L’anecdote du jour n’a rien de marrant, c’est le moins qu’on puisse dire. La compétition automobile n’a pas que des bons côtés. Nous sommes le dimanche 3 juin 2012 en fin de matinée. Tout le monde est pleinement concentré sur la Journée Test des 24 Heures du Mans.
La pluie fait son apparition sur le circuit du Mans au beau milieu de la séance matinale. Il est 11h05 quand la OAK-Pescarolo #15 sort de la piste au Virage du Karting. Guillaume Moreau est au volant de la LMP1 qui mord sur la moquette verte humide et donc glissante, ce qu’on appelle vulgairement l’astroturf. Le Limougeaud tape violemment le rail. Des sorties de piste, on en voit fréquemment et fort heureusement la plupart du temps le pilote est indemne. Là, l’inquiétude est grande, les nouvelles se font rares. On entend tout et son contraire.
Je descends prendre des nouvelles dans le stand OAK Racing et je croise dans le paddock Sébastien Philippe, le team principal, avec la combinaison pliée et les bottines de Guillaume dans les mains. Un moment stressant et inquiétant. On sait juste qu’il est conscient. Mais à part ça ?
Le service médical, arrivé très vite sur place, a évacué Guillaume vers le centre hospitalier où il est soigné par le Professeur Lucas. Le diagnostic est sans appel : traumatisme de la moelle épinière sur une fracture de la douzième vertèbre. Il fallait diminuer le plus rapidement possible la compression de la moelle générée par la fracture, donc opération. Le pire a sans doute pu être évité grâce à l’efficacité des équipes médicales concernées.
A ce moment-là, personne ne parle de compétition mais juste de rétablissement. On prend des nouvelles de lui auprès de sa famille durant la semaine. L’opération a été longue et douloureuse et il y a même deux opérations. Si les choses avancent dans le bon sens, on pourra peut-être lui rendre une visite le samedi suivant, soit le 9 juin. Je suis en contact quotidien avec Olivier Pla, ami de Guillaume et lui aussi pilote OAK Racing en 2012. On prend des nouvelles à tour de rôle et nous avons le feu vert pour lui rendre une visite le samedi dans l’après-midi à Angers. On se donne rendez-vous à l’extérieur du Mans et nous voilà partis vers Angers. La distance entre les deux villes est de 100 km mais ce trajet m’a paru une éternité car je pense que, aussi bien Olivier que moi n’aimons pas mettre les pieds dans un hôpital. Dans notre cas, on ne sait pas du tout dans quel état on va trouver Guillaume, dont le pilotage était toute sa vie et qui se retrouve cloué sur un lit à attendre de débuter une très longue rééducation.
On arrive à l’hôpital (je pense qu’on a dû rouler à 90 km/h sur une autoroute limitée à 130 km/h), on cherche la chambre, on frappe. Ophélie, sa compagne (devenue par la suite sa femme), nous accueille. Guillaume est là, allongé sur le lit, souffrant mais avec le sourire. On ne sait pas trop quoi dire. On discute, on revient sur la longueur et la complexité de l’opération, la rééducation qui sera longue et surtout de savoir s’il pourra remarcher. Là, on est toujours loin de parler pilotage même si on parle du Mans. Vous, moi, seriez certainement au fond du gouffre dans une telle situation. Lui, non car il a un mental d’acier. Il demande à rejoindre un déambulateur pour nous raccompagner à l’ascenseur. Petit à petit, avec de l’aide, il y parvient. Déjà, on se dit que le mec est fou. Il a subi deux lourdes interventions chirurgicales de plusieurs heures quelques jours plus tôt et il est prêt à aller faire un tour dans le couloir. Est-ce bien raisonnable ?
C’est là où cette anecdote prend tout de même une tournure marrante. On sort dans le couloir et on tombe sur un grand-père, lui aussi avec un déambulateur. Je vous le donne en mille, Guillaume propose au grand-père de faire une course (sur le ton de la blague) pour arriver le plus vite à l’ascenseur. Un peu à la Jour de Tonnerre (lien). Croyez-moi, cette même journée, il commençait à réfléchir comment il pourrait modifier l’appui de son fauteuil roulant pour gagner de la vitesse.
Le 11 juillet, Guillaume faisait une apparition dans le paddock du Mans Classic. Début août, je lui rendais visite au centre régional spécialisé dans la rééducation et la réadaptation fonctionnelles de l’Arche, situé dans la banlieue du Mans où il étudiait les datas sur une machine qui permet une évaluation de la puissance musculaire et une rééducation intensive guidée par l’évaluation. Rien à voir avec une courbe moteur. C’est dans un tel centre que vous comprenez que vos petits tracas du quotidien sont à des années lumières de celles et ceux qui sont dans un tel centre : réapprendre à marcher, à faire du vélo. Gardons une chose en tête, on ne fait QUE du sport automobile et on ne va pas changer la face du monde. Ce serait bien que tout le monde garde cela à l’esprit.
Croyez-le ou non mais l’année passée, lors d’une sortie en VTT dans les bois, j’ai failli me prendre une rouste par un Limougeaud qui s’appelle Guillaume Moreau. Vous vous souvenez, un peu comme l’histoire de la valise à l’aéroport de Londres Luton en 2011. Une fois je veux bien, mais pas deux…