Monter à côté d’un pilote sur un circuit, qui plus est dans une voiture de série, n’a rien d’exceptionnel et cela devrait même être une promenade de santé. Pourtant, qui dit pilote sur un circuit dit que ça peut dériver d’un moment à l’autre.
Nous sommes le 10 octobre 2015 à Fuji et le WEC a la bonne idée d’inviter des journalistes à accompagner des pilotes pour deux tours du circuit de Fuji. Audi, Porsche et Toyota, alors tous trois présents dans le championnat en LMP1, ont amené des voitures de série.
Je réponds favorablement à l’invitation du WEC et on me propose d’accompagner Kamui Kobayashi dans une Toyota GT86 Cosworth survitaminée. Hmm, un peu léger non comme monture ? Surtout quand on voit que Porsche a amené des 911 et Audi des R8.
Vu que je suis toujours dans les mauvais coups, c’est Kamui qui va ouvrir le bal. Je mets le casque, je m’installe à bord. Je nous voyais déjà partir tambour battant sur un tracé qu’il connaît comme sa poche. Et là quelle ne fut pas ma surprise de voir plusieurs personnes de l’organisation venir à hauteur de Kamui. Je me dis que c’est juste pour lui rappeler qu’il doit rentrer après deux tours. Que nenni ! Là, j’assiste, bien impuissant, à une scène surréaliste. On fait comprendre à Kamui qu’il doit respecter les limites de la piste, ne pas faire le malin, ne pas faire la moindre glisse sous peine de quoi il sera convoqué ni plus ni moins chez Eduardo Freitas, directeur de course du WEC. Le roulage est même surveillé en vidéo depuis la direction de course. Cette année-là, Kobayashi ne fait pas partie de l’effectif Toyota Gazoo Racing en WEC.
Mon rythme cardiaque commence bizarrement à prendre quelques pulsations. On parle juste de faire un baptême de piste et nous voilà à un briefing pilotes. Bad boy le Kamui ? Il faut croire que l’homme n’est pas toujours respectueux des consignes. S’il y en a un qui doit connaître le moindre millimètre de cette piste, c’est bien lui. Peut-être est-ce le problème… Koba ferme la porte conducteur, je lui lance un : ‘tout est ok ?’ Il répond avec un pouce levé. Donc tout doit être sous contrôle.
On quitte la voie des stands et dès le premier droit, la Toyota est…comment dire… ni en dehors de la piste ni en glisse. On va dire qu’elle est à la limite des deux. Plutôt sympa cette G86 Cosworth. Je sens bien qu’au fil des virages, Kamui commence à trouver le temps long. Vous savez un peu comme si vous partiez en vacances avec une Audi RS6 attelée d’une grosse caravane. Le virage 16 (Panasonic) est pris impeccablement et nous voilà repartis pour un tour toujours aussi efficace sans la moindre fausse note.
Je pense que l’on va rentrer à la fin du tour mais non on repart pour une troisième boucle. Là, je me dis que ça va chier pour lui en revenant car à un moment il va bien falloir s’arrêter. Pendant ce temps-là, à Vera Cruz… (La Cité de la Peur) Moi, je ne boude pas mon plaisir de continuer et à la fin du 3e tour, la GT86 emprunte la voie des stands (même s’il n’a pas vraiment glissé, je pense que les gommes ont bien souffert).
Ce qui devait arriver arriva… Des journalistes japonais attendaient pour passer, donc ça s’est forcément vu qu’il a fait un tour supplémentaire. Je vois plusieurs personnes de l’organisation venir vers la Toyota à grandes enjambées. En ouvrant la porte, j’entends un : “Kamui ?” Et là je me dis qu’il va prendre une rouste, qu’on va lui retirer la GT86 Cosworth pour lui refiler une Prius en guise de TIG.
“Kamui c’était deux tours, pas trois”. Le pilote, en se tournant vers moi, lâche tout étonné : “mais personne ne m’a dit que c’était deux tours.” C’était vrai, personne ne lui avait dit. Ne pas faire le malin sur le circuit, oui, mais pas de faire deux et pas trois tours. Après coup, vu son petit sourire, il savait très bien que c’était deux tours. Il avait vu les autres rentrer après les deux boucles. En tout cas, moi je me suis régalé en piste. C’était bien le but, non ?