives afin d’abonder Endurance-Classic (lien) dans les mois à venir.
Cette année, je dois trier des milliers de documents donnés généreusement par Lucien Monté (🙏) au cours de l’année. Il y a de nombreux documents inédits allant des années 70 aux années 2000. Environ 90% ont un rapport avec les 24 Heures du Mans. La belle période me direz-vous. Trier tout cela est tout sauf un sacerdoce. Le temps passe tellement vite qu’on a du mal à revenir à la réalité qui nous rattrape.
En 2009, Endurance-Info n’avait que trois ans d’existence. Qui aurait cru que cette aventure serait passerait le cap de 2020 avec près de 20 millions de pages vues par an ? Certainement pas nous… Où serons-nous en 2029 ? Là, c’est une question à laquelle je n’ai pas la réponse. Quel sera le paysage du sport automobile dans 10 ans ? Finalement, il vaut mieux ne pas le savoir et vivre le moment présent.
Le monde de l’automobile a changé ces dernières décennies et ce n’est pas fini. Le monde actuel est à la nostalgie. Il suffit de voir le nombre de prototypes virtuels aux livrées d’époque. Pour le moment, seul Porsche a bien joué le coup avec des livrées historiques bien réelles en GTE.
Si je vous donne 5 secondes pour me dire quel était le sponsor principal sur les Porsche 956 officielles en 1982, vous allez de suite me donner la réponse. En revanche, si je vous demande quelle était la couleur de l’Audi R15 TDI de 2010, vous allez trouver mais vous allez devoir réfléchir. Aussi bien Porsche que Audi ou Toyota, pas un des trois ne restera dans les annales pour ses livrées. Vous prenez les années 80 et toutes les autos avaient un sponsor titre. Même sans cela, on savait jouer avec les couleurs, aussi bien la Porsche 911 GT1 que la Toyota GT-One. C’était simple mais ça a marqué son époque.
Quand on se replonge dans les documents d’époque, on sent de suite que l’automobile avait encore un sens. En 1980, il y a donc près de 40 ans, Jean Rondeau, qui venait de s”imposer aux 24 Heures du Mans, disait dans une interview : “Chaque fois que je discute avec des jeunes, je leur dis qu’il faut avoir une passion. Parce que ce qui m’inquiète le plus, c’est de voir que les jeunes n’ont aucune passion, aucun sens de ce qu’ils souhaiteraient faire. Ils trouvent que tout est moche. L’automobile serait beaucoup moins destructrice si tout le monde en avait la passion. Le sport automobile est un véritable sport. Un jour, si j’étais condamné à conduire une 2CV ou une voiture comme ça, je crois que je continuerais à avoir du plaisir et je ne dirais pas que l’automobile est une passion idiote.” Comment lui donner tort ? En 1980, il n’y avait pas de réseaux sociaux et encore moins de téléphone portable.
On ne peut pas cracher pour autant sur la technologie. Sans ces nouvelles technologies, vous ne liriez pas ces lignes, je n’aurais peut-être jamais pris l’avion et mon expérience sur circuit se limiterait aux gradins des 24 Heures du Mans. Depuis 2006, il m’est arrivé des trucs pas croyables, inimaginables, et tout ça grâce au sport auto. Le genre de trucs que même dans tes rêves de gamin les plus fous tu ne peux pas imaginer. Il faudrait bien plus qu’un article pour tout relater. Ces milliers d’archives à trier, je les ai vécues en étant acteur passif dans les gradins du Mans depuis tout gamin. J’ai harcelé mes parents pour m’emmener au Mans comme j’ai harcelé mes parents pour que ma première voiture ait des chevaux. La liberté quoi ! Croyez-le ou non mais mon premier PV sur la route, je l’ai pris en rentrant…du Mans. Comme vous tous, je voulais être pilote. Hum…
Tout ça pour dire que depuis 2006, il s’en est passé des choses. Nous avons coupé le gâteau des 10 ans d’Endurance-Info au domicile d’Henri Pescarolo. Merde, ce n’est pas rien ça. Et celui des 20 ans ?
Avoir des rêves qui deviennent réalité est certainement plus compliqué en 2019 que dans les années 80. Un artisan pouvait gagner Le Mans, les voitures faisaient du bruit, les moteurs étaient différents et on pouvait même espérer voir une Rondeau à 6 roues. De nos jours, tout est lisse. On a des moteurs uniques, des catégorisations de pilotes, des manufacturiers de pneumatiques uniques, des BOP, des arrêts techniques, des drapeaux rouges quand il pleut, des déclassements, des temps impartis dans les stands, j’en passe et des meilleurs.
On ne reviendra pas dans les années 80 c’est certain même si Samantha Fox est toujours aussi poumonnée près de 40 ans plus tard. En 1977, une enquête d’un magazine posait une question aux patrons des différents constructeurs : ‘Essayer de penser à l’automobile de l’an 2000, c’est à votre sens : perdre son temps, rêver ou tout simplement faire de la science fiction ?’ Réponse du patron de Porsche : “Nous considérons qu’il est parfaitement réaliste de penser à l’automobile de l’an 2000. Nous pensons qu’un grand nombre de solutions existantes pour notre Porsche 928 devraient devenir des standards sur les voitures de grande série de l’an 2000.” Jean Baratte, alors président du directoire de Peugeot, déclarait : “La voiture de l’an 2000 aura des caractéristiques techniques relevant moins de la science et de l’imagination des ingénieurs que des normes et réglementations imposées par les pouvoirs publics et les organismes internationaux.” C’est sûr que 12 000 euros de malus pour une Renault Megane RS en 2020, ça pique.
On ne sait pas de quoi sera fait l’avenir mais espérons que le sport automobile fasse encore rêver la nouvelle génération. J’ose penser que oui. En visitant les installations de Lamborghini au début du mois, je me dis que oui. La construction d’une Aventador ne peut pas laisser indifférent.
Avant, on s’évadait en pensant au futur. Maintenant, on s’évade en se remémorant le passé sans pour autant tomber dans la nostalgie. Vous m’imaginez passer quatre heures dans les archives, à rallumer mon ordinateur pour écrire un article sur la BOP. Alors telle voiture a pris 30 kg, celle-ci en a 10 de moins. Plus le temps passe, plus il devient compliqué de savoir quel est le meilleur pilote, quelle est la meilleure auto. Il faut vivre avec son temps.
Depuis 2009, il y a eu des bons et des mauvais moments mais seuls les bons méritent d’être retenus. En près de 10 ans, j’ai visité plus de 40 pays, je suis allé à San Luis, à Bathurst, j’ai vu du SUPER GT, j’ai bu trois bières avec Guy Ligier mais une seule avec Vincent Vosse, je suis allé chez André de Cortanze, j’ai déjeuné avec Gérard Larrousse, j’ai fait du vélo à deux avec Mako au Japon, j’ai failli mourir en essayant de suivre Guillaume Moreau valise à la main, j’ai vibré pour Hexis Racing en Argentine, j’ai remonté le temps avec Yannick Dalmas et le Dr Ullrich, j’ai écouté Christophe Bouchut durant des heures me raconter sa carrière, je suis rentré de nombreuses fois dans le bureau d’Hugues de Chaunac en prenant toujours une claque vu l’âme du sport auto qui s’en dégage, je suis monté avec Romain Dumas, j’ai mis la misère à Manu Collard en VTTT, je commente même des courses avec un Belge 15 fois par an et j’ai aussi pris le train avec Laurent Gaudin (oui oui c’est important de le préciser). Maintenant, j’attends mon déjeuner avec Didier Calmels, Gérard Larrouse et Yannick Dalmas. J’attends aussi (pour bientôt) mon déjeuner avec Eddy Merckx. Nan mais Eddy Merckx quoi !! Ma prochaine satisfaction pourrait être d’avoir une longue conversation avec Laurent Aïello avant de voir plus haut pour une discussion à quatre (Stéphane Ortelli sait de quoi je parle). Il faudrait plusieurs volumes pour tout raconter, sans oublier les choses non racontables ici.
Des choses à redire, il y en a un tas. J’ai par exemple trouvé débile, voire même très con, qu’on siffle un président de la République (et ce peu importe son bord politique) qui vient aux 24 Heures du Mans pour la première fois depuis près d’un demi-siècle.
Ni vous ni moi n’allons changer le cours des choses en sport auto. Personne ne peut prédire l’avenir et on prendra ce qui viendra. Vous comme moi, on sera bien là en 2029 pour parler sport auto d’une façon ou d’une autre. Je vais paraphraser Stéphane Ratel qui a fortement contribué à mon amour du GT : “La dernière voiture sera une voiture de course.”
En attendant, vous savez où je vais ce lundi 30 décembre 2019 ? Au Mans… Promis je vais essayer de rouler à 80 km/h. Faudrait pas prendre un PV même si ça aurait un côté nostalgique…