Le Musée des 24 Heures du Mans organisait hier mercredi 5 juillet sa deuxième conférence de « La Vox aux Calandres », la deuxième depuis la reprise du Musée par l’ACO au Conseil Départemental de la Sarthe en février 2017.
Le thème de cette conférence était insolite pour ce temple de l’endurance que sont les 24 Heures du Mans : « Le Mans 1967, un Grand Prix d’exception »,
C’est en effet le 2 juillet 1967 qu’a été organisé sur le Circuit Bugatti le 53ème Grand Prix de l’ACF ; premier et seul Grand Prix de Formule 1 jamais organisé au Mans, et en même temps le dernier Grand Prix de l’ACF (Automobile Club de France) dont l’appellation devint ensuite Grand Prix de France. La boucle était bouclée, le premier Grand Prix de l’ACF s’étant déroulé les 26 et 27 juin 1906, sur un circuit Le Mans-Connerré-La Ferté-Bernard-Vibraye-St Calais-Bouloire-Le Mans, d’une longueur de 106,180 km à parcourir 12 fois (6 fois le samedi et 6 fois le dimanche).
Incongrue, l’évocation de la Formule 1, moins d’un mois après une 85ème édition des 24 Heures du Mans exceptionnelle ? Pas tant que ça,…, parce même lorsqu’on parle de Formule 1 au Mans, les 24 Heures ne sont pas très loin.
Donc, ce 2 juillet 1967, 15 pilotes allaient disputer ce Grand Prix, 15 pilotes d’exception dont -quand on dit les 24 Heures ne sont pas très loin…- dont 14 d’entre eux avaient déjà disputé les 24 Heures : Jack Brabham (1957 et 1958), Jim Clark (1959, 1960, 1961 et 1962), Denny Hulme (1961, 1966 et 1967), Joseph Siffert (1965, 1966 et 1967), Chris Irwin (1967), Pedro Rodriguez (10 fois, de 1958 à 1967 inclus), Guy Ligier (1964, 1965, 1966 et 1967), Dan Gurney (10 fois, de 1958 à 1967 inclus), Jochen Rindt (1964, 1965, 1966 et 1967), Bruce McLaren (9 fois, de 1959 à 1967 inclus), Mike Spence (1966 et 1967), Chris Amon (1964, 1965, 1966 et 1967) et Jackie Stewart (1965). Seul le britannique Anderson n’avait pas couru les 24 Heures, il décéda le mois suivant ce Grand Prix de l’ACF des suites d’un accident sur le circuit de Silverstone.
Sur ces 14 pilotes, quatre avaient déjà remporté les 24 Heures : Jochen Rindt en 1965, Chris Amon et Bruce Mc Laren en 1966 et Dan Gurney en 1967. Deux autres allaient les imiter un peu plus tard : Pedro Rodriguez en 1968 et Graham Hill en 1972. Difficilement concevable aujourd’hui…
Incongru, parler de F1 au Mans ? Pas tant que ça…, et l’histoire en est une illustration. Moins d’une semaine après la fantastique victoire dans les 24 Heures du Mans 1967 de la Ford Mk IV qu’il pilotait associé à A.J. Foyt, avec un incroyable record de la distance porté à 5232,9 km (la Porsche #2 victorieuse de l’édition 2017, sur un circuit différent certes, a tout juste franchi le cap des 5000 km), Dan Gurney remportait le Grand Prix de Belgique F1 avec une Eagle-Weslake, sa propre marque, et trois semaines après ce deuxième succès du mois de juin, il qualifiait son Eagle au Mans en première ligne aux côtés de la Lotus 49-Cosworth de Graham Hill, poleman, et de la Brabham-Repco de Jack Brabham, futur vainqueur. Or, la Ford Mk IV #1 de Gurney/Foyt était de retour pour la première fois au Mans le mois dernier avant l’édition 2017, un demi-siècle après sa victoire !
Incongru, parler de F1 au Mans ? Pas tant que ça…, c’est en effet Corey Chase, le nouveau patron de la Formule 1, qui a donné le départ de la 85ème édition des 24 Heures et qui est resté longtemps sur la passerelle surplombant la ligne d’arrivée, à côté de Jean Todt, le Président de la FIA ; et de Lindsay Owen-Jones, Président de la Commission d’Endurance de la FIA. Souhaitons que cette entente cordiale aboutisse sur une harmonisation des calendriers, empêchant des concomitances de date, et souhaitons également que quelques pilotes de F1 en exercice imitent leurs glorieux anciens en venant au Mans pour les 24 Heures. Après tout, cela n’a pas si mal réussi à Nico Hülkenberg….
Incongru, parler de F1 au Mans ? Pas tant que ça…., puisqu’on revient presque inévitablement sur les 24 Heures du Mans. Deux courses support encadraient ce Grand Prix de l’ACF : la Coupe R8 Gordini et le Championnat de France de Formule 3 dont la manche mancelle était appelée « Trophée de la Sarthe ». Le vainqueur de cette course de F3 fut un certain…Henri Pescarolo, en route vers le titre de Champin de France F3 1967,qui remportait donc sa première victoire au Mans, victoire qui sera suivie de nombreuses autres comme chacun sait.
Incongru, parler de F1 au Mans ? Pas tant que ça….L’invité d’honneur de la Conférence n’était autre que David Brabham. Sa présence au Mans revêtait une double légitimité puisqu’il est un des fils de Jack Brabham – Sir John Arthur Brabham, Officier de l’Empire Britannique-, vainqueur de ce Grand Prix de l’ACF 1967 et puisque David lui-même a remporté les 24 Heures du Mans 2009 avec une Peugeot 908 Hdi FAP et qu’il compte également 18 participations à l’épreuve mancelle.
David a évoqué pour le public la carrière de son père, Triple Champion du Monde de Formule 1 et qui a été le premier pilote -et le seul à ce jour- à remporter le titre F1 avec une voiture se sa propre marque. L’histoire de la famille Brabham au Mans est longue : Jack Brabham y a couru trois fois, en 1957, 1958 et 1970, cette dernière course sur Brabham ; Geoff, l’aîné de ses fils, trois fois également, en 1989 et 1990 sur Nissan et en 1993 sur Peugeot 905 Evo 1B ; Gary, le cadet, en 1989 sur une Porsche 962C ; David, le benjamin, a donc couru 18 fois au Mans, entre 1992 et 2012. Geoff a été vainqueur en 1993 et David en 2009, Jack a gagné le Grand Prix de l’ACF, la famille Brabham et Le Mans, ça a décidément du sens…David s’est fait remettre la photo du podium et de la victoire de son père.
La saga Brabham n’est d’ailleurs peut-être pas terminée puisque David a indiqué qu’il n’était pas encore officiellement retraité et qu’il n’excluait pas de revenir au Mans une nouvelle fois. Acceptons-en l’augure. David a également expliqué en partie l’éclectisme des pilotes de F1 des années 1950 et 1960. La Formule 1 de l’époque -autres temps, autres mœurs…- n’était pas suffisamment lucrative pour les pilotes, et c’est une des raisons pour lesquelles ceux-ci couraient également en Tourisme, en Endurance ou en Formule 2, qui aux dires de David, était assez rémunératrice… David indiqua également à Bruno Vandestick et Fabrice Bourrigaud, le Directeur du pôle « Esprit Le Mans » que la voiture qu’il avait préférée piloter au cours de sa carrière était la Jaguar XJR14, un proto qui, pour des raisons de réglementation, n’a jamais fait les 24 Heures.
Incongru, parler de F1 au Mans ? Pas tant que ça…cette conférence a été également marquée par un coup de fil de Jackie Stewart, qui n’avait pu faire le déplacement en raisons d’autres engagements. Le triple Champion du Monde F1 -comme Jack Brabham- précisa qu’il avait préféré courir ce Grand Prix de l’ACF avec un moteur 2 litres, jugeant le BRM H16 3 lires trop lourd et peu fiable. Les 24 Heures n’étant jamais très loin, Jackie Stewart est revenu sur son unique participation au Mans en 1965 sur une Rover-BRM à turbine qu’il partageait avec Graham Hill -quel équipage!- : Graham Hill avait pris le départ et avait tiré tout droit à Mulsanne, faisant connaissance avec le sable. Une petite quantité de sable se nicha dans la turbine, ce qui affecta la puissance et les performances de la Rover-BRM qui fait donc une course que Stewart qualifie d’extrêmement lente, la Rover-BRM se classant néanmoins dixième à l’arrivée, et première des voitures britanniques.
Pour revenir sur ce Grand Prix de l’ACF, il dut son existence pour une bonne part à Jean-Marie Lelièvre, qui souhaitait faire accéder le Circuit Bugatti, tout fraîchement construit, à la notoriété.
Curieusement, l’affiche de ce Grand Prix de l’ACF est illustrée par une course de F2 sur le Circuit de Rouen-les Essarts.
Le tiercé final de ce Grand Prix de l’ACF 1967 a été royal, Jack Brabham et sa Brabham-Repco BT24 (600 kg, 330 chevaux) devançant Denny Hulme, sur une autre Brabham-Repco et la BRM de Jackie Stewart. Denny Hulme allait remporter le titre de Champion du Monde de F1 cette même année 1967, Jack Brabham avait été Champion du Monde en 1959, 1960 et 1966, Jackie Stewart allait l’être en 1969, 1971 et 1973.