On pense avoir tout écrit sur les 24 Heures du Mans mais finalement chaque personne qui s’est rendue au moins une fois sur la plus grande course d’endurance au monde (ne soyons pas chauvin) a une histoire qui lui est propre. Beaucoup sont tombés dedans quand ils étaient petits d’autres ont un souvenir plus récent.
Comme beaucoup, la passion du Mans est familiale. Avec un père qui y a mis les pieds pour la première fois au début des années 60, il était quasiment écrit d’avance que la tradition allait se perpétuer. Quand on est gamin et qu’Internet n’existe pas, Le Mans est une course qu’on attend longtemps. Alors pour que l’attente soit plus courte, je prenais des grandes feuilles pour y faire 365 carrés et chaque soir une croix sur une case. 365, 364, 363, …., A partir de 10, ça commençait à sentir bon, très bon même. Sauf que même dans les années 80, il y avait un Comité de Sélection tenu par une seule personne : ma mère. Seule elle pouvait me donner le précieux sésame de manquer un samedi matin d’école pour me rendre au Mans. Il fallait bien défendre un dossier d’inscription, sauf que ce dossier était scolaire. Nan mais vous imaginez la chose : « Tu iras au Mans si tes résultats scolaires sont bons ». De quoi traumatiser un enfant pour toute sa vie. Et ne croyez surtout pas que le Comité de Sélection était une simple formalité. Il ne fallait pas payer de droit d’engagement mais la présidente du comité regardait bien si les résultats dans la colonne de droite avaient bien deux chiffres et non un. J’ai dû patienter plusieurs années avant d’obtenir le bon de sortie. Le comble du comble est que ma mère allait aux 24 Heures alors que moi je restais chez mes grands-parents à regarder la course à la télévision.
Une fois mon bulletin d’engagement validé, direction Le Mans. Je ne vais pas vous saouler avec mes débuts au Mans car j’ai déjà eu l’occasion de m’étendre sur le sujet dans ces colonnes. Je tiens juste à rappeler que Jean Rondeau, Yves Courage et Henri Pescarolo ont fortement contribué à faire que la flamme ne s’éteigne pas. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de connaître Jean Rondeau mais j’ai souvent conversé par courrier avec sa mère où elle m’envoyait des affiches, des photos dédicacées de son fils et des autocollants. J’ai la chance de connaître Lucien Monté (oui croyez-moi, c’est une chance), l’un des fidèles partenaires de Jean, qui m’a donné plusieurs dizaines de kilos d’archives sur Jean Rondeau. Pour Yves Courage, j’ai eu l’occasion de le voir au milieu des années 80 à La Roche-sur-Yon lors d’un Salon de la Voiture de Course où sa Cougar était exposée. J’ai eu droit à une affiche dédicacée (que j’ai toujours). Plus de 30 ans plus tard, je vais lui rendre visite chaque année à son bureau la semaine des 24H. Que dire d’Henri Pescarolo ? Nous avons eu la chance de souffler les 10 bougies d’Endurance-Info à son domicile quelques années après nous avoir laissé les clés de son atelier durant quelques heures.
Des anecdotes sur les 24 Heures du Mans, je pourrais vous en écrire un livre. Oui, quand j’étais petit, j’ai ramené de la terre des gradins dans une boîte, oui j’emmenais un radio-K7 pour enregistrer Radio 24 Heures pour me repasser les enregistrements chez moi, oui j’ai toujours dit à mon père qu’un jour je ferais partie des gens qui marchent sur la piste avant le départ, oui je pensais qu’être pilote était simple comme bonjour.
Durant des années, nous avions un rituel bien rodé avec mon père et Jean-Charles. Un parking bleu, une balancelle installée sous une tribune pour être en hauteur, des kilomètres avalés dans la poussière, un tour de village le samedi en fin de journée avant d’arpenter les parkings pour prendre en photos quelques belles autos, un diner à la voiture en écoutant Radio 24H pour ne rien perdre de l’action, un retour sur le circuit pour aller jusqu’au Tertre Rouge en passant devant le Welcome pour prendre quelques feuilles de classement. L’odeur de la rosée du petit matin laissait apparaître un sentiment particulier comme quoi ça tirait déjà à sa fin. Le premier rituel était d’acheter Ouest France et Le Maine Libre pour avoir les dernières infos. Direction ensuite Arnage et Mulsanne où en route on s’arrêtait pour que j’arrache les publicités sur les panneaux de signalisation (je sais j’étais un délinquant). L’heure du retour approchait et il fallait attendre près de 365 nuits pour espérer revenir. Au fil du temps, le Comité de Sélection s’est assoupli et maintenant je n’ai plus besoin de personne pour me rendre au Mans.
Au XXe siècle, on allait au Mans voir des voitures, soutenir des équipes, sans se soucier le moins du monde d’une quelconque réglementation. Sans Auto Hebdo, vous n’aviez accès à quasiment rien. Quand vous êtes gamin et que vous êtes passionné d’Endurance, Jean-Marc Teissedre est comme qui dirait votre maître d’école, celui par qui vous apprend les ficelles. Sauf que ma mère n’en avait rien à faire de Jean-Marc car il ne rentrait pas dans les objectifs du comité de sélection familial. Ce même Jean-Marc à qui maintenant je fais la bise quand on se voit. Dans la vie, on fait de belles rencontres.
J’étais dans les gradins pour assister à la victoire de Stéphane Ortelli en 1998, pilote qui indirectement est à l’origine de mon passage de passionné à acteur (ça ce sera dans mes mémoires).
Ce texte prend une tournure différente (avec un sommeil difficile à trouver) suite au décès de mon père ce dimanche 26 mai 2019, soit trois semaines avant cette course qu’il m’a fait découvrir. Ce 26 mai, le jour où l’enfant de la région gagne Indy. Un décès brutal sans aucun signe avant-coureur. Une heure avant, il pestait car il me devait 0.80c d’euros car c’est lui qui avait acheté Auto Hebdo avec le guide spécial des 24 Heures du Mans et je lui avais donné 6€ au lieu de 5.20€. Comme moi, il savait pourtant ce qu’il y avait dedans mais c’était pour les archives. La veille, je lui réglais ‘Le Mans les voitures françaises dans la course’. Depuis qu’il m’a emmené aux 24 Heures du Mans pour la première fois, beaucoup de discussions tournaient autour de la course dans les repas (au grand dam de ma mère). Il y a deux ans, j’étais fier de faire visiter les stands à mes parents (merci Jérôme) deux jours après la Journée Test avec le selfie à l’endroit-même où nous avons passé une dizaine d‘éditions à regarder passer les voitures. Il se plaisait à raconter à qui voulait l’entendre (même encore il y a peu de temps) qu’il avait fait deux tours du Bugatti en passager de Tom Kristensen dans une Audi DTM. Papa, cette édition 2019 des 24 Heures du Mans, elle sera pour toi…