Les constructeurs ne sont pas encore arrivés en Formula E que les équipes présentes tirent la sonnette d’alarme afin que les coûts soient bien maîtrisés dans le futur. Ce qui est valable en Formula E l’est dans toutes les disciplines. La question à se poser est de savoir si contrôler les coûts en sport automobile est du domaine du possible. La citation de Napoléon Bonaparte ‘Quand on veut on peut, quand on peut on doit’ prend tout son sens.
“Nous devons contrôler les coûts et la course à l’armement à travers les règles établies par la FIA” a déclaré Vincent Gaillardot, responsable technique chez Renault, à nos confrères de Motorsport.com (lien). “Nous ne voulons pas ouvrir le développement du châssis, de l’aéro et de la batterie.”
Tous les championnats sont touchés par l’escalade des coûts même si on ne peut pas faire rouler une voiture de course pour le même prix qu’en 2005. Tout augmente ! Demandez donc à votre taxe d’habitation ou à votre facture d’autoroute. Réduire les coûts semble compliqué mais tout faire pour éviter de les faire flamber est une question de bon sens. Il en va de la survie du sport. On ne peut pas épuiser les équipes et les pilotes en demandant toujours plus à un moment où l’automobile devient de plus en plus politiquement incorrecte. Faire des économies quand on veut mettre en avant les nouvelles technologies devient en revanche plus compliqué. Souvenez-vous du prix de l’ABS sur les premières voitures routières.
On peut comparer le dossier à la politique. Tout le monde veut sauver le pays, tout le monde a sa propre solution mais dès qu’une ligne bouge, c’est le tollé général. Être promoteur est tout sauf une partie de plaisir. Que le sport automobile coûte de l’argent, ce n’est pas une surprise. Il faut compter plusieurs millions d’euros pour une saison en FIA WEC et un gentleman qui souhaite cumuler Blancpain Endurance/Sprint en se faisant épauler par un pilote professionnel doit débourser environ 800 000 euros. Si vous ramenez cela au salaire d’un footballeur qui tape dans un ballon, vous allez me dire que c’est une goutte d’eau. Plus vous montez les échelons, plus le prix est élevé. Seule la puissante Formule 1 peut se permettre de redistribuer une partie du gâteau. Tout mettre sur le dos des promoteurs serait trop facile car des équipes ont bien saigné leurs gentlemen à demander toujours plus.
La Formula E coûte moins cher que le WEC ? C’est vrai à l’heure actuelle mais on en reparlera dans cinq ans une fois que tous les constructeurs seront bien en place et que chacun voudra prendre le pas sur son voisin et où il faudra dépenser des milliers d’euros pour gagner un millième avec une batterie d’ingénieurs pour le développement. On l’a dit et on le répète, à chaque fois que les constructeurs entrent dans le jeu, les prix augmentent et tout peut vite s’écrouler. Quand vous êtes une équipe privée, vous rusez pour battre votre concurrent à moindre coût. Quand vous êtes un constructeur, vous sortez l’artillerie lourde. On limite le personnel sur les circuits ? Les constructeurs envoient les données à l’usine et cette baisse des coûts est tronquée. On l’a vu en LM P1. Qui aujourd’hui est capable de mettre sur la table au bas mot 200 millions d’euros ? Fournir une auto à des équipes privées n’est plus possible. Nous ne sommes plus à l’époque de la Porsche 956.
A titre d’information, chaque constructeur présent en LM P1 s’acquitte d’un droit d’engagement pour le titre mondial de 360 000 euros contre 310 000 euros en GTE. Le droit de participation au WEC est de 15 000 euros/auto et par épreuve. Quand on sait que le vainqueur de Roland Garros reçoit 2 100 000 euros et que celui des 24 Heures du Mans repart avec 40 000 euros, soit le gain d’un joueur qui passe le premier tour sur la terre battue. Je veux bien croire qu’une raquette de tennis coûte cher mais certainement moins qu’une LM P1 équipée des dernières technologies. N’y voyez tout de même aucune arrogance car compte tenu du coût d’une LM P1, il est impossible de donner un prix en rapport avec l’investissement demandé. De plus, entretenir un circuit comme celui du Mans coûte certainement bien plus cher que plusieurs terrains de tennis.
Connaître le prix exact d’une LM P1 n’est pas facile tout comme savoir combien dépense un constructeur pour un programme P1 car il faut voir ce qu’on y met. Le constat est le même en GTE-Pro. Le cas est différent en LM P2 avec un prix des autos plafonné à 483 000 euros. “Ce n’est pas le châssis qui demande le plus d’investissement mais bien tout ce qu’il y a autour” nous a déclaré un patron d’équipe. Ce prix est sans moteur et sans électronique. Le coût d’exploitation au kilomètre se situe entre 30 et 40 euros, mais sans les pneus, le carburant et l’utilisation du moteur. On frôle les 100 000 euros pour un budget pneumatique à l’année, sans oublier le litre de carburant à 4 euros. On est certes très loin d’un budget de fonctionnement du temps de la splendeur du GT1 du début des années 2010 avec un coût au kilomètre carrément prohibitif, mais ce qui commence à être le cas en GTE.
Moins de diversité au Mans…
Si on fait un bond dans le temps jusqu’en 1977, soit il y a 40 ans, on s’aperçoit que le nombre de châssis au départ des 24 Heures du Mans est en baisse. 29 châssis différents étaient en piste en 1977, contre 28 en 1987, 18 en 1997, 25 en 2007 et seulement 13 en 2017. Le choix se fait rare et les petits constructeurs ont disparu par la force des choses. Créer sa propre voiture pour avoir de la diversité devient quasiment impossible.
Le ‘low cost’ possible…
Allez faire comprendre au spectateur lambda que la GT qu’il va croiser dans la rue est plus puissante que celle qui roule sur circuit. Il est possible de faire rouler des moteurs ‘low cost’ avec une partie du moteur venant de la série. En son temps, Prodrive et Solution F ont fait rouler une Ferrari 550 Maranello ‘low cost’ où la maintenance du moteur était de 10 000 km au lieu de 5000. “On changeait des pièces de série et non de course” nous a déclaré Hugues Baude, directeur technique chez Solution F. “Ce système est d’une simplicité absolue à mettre en place sur tout moteur atmosphérique, mais tout de même un peu plus dur sur un moteur turbocompressé.” Pourquoi dépenser des millions d’euros pour développer un moteur de course quand vous devez faire face à une Balance de Performance ? L’essence du commerce pourrait même être utilisée dans la majorité des voitures.
GT3 et LMP3 contrôlent les coûts…
Depuis quelques années, le marché du GT3 se stabilise avec des coûts qui n’ont pas explosé. Stéphane Ratel, patron de SRO Motorsports Group, se plaît à rappeler que le marché se régule de lui-même, que si vous vendez une GT3 900 000 euros, vous pourrez la laisser au garage. Les équipes ne font donc pas réellement la différence sur le modèle. Il faut donc devancer son voisin de stand sur ce qui est autour de l’auto : travailler les ravitaillements et avoir du matériel de pointe. A mi-saison, un budget pistolet pneumatique est de l’ordre de 50 000 euros entre l’achat et les nombreuses révisions. Il faut acheter le matériel dernier cri pour aller plus vite, entraîner l’équipe et même pour certaines avoir un châssis dédié à l’entraînement aux ravitaillements, sans oublier la préparation physique des mécaniciens. Les tours pour le ravitaillement en carburant ont elles aussi fait monter les coûts, tout comme le nombre de personnes dans les équipes. SRO s’est vite rendu compte de l’escalade des coûts hors de la voiture, d’où l’arrivée l’an passé d’une fenêtre pour les arrêts. Vous avez beau avoir du matériel high tech, vous devez rester un certain temps dans la voie des stands.
La catégorie LM P3 n’échappe pas au contrôle des coûts. Un traction control et quelques chevaux en plus ont bien failli voir le jour mais l’ACO a préféré attendre pour ne pas impacter financièrement les équipes. Judicieuse décision !
Le DPi pour sauver le LM P1 ?
Le FIA WEC a aussi pris le taureau par les cornes pour la catégorie LM P1 en limitant le développement aéro, les essais, le nombre d’heures en soufflerie et le personnel. Il convient de saluer cette idée mais un constructeur trouve toujours le moyen de récupérer d’une autre façon ce qu’on lui enlève durant l’hiver. Il trouve aussi facilement le moyen de partir dès que bon lui semble, mais ça c’est un autre débat. FIA WEC, FIA World RX, Formule 1, FIA WRC, FIA Formula E : limiter les coûts dans ces cinq championnats labellisés FIA dominés par les constructeurs n’est pas chose facile. Une stabilité réglementaire aide aussi à contrôler l’inflation. Pour en revenir au prototype, la solution à court terme passe certainement par le DPi ou LMPi, appelez-ça comme vous voulez. Une implication indirecte du constructeur en faisant rouler son proto par une équipe privée et en faisant du marketing à coût réduit pour ne pas effrayer les Boards des grandes marques. Une Acura ARX-05 ressemble guère à une ORECA 07.
Le GT4 parfait pour débuter en GT…
Si limiter l’augmentation des coûts est possible, diminuer un budget est plus compliqué. Vous allez me dire que la mission est réussie en France avec le GT4. Oui et non car on est passé d’un produit GT3 à un produit GT4. Tous les concurrents sont ravis d’avoir franchi le pas du GT4 mais tous n’ont qu’une phrase à la bouche : attention à ce que les coûts ne s’envolent pas. Audi et Mercedes proposent une GT4 pour 2018. On veut bien croire qu’il faut donner le meilleur produit à ses clients mais boucler un test d’endurance de 30 heures pour une auto d’entrée de gamme faite pour le sprint est-il nécessaire ? Les constructeurs LM P2 ne le font pas. Mettez un Cayman GT4 à côté d’une Mercedes-AMG GT4 et vous comprendrez vite laquelle est la nouveauté. Laurent Gaudin, manager général de la série, Claude Surmont, le Mr BOP de SRO, et Stéphane Ratel veillent au grain car l’inventeur du GT moderne connaît la musique mieux que personne sur le sujet.
Se restaurer pour un prix abordable…
Est-ce que tous ces réceptifs qui servent juste le temps des repas et qui sont vides le reste du temps sont utiles ? Quand vous connaissez l’investissement d’un constructeur sur une semaine mancelle, il y a de quoi s’acheter une belle auto à Pebble Beach. Vous allez me dire que je ne suis pas crédible car je fais partie de ceux qui en profitent. Pourtant, on peut être constructeur LM P1 et ne pas faire dans le bling bling. On en connaît au moins un et c’est parfait ainsi. A contrario, cela fait vivre des gens pour préparer, installer, cuisiner et servir.
Un réceptif commun est moins cher et permet de rapprocher les acteurs. Ce système fonctionne très bien en FIA WEC sur les manches ‘overseas’. En Asian Le Mans Series, je prends l’entrée avec Rémy Brouard, le plat de résistance avec Stewart Cox, le dessert avec Miro Konopka et le café (voire deux, ndlr) avec Marco Cioci. Même chose aux Etats-Unis où tout le monde se retrouve chez Marion sous une immense tente. En janvier dernier, j’ai le souvenir d’avoir longuement discuté tour à tour avec Jack Leconte, Hugues de Chaunac, Jacques Nicolet, Gérard Neveu, Pierre Fillon, Maxime Martin et Olivier Pla. En un repas, vous voyez tout le paddock. Chacun prend son assiette jetable, son gobelet et va se servir. Ce soir-là, je n’ai même pas eu le temps de dîner, je suis reparti avec deux cookies mais avec un tas d’infos. Nous sommes tous là pour faire du sport automobile, pas pour déguster un étoilé Michelin. Chez Marion, vous êtes chez Marion et pas dans le réceptif de l’IMSA.
Des séries qui s’exportent de plus en plus…
Il devient compliqué pour les circuits européens de vivre de la compétition et les championnats s’exilent vers le Qatar ou Bahrain, pour ne citer qu’eux. Les circuits encore neufs pour le sport automobile offrent des facilités aux organisateurs, via des partenaires. A chaque édition des 6 Heures de Bahrain, c’est le même discours. Pourquoi aller au Bahrain, blah blah blah. D’une, c’est certainement le meilleur accueil de la saison, de deux personne n’achète les médias pour dire du bien du pays et de trois les mêmes qui s’offusquent de suivre une course au Bahrain se réjouissent de l’arrivée de Neymar au PSG, club financé par le Qatar. J’ai encore le souvenir de Michael Bartels qui me confiait du temps du World GT1 que cela lui revenait moins cher d’aller rouler à San Luis en Argentine qu’à Portimao au Portugal.
Et Red Bull dans tout ça ?
Est-ce que quelqu’un s’est posé la question de savoir pourquoi Red Bull ne s’est jamais réellement investi en Endurance ? On a entendu dans le passé un possible programme avec Audi, puis Peugeot et enfin Porsche. Au lieu de cela, la boisson qui donne des ailes parvient à réunir des milliers de personnes sur des courses de caisses à savon. Qui aurait cru cela il y a 20 ans ? Réunir des milliers de personnes sur des caisses à deux francs six sous sans le moindre moteur.
L’été est terminé les championnats vont reprendre leurs droits. On va revenir au sport et arrêter les billets d’humeur. Je reste persuadé qu’il est possible de contrôler les coûts mais en revanche je ne crois plus au Père Noël depuis longtemps. Bonne rentrée !