Continuons aujourd’hui avec une anecdote toujours axée sur l’humain. En 2011, le Championnat du Monde GT1 bat de l’aile, la faute à des coûts bien trop élevés. Plutôt que d’abdiquer et de laisser ses clients dans la mouise (pour rester poli), Stéphane Ratel est allé au terme de ses engagements avec un dernier meeting sur le circuit de San Luis en Argentine.
Pour cet ultime meeting, plusieurs médias européens font le déplacement, dont Auto Hebdo et Endurance-Info. Je fais cause commune avec mon ami Thibaut Villemant, dit ‘TV’ pour les intimes et les autres. Pour l’un comme pour l’autre, ce sera une première car nous n’étions pas là en 2008 et 2010. Sympa comme périple sauf qu’au moment de regarder le détail du voyage, on se dit que c’est tout sauf simple : Paris – Séville – Buenos Aires – changement d’aéroport à Buenos Aires – Mendoza et deux bonnes heures de voiture. Après coup, on a passé plus de temps à faire le voyage A/R que sur place. A ce jour, ce déplacement à San Luis reste pour moi le plus beau et depuis 2011, j’ai dû demander 300 fois à Stéphane Ratel quand est-ce qu’on y retourne. Des GT1, l’Argentine, un circuit atypique, des spectateurs passionnés par milliers.
Le circuit de San Luis, appelé également Potrero de los Funes, long de 6.2 km, est situé en pleine montagne autour d’un lac. L’endroit est juste surréaliste. Avant d’arriver sur place, il a déjà fallu se taper deux bonnes heures de route avec un Thibaut en passager d’un journaliste allemand qui roulait pleine balle sur l’autoroute avec une bonne vieille Opel Corsa. Il s’en souvient encore comme si c’était hier. On a évité le mec qui faisait sa vidange sur le terre-plein central, les animaux qui traversaient la route sans prévenir, j’en passe et des meilleurs.
Une fois arrivé sur place, on se fait un tour de circuit vu que la route est ouverte. On tombe nez à nez avec plusieurs membres du team Hexis Racing en pleine séance de constat amiable après un accrochage. Imaginez-vous remplir un constat au beau milieu de l’Argentine.
Le meeting se passe dans une ambiance très conviviale car tout le monde est loin de sa base, ce qui renforce les liens. En chauvins que nous sommes, un titre mondial pour une équipe française ne serait pas pour nous déplaire. C’est plutôt mal barré avec une 8e et une 14e place pour les deux Aston Martin DBR9 du team français en course 1. On va discuter avec les pilotes et l’encadrement : Piccini, Hohenadel, Piccione, Dusseldorp, Dumas, Mateu. Personne n’y croit vraiment avant la course de championnat. Nous sommes le 6 novembre 2011. La veille, Lucas Luhr et Michael Krumm ont raflé la couronne Pilotes sur une Nissan GT-R/JRM.
La course de championnat est chaotique avec un accrochage impliquant une Lamborghini/All Inkl, une Nissan/JRM et une Nissan/Sumo Power GT. Le safety-car entre en piste, c’est un peu le cafouillage, on croit savoir qu’il y a eu des dépassements sous drapeau jaune. La course reprend, tout le monde est dans l’attente, une des deux DBR9/Hexis n’a plus de capot avant.
Thibaut et moi sommes en salle de presse et on compte les minutes. On avait l’impression d’être deux supporters de l’Equipe de France de football en finale de Coupe du Monde. Pour une fois qu’on peut faire un peu de chauvinisme… On descend tous les deux faire un tour dans le stand, l’équipe commence à compter les points au championnat. Philippe Dumas ne l’entend pas de cette oreille et tape du poing sur la table : ‘stop !’ On quitte le stand en catimini sans demander notre reste, il ne reste que quelques minutes avant le damier.
Pastorelli/Buurman imposent la Corvette managée par SRT, les deux Aston Martin/Hexis font 3e et 5e. Suffisant pour décrocher le titre mondial Equipes ? C’est ce que tout le monde croit car il faut tenir compte de pénalités pour deux GT1 et que des autos ne marqueront pas de points vu qu’elles n’ont pas disputé toute la saison. Il faut donc sortir la calculette. On sort de suite pour recueillir les impressions des pilotes et de l’équipe. Personne n’ose trop crier victoire jusqu’à ce que l’écran affiche Hexis Racing World Champion.
Clément Mateu explose, Philippe Dumas pleure, les mécaniciens arrivent en criant, les pilotes jubilent. Finalement, je ne sais pas trop qui aller voir. Je n’ose pas aller voir Philippe, assis sur le bord du muret en pleurs, alors que ses adversaires viennent le féliciter. J’essaie d’attraper au vol Clément Mateu qui me file entre les mains à la vitesse d’un Usain Bolt. Cette petite équipe gardoise est partie le matin sans pression en se disant qu’il fallait faire le travail, que le titre était hors de portée. Hexis Racing, c’est un peu une bande de potes en vadrouille. Sauf qu’une fois les voitures en piste, on est face à des guerriers à qui rien ne fait peur. Ils sont capables de soulever une montagne pour leur team principal.
Quelques minutes après le damier, je retrouve Philippe à l’arrière du stand, l’air pensif. Je ne pose pas la moindre question, j’attends. J’ai le droit à un ‘C’est sûr, l’équipe est championne du monde ?’ Selon moi, oui mais je ne suis pas un officiel. Donc, ma seule réponse est un ‘oui’. Comme avec Fred Thalamy à Spa en 2017 (anecdote d’hier), je n’ai pas besoin de parler le premier. Tout y passe dans le calme et la retenue : la course, le titre, les pilotes, la saison, l’équipe. Les paroles sortent, toujours avec des blancs entre les réponses : “Mais nous sommes vraiment Champion du Monde ? (il marque un temps d’arrêt) C’est une très belle récompense. J’ai perdu mon papa et j’aurais vraiment aimé qu’il voit ça. C’est lui qui m’a donné le virus.
“Notre équipe est quasiment la même depuis nos débuts. En deux ans de GT1, l’équipe a pris cinq ans de maturité. Tout le monde est soudé. Après avoir débuté en monoplace, nous avons pris le virage GT grâce à la famille Rodrigues avec l’engagement d’une Porsche. Stéphane Sarrazin nous a ensuite mis en contact avec Prodrive et tout est parti comme cela avec des débuts en Aston Martin DBRS9 dès 2007. Nous étions partis pour rouler en FFSA-GT, puis Barwell Motorsport s’est désisté en FIA-GT3. Nous sommes alors arrivés. Fred (Mako) nous a rejoint et la mayonnaise a pris. C’est un très bon leader et il nous a fait bouger. On lui doit un peu ce titre.” Finalement, ça ne tient pas à grand-chose. Un désistement et vous vous retrouvez de FFSA à FIA. Quatre ans plus tard, c’est le titre mondial GT1 !
Je prends des notes en faisant mon possible pour retranscrire les émotions sans forcer le trait et sans trop m’immiscer. C’est leur titre, leur fête, leur bonheur. Mon travail est de ne pas saboter les émotions de quelqu’un, que le lecteur puisse vivre ces mêmes émotions par écrit à 10 000 km de là. On aime aussi le sport automobile pour ces moments intimes…