J’ai baigné dans les anecdotes sur les 24 Heures du Mans depuis mon enfance. Mon grand-père vivant à Alençon, à moins de 50km du Mans, m’a raconté beaucoup d’histoires sur cette course. Il est tombé dedans en se faisant dépasser près de chez lui par des concurrents qui, à l’époque, se rendaient au circuit en utilisant leur voiture de course. Cela lui donna envie d’aller voir les 24 Heures du Mans pour la première fois. La course dure une journée, l’atmosphère y est magique dans les enceintes populaires, les balcons de ravitaillements permettent d’assister aux changements de pilotes aux premières loges. Elle emprunte un circuit et des routes nationales que l’on peut utiliser tous les jours pour aller à Tours, et encore bien d’autres détails que je pourrais passer des heures à me répéter. Il y a aussi beaucoup de belles histoires humaines autour des pilotes qui y participent, et qui sont beaucoup plus accessibles que lorsqu’on assiste à d’autres sports. Un pilote a déjà pris le départ en marchant quand tous les autres rejoignaient leur voiture en courant, et a quand même réussi à gagner à la fin. Un autre a participé avec son fils, et assuré plus de 23h de course au volant tout en gagnant la course! Un autre a passé plusieurs relais de nuit à gagner du temps pour reprendre la tête, sous la pluie et sans essuie-glaces. Et il y en a tant d’autres qu’il me semble que chaque édition de cette course est exceptionnelle! Les noms de Pescarolo, Rosier, Gachot, Ickx, et tant d’autres, ainsi que des constructeurs comme Matra, Talbot, Porsche, Ford, Ferrari, … reviennent donc souvent sans que je n’ai eu l’occasion d’assister à leurs exploits en direct.
Si cette course fait rêver, elle a longtemps eu pour moi un inconvénient majeur: se tenir en Juin! Pourquoi diable organiser cet événement à l’époque ou, de l’école primaire à la fin des études, les passionnés de sport auto en herbe sont occupés à préparer des examens de fin d’année, afin d’assurer assez de points pour passer à l’année suivante ? Le week-end des 24 Heures du Mans était toujours synonyme de révisions, la veille d’une interrogation ou un examen. Habitant en Belgique, un week-end au Mans à 500 km de chez moi, et en plein milieu de révisions était impossible à défendre auprès de mes parents.
En 2011, mon premier job en poche, et pouvant enfin décider de mes dates de vacances, un week-end de Juin a été réservé longtemps à l’avance afin de pouvoir enfin assister à cette course en vrai, et plus à travers les directs TV.
J’assistais donc aux essais et au week end avec mon grand père et mon père, tous deux aussi contents que moi de pouvoir partager ça ensemble. Le planning était connu: assister au départ depuis une tribune, et ensuite se balader à pieds pour suivre la course et prendre des photos des différents endroits du circuit.
La magie était bien présente dès le début du week-end, avec l’installation de notre tente suivie de la procédure de départ, hymnes nationaux et une musique pendant le tour d’honneur dont je ne saurais me lasser.
L’ambiance du circuit dont j’ai tant entendu parler est aussi bien représentée. Traverser des campings remplis de caravanes d’Anglais décorées autour du sport automobile, voir la grande scène, les manèges, le paddock, et tant d’autres choses agrémentent le spectacle de la piste.
Les différences de vitesses entre catégories sont flagrantes à l’œil nu, et les risques pris par les LMP1 pour doubler impressionnent. Le soir, une Ferrari vint casser sa suspension en ratant la chicane de raccordement, en face de notre tribune. Le pilote passa plus d’une heure à tenter de la réparer pour repartir, aidé par ses mécaniciens venus dans la zone spectateurs tenter de lui donner des conseils en vain. Les histoires humaines du passé décrites par mon grand père peuvent donc encore se produire. Il se passe toujours quelque chose d’inattendu, et la passion reste toujours la même qu’elle que soit l’édition et quels que soient les règlements. Après une ultime tentative pour faire quelques mètres, le pilote se résigna à abandonner, reportant d’un an les efforts à réaliser par son équipe et ses coéquipiers pour voir l’arrivée des 24h.
Après un bon repas typiquement manceau, à base de pain et rillettes, la nuit tomba sur le circuit, mettant en avant la beauté des feux arrières led des lmp1 rescapées des premières heures de course, ainsi que les flammes sortant des échappements de beaucoup de concurrents. Ce spectacle a lui seul justifie l’attente de cette journée de l’année, et il est difficile de l’arrêter pour aller se reposer quelques heures.
Le dimanche matin consiste souvent au même rituel: acheter l’édition du Maine Libre, et vérifier quels concurrents on voit toujours passer sur le circuit. Le scénario de fin de course commence à se dessiner, et la perspective d’une nouvelle journée de balade autour du circuit suffit à se réveiller tôt. La matinée est agréable, avec souvent moins de monde qu’en début et fin de course. Et voir mon grand-père de 75 ans marcher quelques km avec nous permet de mesurer l’engouement que cette course peut susciter.
Avec les années qui ont suivi, j’ai pu découvrir de nouveaux virages du circuit, tous aussi différents qu’intéressants: Arnage, Mulsanne, Maison Blanche, et j’en passe! Voir ces prototypes arriver sur des virages bosselés, habituellement ouverts à la circulation, est une première pour moi, qui suis plustôt habitué à voir des courses sur le circuit permanent de Spa.
Après une deuxième journée à profiter du spectacle offert une fois par an, une dernière occasion m’est donnée d’applaudir et remercier les acteurs de cette magnifique course, pilotes et équipes qui préparent leur voiture depuis des mois, et qui enfin voient l’arrivée de ces 24 Heures du Mans.
Voilà maintenant le dimanche soir arrivé, des images plein la tête, et un petit pincement au coeur en me disant qu’il fallait attendre un an avant de connaître ça à nouveau. Reste les 500 km du retour à conduire lors desquels, la fatigue aidant, j’ai l’impression de revoir les feux arrières des prototypes sur les voitures devant moi.
C’est donc ça Le Mans, une course se déroulant sous mes yeux, lors de laquelle plein de belles histoires se racontent et dont je me souviendrai toute ma vie. Une passion qui m’a été transmise par mon grand père, et que je peux maintenant partager en famille. Au fil des éditions, peu importe les règlements en cours et les concurrents présents, il y a toujours eu de nouvelles histoires magnifiques. Même si aujourd’hui, il est interdit pour un pilote de conduire 23 h de course, je sais qu’une voiture rescapée d’une équipe de 3 peut gagner une course avec 13’’ d’avance sur son poursuivant au bout de 24 heures. Un pilote peut assurer ses relais et gagner la course, alors qu’il a perdu un de ses grands amis la veille dans un tragique accident. Un autre peut devoir renoncer à son rêve à 3 minutes de la fin d’une course de 24 heures, alors que toute son équipe a travaillé à la perfection depuis des mois.
C’est aussi des rencontres, un groupe d’amis que je vois à chaque course du WEC en Belgique, ou lors de la semaine du Mans. Tous ont la même passion pour ces catégories de voiture, et partagent leurs nouvelles et bons plans sur les sites web et forum actifs toute l’année.
Enfin, c’est grâce à cette course que j’ai pu découvrir la photographie, et progresser d’année en années.
Alors cette citation entendue maintes fois me revient souvent à l’esprit: “On n’a jamais été aussi proche de la prochaine édition des 24 Heures du Mans!”