L’activité de CD Sport ne se limite pas à la compétition avec une école de pilotage itinérante qui fonctionne très bien, mais qui est à l’arrêt actuellement pour cause de coronavirus. Laurent Cazenave, co-dirigeant de CD Sport, nous a donné son point de vue sur sa vision d’un sport auto qui va devoir tirer les conséquences de la situation actuelle.
Vous craignez pour votre activité d’école de pilotage ?
“C’est là où on s’attend à souffrir. Les deux dernières années, l’école est venue en soutien de la compétition. Cette année, je pense qu’on va assister à l’inverse. Je m’attends à une forte baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 300 à 500 000 euros. On sait que c’est sur du volume qu’on dégage de la marge. Si la situation actuelle devait durer dans le temps, on pourrait avoir une entreprise sur deux qui disent qu’elle ne fait pas d’opération. C’est pour cela qu’il faut assurer d’avoir de la trésorerie pour l’hiver prochain.”
Le sport auto va souffrir selon vous ?
“Il va surtout souffrir en 2021 car beaucoup de choses ont été lancées cette année et ce qui a été fait ira à son terme tant bien que mal. Quand je lis que Jérôme Policand dit que quand un pilote touche une quille, la facture est de 15 000 euros, ce n’est pas normal. On a vu après la crise financière que l’argent était plus dur à trouver. Maintenant, un euro est un euro. Les gentlemen et les vrais sponsors vont regarder d’encore plus près les budgets car les entreprises vont dégager moins de marge. les budgets les plus simples à couper seront les dépenses non essentielles dans les entreprises. On verra moins d’opérations commerciales et de sponsoring. Il y aura forcément une baisse pour les équipes et les pilotes qui fonctionnent avec des sponsors.”
Il faut profiter de ce cataclysme pour changer les choses ?
“Est-ce qu’il faut revenir à des choses plus simples ? Je n’ai pas la solution, mais ça fait un moment que tout le monde le dit. Le sport auto dans son ensemble coûte trop d’argent. Selon moi, les constructeurs devraient proposer des solutions de financement pour les autos avec un système de leasing et une option de rachat possible dans deux ou trois ans. Le financement pourrait être fait auprès de la banque du constructeur. En deux ans, une GT4 passe de 190 000 à 110 000, voire même 90 000 euros. Le financement des autos est un vrai sujet qui empêche de dormir pas mal de patrons d’équipes.”
Il faut aussi diminuer les coûts…
“Il faut revenir à des choses plus simples et moins coûteuses. On adore tous les belles autos, mais dans plusieurs catégories, il n’y a plus de modèle économique. Une personne fortunée peut se payer une danseuse et partir quand il veut pour faire autre chose. C’est dangereux. Le schéma du LMP2 est identique au rugby d’il y a 20 ans. Il y avait un mécène derrière chaque club. Le souci est aussi de suivre ce que fait le voisin. Au début des années 2000, on avait 30 Formule Renault en France pour 120 à 130 000 euros avec un ingénieur pour trois autos. A cette époque, on avait Renaud Dufour qui effectuait son premier stage avec nous. Maintenant, la FR en Europe coûte au bas mot 560 000 euros. Il faut revenir à des choses plus simples.”
Investir, toujours investir…
“Nous aussi, on investit. On vient d’acheter une remorque pour 130 000 euros car si tu veux t’installer dans le paysage, tu le fais. Quand tu discutes avec des prospects l’hiver, cela fait partie des standards. Est-ce qu’un camion à 130 000 euros pour faire du GT4, c’est bien ? Ce n’est pas sûr… Il faudrait déjà limiter les évolutions dans le temps et limiter le budget de ces évos. Pourquoi pas aller à 4 ans pour une GT4. S’il y a un besoin d’apporter une amélioration technique, les constructeurs pourraient la prendre en charge. J’ai trois investisseurs qui me font confiance et on parle tout de même d’un total supérieur au million d’euros. Quelle banque pourrait me suivre ? Aucune. Sans eux, je ne me lance pas dans un programme sportif. Donner un prix maximum des pièces en GT3/GT4 comme en LMP3/LMP2 est une idée à creuser. Si un pare-choc avant coûte 3000 euros, il sera forcément plus simple. Certaines équipes LMP2 préfèrent acheter une 3e auto plutôt que d’avoir un stock de pièces détachées. Si les pièces sont plus simples, les constructeurs gagneront leur vie. Le package sportif fait rêver, pas les pièces. Si elles sont moins jolies, est-ce que le spectacle sera moins beau ? Je ne crois pas.”
Gérer la casse est un casse-tête ?
“On briefe nos pilotes avant et après les courses. Si on prend GT4 et LMP3, on arrive à 100 000 euros pour l’assurance. Quand elle augmente de 30%, cela fait 130 000 euros. Le pilote paie la franchise. En 2017, Mike (Parisy) et Gilles (Vannelet) ont été champions sans gagner une seule course. L’année passée, Arthur et Edouard ont cassé pour 8500 euros. J’ai toujours fait passer le message de faire attention à la casse. Il ne faut pas laisser penser qu’un pilote peut faire une demi-attaque. S’il y a attaque, elle doit être franche et, au pire, ça se termine portière contre portière, ce qui limite la casse. Cela ne sert à rien d’insister. Je dis toujours à mes pilotes de se protéger lors des premiers tours.
En 2016, je roulais pour AKKA-ASP à Spa et j’ai encore en mémoire le briefing collectif de Jérôme (Policand) qui nous expliquait de faire une course propre, de faire attention aux Am et de mettre son ego de côté. On l’a dit en permanence à Arthur et Edouard, et ça a payé. Quand on a le casque sur la tête, on est tous pareil car on reste des compétiteurs.”
Avec des courses qui devraient s’enchaîner cette année, il va falloir être encore plus prudent ?
“Je redoute les premières courses de juin ou juillet. Tout le monde a rongé son frein et ça peut faire des étincelles. Les courses vont s’enchaîner. Il ne faudra pas avoir le moindre pépin à Nogaro sous peine de manquer Spa.”
On ne sait pas encore comment se fera la reprise au niveau des spectateurs. Là aussi, il va falloir se poser les bonnes questions…
“Il faut intéresser les jeunes. Je le fais chaque année à Pau en faisant venir des écoles. Il faut impérativement faire découvrir les métiers du sport automobile. Il faut créer l’envie…”