Il est loin le temps d’Inje Autopia où le directeur de course s’était vu contraint de stopper une séance d’essais à cause d’un agriculteur qui trouvait que le bruit des voitures dérangeait ses animaux en 2013. Il est loin aussi du meeting de Sepang la même année où un drone s’était littéralement écrasé au sol au moment du départ après avoir heurté une banderole publicitaire. Depuis la reprise en mains par l’ACO avec, à sa tête, Cyrille Taesch-Wahlen, l’Asian Le Mans Series connaît un nouveau souffle. Ce redressement ne s’est pas fait en un jour. Il aura fallu du temps, de la persévérance et beaucoup de dialogue pour avoir une grille alliant qualité et quantité sur un vaste continent qui ne demande qu’à s’ouvrir au sport automobile à un moment où l’Europe met de moins en moins en avant la compétition automobile.
Avec plus de 25 autos à Shanghai pour l’ouverture de la saison 2018/2019, la série a trouvé sa vitesse de croisière même si tout n’est pas gagné. Ce qui est valable pour l’Asian Le Mans Series l’est aussi pour la Blancpain GT Series Asia et le China GT Championship. Il faut séduire les équipes, mais surtout les fidéliser, ce qui est une autre paire de manches en Asie. Amener un peu de culture du sport automobile européenne en Asie n’est pas chose facile surtout que nous européens, peut-être encore plus les Français, passons souvent pour des arrogants auprès du monde extérieur. Il suffit de voyager à longueur d’année pour s’en convaincre.
Si l’Asian Le Mans Series se fait petit à petit un nom sur la planète motorsport asiatique, il y a bien longtemps que Le Mans est connu de tous. Ces dernières années, les KCMG, Eurasia Motorsport, AAI Motorsports, DH Racing et Jackie Chan DC Racing l’ont prouvé. Les prochains pourraient s’appeler Tianshi Racing Team, Viper Niza Racing ou WIN Motorsport. Monter un plateau d’équipes LMP2, LMP3 et GT composé uniquement d’équipes asiatiques est du domaine de l’utopie pour le moment. Il faut laisser du temps au temps. Les équipes européennes n’hésitent plus à repousser les frontières et franchir le pas d’un déplacement en Asie. Bien sûr, il y a des invitations pour les prochaines 24 Heures du Mans à aller chercher, mais pas seulement ou plus seulement… Faire le choix de l’Asie ne vous garantit pas une invitation, bien loin de là. Le précieux sésame se mérite.
Avec cinq LMP2 dans la même seconde en qualifs à Shanghai, vous comprendrez vite qu’il va falloir se cracher dans les mains jusqu’à Sepang pour avoir le ticket. « Je suis agréablement surpris par le niveau des équipes et des pilotes, même ceux qu’on ne connaît pas forcément en Europe », nous a confié un patron d’équipe à Shanghai. « Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas déjà 15 autos de plus sur la grille. Le calendrier est magnifique avec des tracés F1, l’organisation est au top, le sérieux que l’équipe technique de l’ACO est là. Avoir cette présence des techniciens de l’ACO rassure tout le monde, comme avoir Eduardo Freitas en directeur de course. Les liens se créent très vite dans le paddock. On ne peut pas nier que les invitations aux 24 Heures du Mans sont alléchantes, mais cela va bien au-delà. Le championnat permet de préparer de nouveaux pilotes sans avoir les contraintes du fabuleux niveau de l’ELMS. Beaucoup de gens se font tout un monde de venir rouler en Asie, mais croyez-moi, c’est bien plus simple qu’il n’y paraît. Il faut juste se dire : ‘on y va !’ »
Au sein du paddock, les avis sont unanimes. L’Asian Le Mans Series, qui pouvait encore être considéré comme un programme B pour les équipes ou un championnat qui aide à aller au Mans, est maintenant pris en considération comme un programme aussi important que l’européen. Quand vous allez à Spa-Francorchamps, vous avez vos repères. A Shanghai, c’est autre chose. La fameuse Pit’Brasserie est loin, très loin. On va appeler un chat, un chat : la Chine n’est pas la destination préférée du paddock aussi bien WEC qu’en Asian Le Mans Series. Vous ne pouvez pas conduire, il faut un visa pour entrer sur le territoire, trouver quelqu’un qui parle anglais est aussi improbable que gagner à l’EuroMillions, les repas sont compliqués, l’air n’est pas très sain et l’accès à Internet est un parcours du combattant. Ce n’est pas une critique, juste que nos modes de vie sont différents. Pourtant, je perds en crédibilité car cet article est posté depuis les airs entre Shanghai et Dubaï sur China Eastern Airlines qui propose du wifi gratuit et illimité, ce qui tranche avec Air France. Tout vous met loin de l’Europe.
Pour la petite histoire, la Chine va compter 400 millions de caméras d’ici à 2020. Même les toilettes publiques sont surveillées avec une reconnaissance faciale qui répond au souci d’économie de papier. Si vous avez utilisé votre quota de feuilles et que vous revenez, la machine vous reconnaîtra et vous devrez patienter neuf minutes pour avoir du papier.
Malgré ce mode de vie différent de l’Europe, les gens étaient contents d’être en Chine, des équipes aux pilotes, ce qui est pas loin d’être une première. Pour ma part, et malgré l’habitude de la série, j’ai eu l’impression d’être en colonie de vacances (même si c’était pour travailler). Dès le matin à 7 heures, vous partez en bus vers le circuit avec le GO (le directeur général du championnat), le directeur de course, les médias européens, l’équipe technique de l’ACO, le support-client d’ORECA. Croyez-moi, quand vous voyagez toute l’année, cela vous ramène à votre enfance. Le trajet de 40 minutes permet d’engager des conversations avec les uns et les autres dans la bonne humeur, de parler de tout et de rien. Ce paddock au grand complet fait penser à une famille qui se retrouve le midi et le soir pour manger autour d’une pizza ou d’un plat de pâtes au réceptif commun. Cela vous permet de prendre l’entrée avec Pierre Nicolet, la pizza avec Miro Konopka, le dessert avec Patrick Dias de chez Michelin et le café avec Côme Ledogar. Le team R24, soutenu par Eurointernational, a connu un problème de container qui n’est pas arrivé à temps. L’entraide est vite arrivée avec les concurrents qui ont prêté du matériel et des pièces, Panis-Barthez Compétition a fait don temporairement de sa cuve pour le ravitaillement en carburant.
On ne doute pas une seconde qu’ils seront encore plus nombreux à tenter l’aventure asiatique à l’avenir. Pour cette ouverture de saison 2018/2019, l’Asian Le Mans Series a collaboré avec le China Touring Car Championship très prisé dans le pays. Mes oreilles sont encore toutes sifflantes d’entendre les journalistes chinois s’émoustiller à chaque contact ou dépassement. Cette association d’un week-end a permis de faire connaître le championnat asiatique Le Mans au-delà des fidèles de l’endurance sans se préoccuper de savoir quelle était la série principale du meeting.
Rendez-vous dans moins de deux semaines à Fuji…