L’anecdote du jour est signée Jérôme Fougeray, qui a longtemps officié chez Courage avant de rejoindre Toyota Gazoo Racing. Celle-ci remonte à 2006 du temps du championnat Le Mans Series en Turquie sur le circuit d’Istanbul. Si vous ne connaissez pas Very Bad Trip, on ne peut que vous conseiller de lire.
A l’orée de cette nouvelle saison 2006, l’ELMS, alors gérée par Peter Auto proposait de débuter par les 1000kms d’Istanbul. Nous avions déjà effectué une course dans la capitale turque pour clôturer l’année 2005. Avec des infrastructures neuves, destinées à la F1, cette épreuve avait plu et c’est donc avec plaisir que nous retournions là-bas.
L’intersaison n’avait pas été de tout repos. Nous avions produit deux nouveaux modèles : la LC70 LMP1 qui recevait le moteur Mugen et la LC75 LMP2. Avec du recul, c’était certainement beaucoup, et peut-être trop, pour une structure du calibre de Courage. Mais la volonté de plusieurs irréductibles de l’équipe, le désir d’Yves de se battre au plus haut niveau et surtout la bataille commerciale de l’époque pour la petite catégorie prototype obligeaient le constructeur sarthois à être présent sur tous les fronts. Il fallait aussi assurer un service client aux nombreux teams qui s’étaient portés acquéreurs d’une Courage C65.
Cependant, devant la charge de travail assez conséquente, plusieurs décisions étaient prises afin d’être le moins « à l’arrache » possible. Ainsi, une seule LC70 était engagée aux Tests de pré-saison du Paul Ricard ainsi qu’aux 1000kms d’Istanbul. Pendant ces deux événements, assez rapprochés d’ailleurs (27.03 pour le Ricard et 09.04 pour Istanbul), une partie de l’équipe allait rester au Mans pour terminer le montage de la seconde LC70 et la préparation de la LC75 pour des débuts potentiels à Spa.
Alors que l’ELMS proposait un package aux teams qui leur permettaient de prendre ensemble le bateau à Trieste en Italie jusqu’à Patras en Grèce puis de rouler en convoi jusqu’au circuit à Istanbul. Je ne me rappelle plus du tarif demandé par l’organisateur mais évidemment c’était « trop cher » pour la petite équipe que nous étions. En discutant avec des connaissances qui exerçaient dans le transport, Yves arriva un matin en nous disant que la solution la plus économe serait d’y aller par la route. Sur le coup, le fait de partir à l’aventure nous plaisait fortement et personne, dans l’équipe, n’a eu l’idée de checker la faisabilité de ce voyage dans de bonnes conditions. Au-delà des traditionnels carnets ATA, il fallait également emmener les véhicules (nous partions à 2 semis et 1 Mercedes Vito) aux douanes afin qu’elles posent des scellés qui devraient nous permettre de passer toutes les frontières sans trop de problème. Imaginez un peu la course contre la montre…
De mon côté, je regarde quand même la route afin de vérifier le temps qu’il faut pour se rendre à Istanbul… et j’appelle également la Préfecture pour bien valider le type de papier d’identité que nous devons avoir pour ce périple. J’entends encore la dame me dire « Carte d’identité, ça passe partout parce que ces pays font partie de l’UE. Et vous n’avez pas besoin de passeport pour la Turquie non plus. »… Retenez bien ces mots…
En prenant un peu de sécurité au niveau du temps, nous faisons partir les camions le jeudi matin avant la semaine de la course. L’idée est que ceux-ci soient à Istanbul pour mardi soir au plus tard afin que nous puissions nous installer dans de bonnes conditions. Il faut dire aussi que nous sommes en flux tendu avec certaines pièces et qu’il y aura du travail à effectuer la LC70 (châssis #5) en arrivant sur place.
De notre côté, nous partons le samedi soir à 6 dans le Mercedes Vito non sans avoir chargé des pièces de dernière minute destinée à la voiture, cachées sous les banquettes. Je me rappelle entre-autres d’un échappement. On s’est fixés de se retrouver, avec les camions à la frontière entre la Hongrie et la Roumanie, première fois où les carnets ATA seront vérifiés. Bref, nous voici partis pour un périple qui devrait nous faire passer par Strasbourg, Munich, Vienne, Budapest, Bucarest, traverser la Bulgarie, passer la frontière près de Erdine et enfin arriver à Istanbul soit à peu près 3500 km. Avec 6 conducteurs, les kilomètres sont avalés rapidement si bien que le lundi, en fin de matinée, nous nous rapprochons de la frontière hongroise… Les gars, dans le Vito, commencent à me chambrer en disant qu’on va arriver très en avance…. Limite, je les sens déjà en train de réfléchir sur ce qu’on pourrait visiter en arrivant sur place.
On a commencé à déchanter quand on s’est rapproché de la frontière entre la Hongrie et la Roumanie… Sur la droite de l’autoroute, une file interminable de camions qui attendent de passer la frontière et de changer de pays. En les doublant, nous apercevons nos deux camions bloqués et décidons de les attendre de l’autre côté, en Roumanie. Nous passons relativement rapidement la douane bien que nous ayons tous serré les fesses quand le douanier a demandé à ce que nous ouvrions le coffre. Je ne me sentais pas trop lui expliquer les pièces qui étaient cachées sous les banquettes sans qu’elles soient déclarées…
Quelques centaines de mètres après la Douane, cela fait déjà une paire d’heures que nous attendons nos camions. C’est à ce moment qu’un mec peu scrupuleux, parlant un français impeccable, se pointe vers nous et nous pose quelques questions… et sans se démonter, nous propose des jeunes filles pour nous amuser un peu plus loin dans une maison… Je vois encore la tête de Joël, un de nos mécaniciens, qui a certainement dû penser à sa fille qui avait le même âge à l’époque. En voyant nos réactions, je pense que le mec a rapidement compris qu’il fallait qu’il détale avant de s’en prendre une… Cet épisode a jeté un blanc et plus personne ne parle quand les camions arrivent enfin… Tout s’est relativement bien passé pour eux et nous reprenons notre chemin. L’idée est de traverser la Roumanie rapidement et d’arriver à la frontière bulgare le lendemain soir. Ca peut vous paraitre long mais les autoroutes ne sont pas légion à cette époque là-bas, je ne vous parle pas des GPS et surtout, on ne s’est pas lavé ou changé depuis notre départ samedi soir. Ca commence à sentir bon dans le Vito. L’histoire du mec avec ses prostituées mineures nous a un peu refroidis et, du coup, nous avons décidé de rouler en convoi avec les deux camions et le Vito. Les deux chauffeurs de semi sont des habitués des voyages un peu spéciaux. Il leur est même arrivé d’aller jusqu’en Iran en camion… Ils relèvent aussi d’ingéniosité et je me rappelle qu’à un moment, je commence à mal vivre le fait de ne pouvoir me laver. L’un d’eux avait fabriqué un système de douche qui se fixait sur les barres verticales de son Magnum qui aidaient à monter dans la cabine…. Et nous nous sommes donc retrouvés en pleine nuit, au milieu de la Roumanie, à poil sur le bord de la route en train de prendre une douche…
Je vous passe aussi la descente du Boulevard de l’Union (l’équivalent roumain des Champs-Elysées) avec les deux semi et le Vito parce qu’on s’était trompé de route à Bucarest.
Mardi, en fin d’après-midi, nous arrivons à la frontière Roumano-Bulgare. Il faut d’abord se défaire des douaniers roumains et, une nouvelle fois, tout se passe relativement bien même si l’un deux nous interpelle sur les cartes d’identité de certains en nous disant, qu’à son avis, ceux qui ne détiennent que ce type de papier ne pourront pas rentrer en Bulgarie. On commence un peu à stresser mais on se dit qu’on va réussir à gérer… Pour nous diriger vers le poste de douane bulgare, nous devons traverser un pont que l’on ne voit que dans les films… le lieu typique que l’on s’imagine sur les pays de l’Est. Déjà bien stressés, je me rappelle que nous avions eu peur que le Vito nous lâche car nous entendions un bruit peu commun… C’était en fait des centaines de grenouilles qui croassaient au bord de la route…
On se présente au poste de douane et je tends à l’agent nos passeports et cartes d’identité. J’avais inséré dans le mien un peu de cash pour essayer de faciliter le passage… Il prend les passeports, met le cash dans sa poche et repousse les cartes en disant « No Bulgaria ». On essaie de lui expliquer pourquoi on est là, ce qu’on va faire… Mais autant mon niveau d’anglais était bien bas, lui ne faisait aucun effort pour nous comprendre et était surtout bien fermé. Et puis le sport auto en Bulgarie ne devait pas être loin du néant… On remonte dans le Vito et commence un brainstorming de haute volée… Est-ce qu’on peut contourner la Bulgarie ? la seule option était la Serbie mais, à l’époque, bien plus difficile d’accès… Soudain, on voit un homme qui, visiblement, a le même souci que nous. Il va dans le coffre de sa voiture et ramène du parfum et des Ferrero Rocher qu’il tend au douanier… et le mec passe.
Je descends du vito, ouvre mon sac, prends quelques vêtements du team, remets du cash dans mon passeport et représente tous les papiers… Le douanier prend le cash, repousse les cartes avec un « No Bulgaria » et me dit « you, be careful, jail »… Je fais moins le malin et j’ai une petite pensée pour la fille de la Préfecture…
On est bloqués et il faut trouver une solution… Il est 23h… On a prévu d’être à Istanbul le lendemain et il nous reste la Bulgarie à traverser et une bonne distance en Turquie. Il n’y avait qu’une seule solution : les 3 avec passeports devaient continuer avec les semi et les 3 autres ramener le Vito… au Mans. Nouvelle petite pensée pour la Préfecture…
Nous reprenons donc notre route en nous disant que nous avons dû manger notre pain noir. La traversée de la Bulgarie s’est relativement bien passée même si nous sommes perdus une paire de fois car nous n’arrivions pas à déchiffrer l’alphabet cyrillique. Et l’on se présente à la frontière bulgaro-turque…
Nous sommes en pleine crise de grippe aviaire et, avant de présenter les camions, il faut qu’ils soient passés au lavage (par nos soins). On présente les papiers et les carnets ATA et je sens, à nouveau, le douanier pas très coopérant. Il commence à nous expliquer qu’une loi est passée depuis le 1erJanvier qui oblige aux chauffeurs poids-lourds étrangers d’avoir un visa pour rentrer sur le territoire turc. Pour résumer, les camions peuvent passer, nous 3 (ceux du Vito) peuvent passer… mais les chauffeurs ne peuvent pas… Le douanier nous explique que la solution est d’aller à l’ambassade de France à… Sofia pour faire une demande de visa et que ça peut prendre plusieurs jours. Alors déjà, vu l’accueil des Bulgares, c’est sûr qu’on ira pas là-bas, Sofia est à plus de 300 bornes et on va pas y aller en semi et surtout l’horaire de convocation des vérifs de la LC70 commence à se rapprocher fortement.
Je décide donc d’appeler l’ambassade de France à Ankara en leur expliquant que nous sommes bloqués à la douane à Erdine… On est mercredi matin… Je suis tombé sur une turque qui parlait un français impeccable et qui allait tout faire pour nous aider… mais il lui fallait la journée… En ayant cette option B, on s’est dit qu’on avait peut-être une option A… Au final, on avait juste besoin de deux chauffeurs qui passeraient la douane avec nos semis qu’on reprendrait après pour filer à Istanbul…. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans les WC de la douane d’Erdine avec du cash en train d’essayer d’acheter des chauffeurs pour passer nos camions… en vain.
L’ambassade française nous a dépatouillé les choses et nous avons pu reprendre notre route vers 23h le mercredi soir. Autant vous dire que là, y avait plus de disque, de temps de conduite, etc… et on est arrivé à l’hôtel vers 5h si je me rappelle bien. Enfin l’hôtel, c’est un bien grand mot… mais je ne vous cache pas que même pourri, on était content… La semaine à Istanbul n’a pas été de tout repos non plus mais çà, c’est une autre histoire…