Les 24 Heures du Mans vues par…Philippe Mehouas

LE MANS…. ! Les 24 Heures du Mans ! Le premier mot qui me vient à l’esprit c’est : PASSION ! Mais peut-on expliquer une passion ? On la vit à l’instinct, à l’instant, le plus intensément possible sans trop réfléchir, avec comme seul carburant le désir de voir, de savoir, de découvrir toujours plus. Une passion ne s’explique pas ! Demandez à un enfant pourquoi il aime les bonbons? Sa réponse vous laissera peut-être perplexe, mais pour autant imparable : « Parce que c’est bon…..!». Tout juste peut-on essayer de trouver des causes à l’origine d’une passion.

La mienne, je pense la tenir d’abord de mon grand-père qui, à chacun de ses retours des 24 Heures du Mans me ramenait une miniature. Auparavant sa passion à lui, il l’avait partagée avec mon père qui y est allé pour la première fois en 1955. Depuis, celui-ci m’a maintes fois raconté les terrifiants détails de cette si désastreuse année.

Pour ma part, j’ai découvert les 24 Heures du Mans en 1969, année elle aussi marquante de l’histoire de la plus grande course du monde, non seulement par sa spectaculaire arrivée mais aussi par la fabuleuse clairvoyance de celui qui en était le héros et qui commençait là à écrire les premières pages de sa légende.

En 2006, après avoir assisté à la première victoire d’un moteur diesel, et alors que nous étions sur le chemin du retour, mes deux enfants de quinze et douze ans me dirent en cœur : « Papa, c’était bien ! On a passé un super week-end… » Désolation… ! Je venais de contaminer mes deux filles….. ! La boucle sera-t-elle alors bouclée si moi aussi, j’ai la chance, plus tard, de ramener des miniatures à mes petits-enfants?

En 2007, j’ai été, l’un des deux heureux gagnants (un homme et une femme) d’un concours national organisé par Courage Compétition à l’occasion de ses 25 années d’existence. Claire, la gagnante féminine et moi-même avons donc été intégré à cette équipe durant la semaine qui a précédé l’épreuve. Inutile de préciser que, passant du bon côté des grillages du circuit, cette semaine fut pour nous deux, un événement exceptionnel.

A la suite de cette fabuleuse semaine et à la demande de M. Michel BONTE lui-même, j’ai été invité à mettre en page, mes souvenirs et mon ressenti sur cette expérience. Celui-ci date de Juin 2007 mais tous ces sentiments, tout ce ressenti sont encore bien présents dans ma mémoire.

Voilà donc ci-dessous, ce fameux texte :

LUNDI 18 (Lendemain de la course)

Ce matin, réveil difficile. En arrivant au bureau, j’ouvre ma messagerie pour envoyer quelques nouvelles brèves à Claire, Patrick et l’équipe Courage Compétiton : nien rentré, bien dormi mais nuit trop courte… Plein d’images me reviennent en mémoire, par flash, sans enchaînement logique. Je reprends le travail ce matin mais face à mon PC, la concentration n’est pas facile à trouver.

Début d’après-midi, je ne tiens plus ; bien qu’étant toujours au travail je visionne les CD sur lesquels Laurent, le photographe, m’a gentiment gravé les photos prises par lui ; ce midi en rentrant déjeuner j’avais pris soin de les ramener de la maison.

Les voilà ces photos…..Les vérifications techniques et administratives. J’y retourne par la pensée, j’y suis……La foule, les camions, les pilotes et les voitures. Elle est là …! Ils l’ont fait….! La voiture #13 entièrement détruite aux essais a été reconstruite et est présente. Et dire qu’il y a une heure ou deux, à mon arrivée dans les ateliers de Courage Compétition au Technoparc, les mécanos étaient encore en train de terminer sa finition avant de la charger sur le camion, direction Place des Jacobins. Chapeau bas, messieurs !

Et puis la photo de l’équipe à laquelle j’ai immédiatement été intégré; même quelques interviews en tant que gagnants Claire et moi-même du concours organisé par le team. Je viens de prendre la première dose d’émotion d’un traitement de fond qui va durer six jours

MARDI 19

Bien évidemment les images de la semaine passée continuent à défiler; mais plus nettes, plus précises que celles d’hier qui sortaient dans le plus complet désordre de l’intérieur de ma boite à souvenirs. Pour autant, même plus précises, ce sont des images identiques à celles de la veille qui reviennent à ma mémoire.

Après environ deux heures et demi de route, arrivée le mardi fin de matinée au circuit. Présentation rapide de l’équipe dans l’effervescence du départ des voitures pour les vérifications techniques et administratives. On m’habille aux couleurs du Team : pantalon bleu, chemise blanche. Me voilà habillé pour la semaine ! ( NOTA : à cette époque, les vérifications avaient lieu le lundi et mardi.)

Arrivée Place des Jacobins, vérifications des voitures et première grande émotion : la photo de l’équipe dont maintenant je fais partie et, également, photo devant les voitures avec M. Yves Courage et Claire, la gagnante féminine, dont je viens de faire la connaissance. Quelques minutes après, c’est avec les pilotes et sous le barnum du Conseil Général que nous sommes photographiés. Cette fois, c’est sûr, on y est dans le grand bain !

Milieu d’après-midi : les bruits de couloir qui se faisaient entendre depuis le pesage de ce matin sont confirmés : Stephane Johansson rejoint l’équipe pour piloter la voiture. Une nouvelle occasion pour moi de côtoyer une semaine durant une figure renommée du sport automobile.

MERCREDI 20

Peu à peu, je reviens à la normalité du monde du travail sans toutefois oublier pour autant qu’il y a une semaine toute l’équipe était dans les préparatifs de la première séance d’essais nocturnes.

Cette première nuit (mardi à mercredi) passée chez l’habitant avait été une catastrophe pour moi. Bien que toutes les conditions optimales d’hébergement soient réunies (calme et confort des lieux, gentillesse des personnes qui nous accueillaient), impossible de trouver le sommeil. J’ai occupé la moitié de la nuit à passer en revue cette première journée vécue au sein de l’équipe et la seconde partie à imaginer ce que pourrait être la journée de mercredi.

Cette soi-disant nuit a donc précédé une journée passée à effectuer des allers-retours, et ce pour différentes raisons pratiques, entre le stand, le réceptif V.I.P. et les ateliers. Ces trajets se faisant à plusieurs et souvent en « golf-cars » le grand avantage a été de continuer à côtoyer et donc d’approcher un peu plus individuellement chaque membre de l‘équipe. J’ai pu ainsi découvrir les valeurs de chacun de ces hommes et voir que l’esprit ‘famille’ chez Courage Compétition était bien la base de toute leur réussite.

JEUDI 21

Changement d’idées. Ce matin, ce sont les personnes, les visages qui dominent mes pensées. Flashback d’une semaine : ce jeudi matin tout le monde a « la pêche ». Les essais d’hier soir se sont bien déroulés, les places provisoires sur la grille, notamment pour une des deux voitures, satisfont chacun et il n’a pas plu.

Dans la matinée, j’ai l’occasion de croiser certaines personnes, quel plaisir également de prendre les repas du midi avec les mécanos près du réceptif. Franche rigolade assurée!

VENDREDI 22

A cette heure il y a une semaine (8h) nous n’étions levés que depuis quelques minutes. On avait pu bénéficier d’une – appelons ça – grasse matinée. Nous nous étions couchés assez tard la veille après les essais du jeudi.

Les mécanos n’avaient pas, eux, la même chance que nous puisqu’ils devaient procéder au changement du moteur sur chacune des deux voitures.

Ce vendredi matin a été calme bien qu’une foule considérable ait envahi la pitlane puisque celle-ci était accessible au public pour la visite des stands. A ce moment là, nous étions loin d’imaginer Claire et moi-même ce que nous allions vivre en fin de journée.

En effet il nous a été permis grâce à une part égale de chance et de culot de suivre la parade des pilotes et ce, dans la voiture même où se trouvaient ces derniers. Défiler dans la ville du Mans devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs laisse un souvenir à la hauteur de l‘événement.

Je ne parlerai pas du retour au circuit dans la navette avec les pilotes, où certains que je ne nommerai pas, se sont lancés par téléphone dans un plan de drague assez remarquable. Souvenir mémorable et hilarité générale. Et ce n’est pas Patrick, le chauffeur de la navette, qui me dira le contraire. Seul Stephan Johansson ne parlant pas Français, avait quelque mal à suivre nos play-boys malgré les efforts de traduction de certains afin de ne pas le laisser sur la touche. Encore une nuit, plus qu’une nuit ; essayer de dormir en attendant demain 15 heures.

DIMANCHE 24

Une semaine. Une semaine déjà que cette formidable aventure est terminée. Depuis lundi dernier et grâce à la gentillesse de Laurent, le photographe, je revisionne sans cesse les différents moments de cette semaine mancelle.

Le milieu de matinée débute par une surprise de taille ! Ce n’est ni plus ni moins qu’un tour du circuit en hélicoptère qui nous attend Claire et moi ! Vu d’en haut, tout est impressionnant, le circuit, les parkings remplis de points minuscules que sont les voitures et toute cette ambiance tellement spécifique!

Mais plus encore que les instants, même s’il y en eut de très forts, ce sont les personnes qui m’auront le plus marqué. Comment ne pas parler en effet de tous ces gens qui s’investissent à fond durant une semaine. Je suppose qu’une grande partie d’entre eux est obligée de prendre quelques jours de congés et qui plus est, trop occupés à mener à bien la tâche qui leur a été confiée, ils ne voient quasiment rien de la course.

De la course elle –même, que dire sinon que les résultats n’étaient pas à la hauteur des espérances. Et pourtant toute l’équipe a du fournir un travail de titan une bonne partie de la nuit.

Tout cela pour avoir au final une voiture sur la touche et la seconde qui, accablée par la malchance flirtait malheureusement avec les profondeurs du classement. Mais finalement, pour moi peu importe ce dernier. Plus l’arrivée approchait et plus je prenais conscience que cette exceptionnelle aventure allait s’arrêter là, dans quelques instants. J’allais devoir quitter cette équipe qui nous avait accueilli – Claire et moi, de façon fabuleuse, cette équipe qui m’avait marqué et qui maintenant allait me manquer.

Et, alors que depuis la fin de matinée, je devinais se profiler cette vilaine impression de manque et de cafard, je n’ai pas pu voir l’arrivée. Aussi étrange et bizarre que cela puisse paraître, il a fallu que j’aille me réfugier dans un recoin du stand. Les nerfs ou autre chose ? Je ne cherche pas d’explication, à quoi bon ! Je me suis mis à pleurer !……Difficile pour moi de faire un tel aveu et dévoiler ainsi une partie de ce que l’on voudrait garder pour soi, dans son jardin secret. Les larmes ont brouillé ma vue, ces larmes qu’il ne faudrait que les autres voient, celles que l’on ne veut pas montrer sous peine de ne pas être un homme ; mais celles que l’on ne peut ni contenir ni retenir parce qu’elles viennent du cœur et que le cœur, il a mal, mal de savoir que tout s’arrête, mal de devoir quitter ces gens tous aussi formidables les uns que les autres.

Voilà exposé le déroulement de ma semaine vu au travers le regard de celui qui a conscience d’avoir vécu quelque chose de tout à fait exceptionnel ; cette semaine qui restera pour moi un événement fabuleux et qui m’aura permis de rencontrer des gens hors du commun avec maintenant une seule envie, celle de les revoir tous au plus vite .

Ayant pu, grâce à cette semaine, mettre un pied dans ce milieu du sport automobile, alors oui, ces gens là, je les ai revus, pas tous bien sûr mais toujours avec autant de plaisir. En effet, mon aventure ne s’est pas arrêtée là ; d’ailleurs, je ne pouvais même pas l’envisager !

Aussi, après avoir noué quelques contacts, auxquels il faut ajouter une bonne dose de ténacité, de persévérance, parfois de beaucoup de désillusions, je continue à vivre ma passion en essayant de toujours être au plus près du cœur de l’événement.

Depuis plus de 10 ans maintenant, j’ai l’immense privilège de continuer à vivre Le Mans de l’intérieur au sein d’une formidable équipe ; et maintenant que ma situation professionnelle me le permet, les 24 Heures du Mans ne me suffisent plus…. !

L’an passé, j’ai eu le plaisir de participer au Mans Classic, toujours parmi une équipe et, cette année, je suis intégré au sein d’une écurie pour suivre la saison ELMS. Il y quelques semaines, j’étais à Monza après avoir vécu de l’intérieur l’épreuve du Castellet.

Quelle excitation, quelle montée d’adrénaline quand vous entendez à la radio que la voiture va s’arrêter au stand et que l’on compte sur vous pour que cet arrêt soit le plus court possible ! Même si je n’ai pas un rôle primordial au sein de l’équipe, je me dois d’assurer.

Toute cette passion que j’ai cherché à vivre le plus intensément possible m’a amené à côtoyer des pilotes, des légendes du sport auto, tous aussi sympas les uns que les autres et que je ne nommerai pas de peur d’en oublier ; des teams managers également, des mécanos qui ne se prennent jamais au sérieux mais qui font leur boulot le plus sérieusement du monde.

Un jour, j’ai entendu un pilote me livrer son analyse : lui qui était un ancien sportif de très haut niveau et qui pratiquait son sport en équipe, m’a dit textuellement : « J’ai joué dans plusieurs clubs internationaux, à la fin d’une rencontre chacun rentrait chez soi, et l’esprit d’équipe, le vrai, je l’ai rencontré dans le sport automobile » ! Est-il besoin d’ en dire plus ? Tout est résumé dans son propos !

Dans une quinzaine de jours je boucle mon sac pour la prochaine édition des 24 Heures du Mans et, arrivé à la fin de mon long – trop long (?) commentaire, il me vient une idée complètement farfelue : lorsque l’heure de mon dernier souffle sera venue, si je me faisais incinérer avec mes sous-vêtements anti-feu et ma combinaison ignifugée, histoire de se marrer une dernière fois ? Ce serait vachement drôle non, vous ne trouvez pas ?