Il va certainement falloir s’attendre à voir de plus en plus de filles en sport auto et on ne s’en plaindra pas. Le développement de la FIA Women in Motorsport doit permettre de donner une touche féminine à un sport réputé macho. Maintenant, la question est de savoir comment y arriver.
Voir des filles participer à des essais en Formula E, qui plus est en Arabie Saoudite dans un pays où les femmes ont depuis peu le droit de conduire, est un signe positif qu’on espère être loin d’une simple idée marketing. Quel est l’avenir pour ces féminines ? En verra-t-on au moins une dans un vrai meeting face à des hommes ? Rien n’est moins sûr. Si les chronos de ces demoiselles sont publics, il serait débile de les comparer aux pilotes réguliers de la série. Même avec des écarts chronométriques très importants, il s’agissait d’une simple séance de découverte pour des filles qui étaient loin d’avoir l’expérience de l’effectif masculin.
Si vous voulez savoir si une féminine a sa place en sport automobile, la réponse est mille fois oui. Si vous voulez savoir si une féminine peut gagner des courses, la réponse est encore oui. Pour cela, tout dépend de la façon dont on s’y prend.
L’objectif avoué de la FIA (c’était clairement écrit dans le communiqué de presse FIA suivant le Conseil Mondial, ndlr), via la FIA Women in Motorsport, est de placer à court terme des féminines en Asian Le Mans Series et European Le Mans Series avec, comme ambition, de voir un équipage féminin sur le podium des 24 Heures du Mans à partir de 2019. On a une première partie du projet avec une LMP3 pilotée par des filles en Asian Le Mans Series sous la supervision de Keiko Ihara, membre de la FIA Women in Motorsport. Vous avez été nombreux à railler la prestation des filles à Fuji avec des chronos très éloignés de ceux des hommes. L’explication est claire. Aucune des deux n’avait réellement l’expérience d’un prototype et encore moins de l’aéro. Une des deux s’est même blessée en sortant de la piste, si bien qu’on est allé cherché une autre féminine qui roulait le même week-end en Mazda MX-5 Cup, soit bien loin d’une Ligier JS P3. Les deux japonaises ont roulé, elles ont rempli leur mission sans se mettre en danger et sans mettre en danger les autres. Peut-être qu’il serait bon de mettre une pilote référence qui connaît le monde de la compétition de haut niveau comme c’était le cas à Fuji. Mettre des filles sans expérience, avec aucun repère, n’a pas vraiment de sens, à part donner du grain à moudre aux sceptiques.
C’est comme si moi demain je disputais une course au volant d’un prototype. J’ai eu la chance de rouler à Lédenon dans une CN face à Timothé Buret. Je découvrais l’auto et le circuit. Au début, j’ai pris une valise (même deux). Puis, en écoutant les conseils de mon coach David Zollinger, j’ai mieux compris l’aéro, mais j’étais toujours loin sans toutefois être liquide au moment de passer le premier gauche à fond.
Le meilleur exemple est Flick Haigh, championne British GT 2018 avec Jonny Adam. La Britannique a énormément appris à partager son volant avec le pilote officiel Aston Martin Racing. Elle a gagné parce qu’elle est douée car tenir en joue un peloton de furieux n’est pas chose facile. Même chose pour l’équipage féminin aux 12 Heures d’Abu Dhabi sous la houlette de Rahel Frey. Ses deux coéquipières ont certainement beaucoup progressé avec une fille qui roule en GT depuis des années. Résultat, un podium de catégorie.
Les Katherine Legge, Christina Nielsen, Inès Taittinger, Beitske Visser, pour ne citer qu’elles, en sont le parfait exemple. Inès Taittinger était moins vite que des hommes au Mans ? Heureusement vu son expérience limitée de la catégorie LMP2 avant d’arriver aux 24 Heures. Combien d’entre nous serions capables de disputer cette course dans un prototype sans avoir une grosse expérience ?
Faire des comparaisons H/F a ses limites. Une fois de plus, le sport auto se démarque. Après la BOP et la catégorisation de pilotes, on met des femmes face à des hommes. Est-ce qu’en foot les femmes jouent contre des hommes ? Non et d’ailleurs elles ne jouent même pas avec des hommes. En patinage artistique, la mixité est de rigueur. Il faut garder les pieds sur terre, on ne va pas créer des dizaines de championnats pour des femmes. La série W doit déjà faire ses débuts sous peu. Quel est l’objectif de tout cela ? Faire rouler des femmes entre elles ? Et ensuite ? Si elles sont suivies et accompagnées pour aller plus haut, alors banco.
Personnellement, j’ai un profond respect pour toutes ces féminines qui travaillent dans un monde d’hommes car elles doivent en entendre des vertes et des pas mûres. Il suffit de lire sur les réseaux sociaux les commentaires suite à la sortie de piste de Sophia Floersch à Macau. Parfois, on en vient à se demander si on ne vit pas encore au XVe siècle.
Est-ce qu’une féminine montera un jour sur le podium des 24 Heures du Mans ? Il faut l’espérer. Pierre Fillon veut s’y employer et c’est tant mieux. On applaudit même des deux mains. Quand vous évoquez Le Mans à Reema Al Juffali, première fille d’Arabie Saoudite à obtenir une licence dans son pays, elle a les yeux qui pétillent. Précisons qu’elle vient de remporter sa première course à Abu Dhabi en Toyota GT86 Cup dès sa première saison de compétition. Sarah Bovy rêve aussi du Mans, tout comme Vicky Piria, Laura Kraihamer, Stephane Kox et bien d’autres. Une fille n’est pas juste bonne pour mettre des photos sur un compte Instagram. Il est tout de même vrai qu’on se perd à connaître le métier de Carmen Jorda.
Aujourd’hui, en l’état actuel des choses, est-ce qu’une fille a l’étoffe de remporter Le Mans ? Je vous laisse seul juge de la réponse. Les filles doivent être reconnues pour leurs qualités derrière un volant et pas uniquement pour une parité H/F. Nous sommes peut-être au début d’une nouvelle ère avec des filles qui seront formées très jeunes, les meilleures d’entre elles seront détectées et elles pourront à leur tour montrer ce qu’elles savent faire dans une voiture de course et coller quelques dixièmes à leurs homologues masculins.
Nous avons questionné il y a quelques jours Juju Noda, la fille du pilote bien connu Hideki Noda. A 12 ans, elle a déjà roulé en Formule 3. Beaucoup voient en elle une jeune prodige du sport auto. Elle aussi nous a confié vouloir participer un jour aux 24 Heures du Mans et son père nous a expliqué qu’il ferait tout pour que sa fille arrive à ses fins. La passion n’est ni masculine, ni féminine, le talent non plus. Comme pour les hommes, il faut que toutes les planètes s’alignent même si c’est certainement plus compliqué pour une fille.
Les filles, ne lâchez rien, vous l’aurez un jour votre podium aux 24 Heures du Mans car l’effort fourni n’a pas de sexe…