2018, j’ai emmené mon fils aux 24 Heures du Mans pour la première fois. Pour notre séjour en binôme, on a fait le choix de s’installer au camping sur le circuit. Je n’avais jamais pratiqué ce type de logement rudimentaire en dehors d’une lointaine expérience militaire. Par contre le fiston est un adepte du camping sauvage et de la survie en milieu hostile. Nous étions donc armés pour nous immerger dans la plus légendaire des courses automobiles au monde.
Vendredi, veille de la course, le premier objectif du week-end a été d’établir le campement. Nous avons planté la tente au « Beauséjour », comme son nom ne l’indique pas, c’est le secteur le plus populaire. Je me suis demandé s’il était approprié de venir avec mon coupé Renault Laguna blanc, mais je me suis retrouvé avec d’un côté un germanique et sa grosse BMW et de l’autre des anglo-saxons avec de rutilantes Jaguar. Finalement c’était moi le « sans dent* ». Une fois installé, nous sommes allés déjeuner avec les « forumeurs » d’Endurance Info, un moment très convivial. Après quatre heures à évoquer notre course favorite, j’ai déjà ressenti un premier coup de fatigue inattendu. Il y avait peut-être un peu trop à manger et à boire. II nous fallait partir pour ne pas compromettre notre copieux programme du jour. Nous avons visité les stands où les mécaniciens roulaient des mécaniques, puis nous avons pris la direction du centre ville du Mans pour assister à la fameuse parade. Dans le tramway, chemin faisant, il y avait un anglais habillé en infirmière. Il y avait aussi deux français également bien fatigués qui draguaient l’infirmière. Non, Je ne faisais pas un rêve dérangeant, c’était juste le folklore de la grande course. Nous avons ensuite vaillamment bravé la foule de la parade et celle du concert de Jamiroquai. A l’heure du marchand de sable, il était plus que nécessaire de regagner notre modeste havre de paix. Mais de paix, au « Beauséjour » il n’y a point avant trois heures du matin !
Samedi, premier jour de la course, sept heures du mat’ j’ai des frissons (comme chantait Chagrin d’Amour), plus moyen de dormir. Le passage à la douche était indispensable. Mais il n’y avait pas d’eau dans les sanitaires, et nos intestins fortement sollicités la veille réclamaient une vidange. A ce moment-là je me suis senti dans la peau de Mike Horn l’aventurier. On a décidé de foncer au cœur du circuit. Le matin, on peut aller aux toilettes sans perdre une heure de course dans une file d’attente interminable. Dans la foulée, on a visité le paddock du Road To Le Mans avant de voir les concurrents se livrer belle bataille. Pour la course, on était dans la tribune face au podium. C’est top pour la cérémonie de départ. C’était génial, il y avait le dieu du sport automobile devant nous tout de blanc habillé. Il s’appelle Jacky Ickx, quelle classe ce mec ! Puis le moment tant attendu est arrivé, ils ont lâché les fauves pour la grande explication. C’est toujours aussi grandiose. On en a pris plein la vue, plein les oreilles, et même plein le reste des sens de notre carcasse.
Cette course passe à une vitesse folle dans tous les sens du terme. Après avoir randonné toute la journée pour mieux observer les fous furieux sur la piste, mangé des cochonneries et bu de la bière, on avait besoin de souffler. On a trouvé refuge au Musée des 24 Heures du Mans avant de nous rendre au concert de Texas. Et oui, Sharleen était là. De ma petite taille, je la distinguais en sautant et je l’entendais chanter “Here comes the summer’s sun” quand les bolides ne passaient pas sous la passerelle Dunlop. Puis quand elle a chanté “I’m tired of telling the story “, moi aussi j’étais fatigué. On a laissé tomber pour écouter du Gibson** au freinage du Dunlop. Ca pétarade, ça crache du feu, c’est plus rock’n’roll. Je suivais le classement de la course sur ma tablette quand un anglais m’interpella. Il ne m’a pas sollicité pour connaître les positions des Aston Martin, probablement pour éviter mes sarcasmes. Non, son intérêt se portait sur la Cochon Rose, cette Porsche aux formes généreuses, à la robe d’évocation gourmande et à la sonorité délicieusement diabolique. A une heure du mat’, on a regagné la tente. On entendait bien les moteurs gueuler. Au lieu de compter les moutons, j’ai compté les Gibson**. C’est efficace, j’ai bien dormi.
Dimanche, deuxième jour de la course, on a retrouvé un peu de dignité, Il y avait de l’eau dans les sanitaires. Mais on a continué de manger des cochonneries et de boire de la bière. On a aussi provoqué une surchauffe de la carte bancaire lors de notre dernière visite au village. Puis ce fut l’épilogue de la course. On a vécu l’arrivée des 24 Heures avec un belle émotion. On assisté à la première victoire de Toyota avec Nakajima au volant pour tordre le coup du satané chat noir, à la victoire d’Alonso dans sa quête de triple couronne, et à la victoire de la Cochon Rose pétaradant de toutes ses forces pour manifester sa jubilation. Après les podiums, on est descendu sur la piste retrouver les autos garées à l’entrée des stands, le moment idéal pour contempler les stigmates de la course et respirer les effluves d’après combat. Le retour en Aquitaine s’est fait en passant par les Hunaudières. Ca m’a fait penser au début du film Le Mans de Steve McQueen, quand il s’arrête sur la célèbre départementale avant d’arriver au circuit. J’étais au volant avec plénitude…
Lundi, lendemain de la course, on a retrouvé le bercail. On avait la vivacité d’un zombie et on en avait peut-être même l’apparence, mais on était heureux. Heureux et fier d’avoir brillamment relevé le défi de vivre pleinement la mythique épreuve… « en mode baroudeur » !
* Expression prêtée à un ex-président de la république française pour désigner les couches populaires d’une nation.
** A ne pas confondre avec la guitare électrique du même nom, le Gibson est un moteur huit cylindres disposés en « V » à la sonorité que l’on peut qualifier d’enragée. Il est très représenté est très fiable, ce qui peut provoquer, chez certains mélomanes, une forme d’overdose.
Merci à ma fille pour ce très beau cadeau.
PS : Mon fils me demande « quand est-ce qu’on y retourne ? ». Je n’ose pas lui avouer mon désir de me la jouer cool genre… « en mode V.I.P. »