Lorsque vous dites que vous êtes journaliste en sport automobile, vous avez souvent droit en retour à ‘ah oui la Formule 1 ?’ Lorsque vous complétez votre propos en disant que vous couvrez des courses d’endurance, vous avez droit à un blanc. Ce n’est que lorsque vous rajoutez que vous traitez de courses telles que les 24 Heures du Mans que les gens comprennent enfin ce que vous faites. Que vous alliez dans une province reculée au Japon, en Azerbaidjan, à Dubai, en Argentine, au Mexique ou en Chine, dès que vous prononcez Le Mans, on vous comprend de suite : les 24 Heures. Pas besoin d’un traducteur.
Ce circuit qui fait rêver tant de pilotes, d’équipes et de passionnés est le lieu de rendez-vous annuel. Un pèlerinage pour des milliers de personnes. Arnage, Mulsanne, Parking Bleu, Hunaudières, Indianapolis, Tertre Rouge, Parking Rouge, autant de noms qui vous sont familiers. Vous avez tous l’habitude de voir Le Mans bondé de monde. Mais le reste de l’année ça donne quoi ?
Il suffit de prendre votre voiture pour un tour dans la partie ouverte toute l’année pour comprendre que le grand circuit des 24 Heures du Mans est en mode hibernation en dehors des 24 Heures. Des milliers de véhicules passent quotidiennement sur la ligne droite des Hunaudières, à l’endroit même où le sport automobile a écrit une partie de son histoire. Vous vous arrêtez sur le bord de la route et vous voyez des automobilistes passer, passer et passer encore. Les Sarthois n’y prêtent plus attention par habitude, les autres se disent qu’il doit bien se tramer quelque chose dans cette ligne droite compte tenu des rails, des deux chicanes grillagées et des imposantes protections le long des habitations. Si vous allez vous dégourdir les jambes sur la partie des Hunaudières fermée à la circulation, vous avez l’impression d’être dans une zone fermée depuis des années. La végétation s’est appropriée l’endroit mais dans moins de quatre mois tout sera impeccable, lisse comme un billard et les pilotes s’en donneront à coeur joie. En attendant, pas un bruit…
Vous continuez jusqu’à Mulsanne, puis vers Indianapolis où les traces dans l’immense bac à graviers rappellent que toute sortie est à proscrire. Pas de Toyota et de Gant sur les panneaux qui ornent la route, tout est soigneusement calfeutré dans l’attente des beaux jours et du mois de juin. Il n’est pas question de tourner à droite à haute vitesse au niveau du virage Porsche. Vous longez le circuit en toute quiétude pour marquer un arrêt sur le parking bleu au niveau de l’aérodrome. Si l’endroit est désert en ce 22 février, des milliers de voitures seront alignées en juin prochain.
On a beau aller au Mans fréquemment, on ne peut pas se résoudre à quitter la ville sans un passage par la partie ouverte du grand circuit. Il n’est pas question de se prendre pour un pilote de LMP1 mais bien de passer sur une route mythique, magique, unique. En février, on ne parle pas de compétition mais bien de respecter le code de la route. Dans quelques mois, ce sera pied au plancher pour 60 concurrents et 180 pilotes.
Inutile de revenir sur le Musée des 24 Heures du Mans où là aussi on se remémore les grandes heures du Mans. A chaque visite mancelle, on va jeter un coup d’oeil pour contrôler que la Ferrari 550 Maranello GT1 est bien là et que la Rondeau M379 n’a pas quitté son emplacement.
Une fois que vous avez expliqué au vigile la raison de votre venue sur le circuit, les 24 Heures du Mans sont à vous le temps d’un après-midi. Si le Circuit Bugatti est actif quasiment tous les jours de l’année, on est loin de l’affluence de chaque mois de juin. Le paddock attend impatiemment les structures, le village ne demande qu’à être en ébullition. Lorsque vous passez de l’autre côté, les tribunes et gradins sont à vous, uniquement à vous. Vous vous rappelez avoir usé vos fonds de culotte en famille, assis sous la tribune ACO durant deux jours chaque année. C’est là que vous regardiez passer inlassablement les voitures dans un bruit assourdissant. Au fil de la course, vous cochiez les abandons sur le journal Le Maine Libre, vous ne ratiez pas une seconde les commentaires de Radio 24 Heures. Vous vous preniez même à rêver d’être un jour pilote et d’être vous aussi dans une de ces voitures de course. Pour cela, il aurait fallu avoir du talent. Ces pilotes, héros des temps modernes, sont pour certains devenus des amis au fil du temps.
Pour des milliers de passionnés à travers le monde, la magie du Mans fait toujours son effet. Il faut juste s’assurer que cette magie perdure avec le temps. Le centenaire de l’épreuve sera à coup sûr fêté dignement dans 5 ans. A ce jour, personne ne sait quelles seront les forces en présence sur la grille de départ, mais cela ne fait aucun doute que des milliers de fans répondront présents pour assister à la plus grande course d’endurance au monde en juin 2023. Le Mans reste Le Mans et Le Mans ne laisse pas indifférent, même en février…