Il y a un an, Max Cohen-Olivar était revenu avec nous sur ses participations aux 24 Heures du Mans pour la rubrique du Club des Pilotes. Fidèle lecteur d’Endurance-Info, le pilote marocain était toujours prêt à parler de sa passion de l’Endurance.
En dehors du Mans, Max a un riche passé en sport-auto, ponctué par de nombreux titres de Champion du Maroc depuis 1962, que ce soit sur Renault-Gordini, sur R5 Maxi Turbo ou BMW, une victoire de classe ponctuée d’une cinquième place au scratch aux 1000 Km de Paris en 1970 sur Porsche 910 et de nombreuses courses en Championnat du Monde des Voitures de Sport avec des Porsche 962, des Chevron, des Lola, entre autres… Il a aussi disputé le Trophée Andros, le Trophée Lamborghini …
Il était présent au Salon Rétromobile (au premier plan, à la gauche de Romain Dumas et Gérard Larrousse sur la photo ci-dessous- pour la remise d’un Trophée à Romain Dumas au nom du Club des Pilotes.
Max, né à Casablanca et franco-marocain, nous a fait part de son sentiment à propos des 24 Heures du Mans :
« Lorsque je pense aux 24 Heures du Mans, des milliers d’émotions m’envahissent et il m’est difficile d’en faire le tri pour les attribuer à telle ou telle édition, après 20 années d’assiduité au Mans, mes souvenirs semblent intemporels.
Ils ont une unité de lieu mais se promènent et se bousculent depuis 1971 , époque où l’on traversait « Maison Blanche » sans ralentisseurs , où l’on passait la Courbe Dunlop sans chicane, où en arrivant vers Indianapolis une voiture en feu obstrue toute la piste et qu’il faut traverser un épais nuage à près de 300 km/h sans savoir ce que l’on va trouver derrière.
Le Mans, c’est aussi la pluie qui ne veut plus s’arrêter dans la nuit, c’est la brume du petit matin qui occulte 200 mètres de route. C’est le coéquipier à qui l’on passe le relais comme si on lui confiait sa propre vie, c’est la peine immense pour tous ceux qui sont restés quelque part sur ces 13,300 km et que l’on ne reverra plus.
C’est encore un rayon de soleil qui vous brûle les yeux fatigués par une nuit de tension, c’est un moteur qui tourne à plein régime sur toute la ligne droite des Hunaudières, sans une fausse note, comme une mélodie qui vous fait traverser l’espace à 100 mètres/seconde, dans un plaisir immense de plénitude.
C’est enfin 16h00, des drapeaux multicolores qui s’agitent, une communion de pensée avec ces commissaires de piste qui vous ont protégés pendant toutes ces 24 heures.
C’est aussi la voix de Jacques Petitjean qui résonne de ses propos vrais et nous réchauffe de son amitié au Club Primagaz en sablant le champagne de l’arrivée.
C’est encore…c’est encore, c’est toute une vie en 24 heures. »
Quels sont vos meilleurs souvenirs des 24 Heures ?
« Ce sont ceux de ma première course, en 1971, avec une Porsche 908, nous étions cinquièmes à quelques heures de la fin, et également ma victoire de classe de en Groupe 5 avec la Lancia Beta Monte-Carlo, avec Jean-Marie Lemerle et Joe Castellano.”
Quelles ont été vos voitures préférées ?
« Ce sont les Porsche, 956 ou 962, nous prenions 365 km/h dans les Hunaudières. J’ai également beaucoup aimé la Cougar Ford de 1988, c’était un plaisir de la piloter à haute vitesse. »
Avez-vous eu des déceptions ?
« La principale déception, c’est la De Tomaso Pantera. Elle était très fragile et peu efficace. »
Quelles ont été vos éditions préférées au Mans ?
« Ce sont toutes les courses disputées sans les chicanes et sans pluie, et bien sûr ma première participation en 1971. J’ai apprécié beaucoup également l’édition 1982 avec la Lancia Beta et j’ai beaucoup aimé aussi mes deux dernières courses en 2000 et en 2001 avec des Porsche 911 du Team Seikel. Nous avons fini troisièmes en GT en 2000 sur une 911 GT3-R avec Michel Neugarten et Anthony Burgess. Seikel, c’était un team très professionnel.”
Avez-vous connu des galères au Mans ?
« Ma seule erreur aux 24H en 20 participations fut avec la Porsche Almeras en 92. Au cours de la nuit, par une pluie battante, je me suis fait dépasser par les trois Peugeot 905 et qui dégageaient un nuage de brume à couper au couteau, il n’y avait plus aucune visibilité. D’habitude, avant la chicane, je freinais au panneau 200m et tout d’un coup j’aperçois le panneau, mais celui des 100m aux abords de la chicane, donc impossible de ralentir la Porsche à la bonne vitesse, je traverse la chicane au milieu et je m’embourbe au centre. A l’époque, les engins ne nous sortaient pas du bac et donc la course était finie pour moi et j’en étais meurtri parce que vraiment l’équipe Alméras, c’étaient des gens super sympa et très compétents. Je me souviens aussi de la course de 1979. Avec Pierre Yver, nous avions roulé toute la nuit et nous n’avions plus assez de combinaisons pour nous changer, elles étaient toutes trempées… »
Quels ont été vos coéquipiers préférés ?
“D’une manière générale tous mes coéquipiers étaient concernés et plus ou moins efficaces. Néanmoins certains m’ont laissé le meilleur souvenir : André Wicky (1971 et 1973), un gentleman, professionnel ; Jean-Marie Lemerle (1980, 1981 et 1982), une amitié solide ; Pierre Yver (1979 et 1986), un authentique passionné des 24 Heures du Mans ; Oscar Larrauri (1983), extrêmement rapide et modeste ; les frères Almeras, Jacques et Jean-Marie (1992), de vrais passionnés et élégants ; Giovanni Lavaggi (1990), charmant et rapide ; Tony Salamin (1991), un ami ; John Sheldon (1989), extrêmement véloce, qui avait été brûlé à 80% en 1984 après la sortie de route de sa Nimrod-Aston Martin qui s’était accrochée avec la voiture sœur dans les Hunaudières.”
Quels pilotes vous ont le plus impressionné ?
« Henri Pescarolo, Gérard Larrousse, Jacky Ickx ou Derek Bell : quand ils vous remontaient avec les gros protos dans la nuit, vous saviez à leur approche que c’était l’un d’eux qui pilotait tant leur trajectoire était appropriée et intelligente. C’était la science des 24 Heures, et autant de victoires à la clef. Bien sûr, également Tom Kristensen, impressionnant…”
Avez-vous des anecdotes particulières ?
« C’était un temps où il m’est arrivé de venir de l’hôtel par la route avec la Porsche 908 jusqu’au parc concurrents, en 1971. Lors des essais aussi, la même année, j’ai voulu régler mon rétroviseur central périscope en plein milieu des Hunaudières et à cette vitesse mon bras gauche a failli s’arracher, j’ai été déporté, j’ai tangenté les glissières et j’ai tout de même réussi à rester sur la piste.
Sur la Lancia LC1, en 1983, une portière s’est envolée dans les Hunaudières, ce qui a créé une dépression immense. En plus les rétroviseurs se desserraient et rouler sans visibilité arrière, c’était un véritable cauchemar.
En 1990, sur la Porsche 962 n°19, une roue avant s’est détachée à la deuxième chicane Ford et j’ai eu la présence d’esprit d’enquiller directement la voie des stands, sinon c’était fini. Egalement, sur la n°19, la même année, nous n’étions que deux pilotes, Kasunori Iketani et moi. Au petit matin, je rentre au stand pour passer le relais et mon copilote ne se présente pas au relais, le manager me dit « Iketani is out of order ». Le règlement m’interdisant de piloter plus de 14 heures sur la même voiture, je ne pouvais donc plus repartir. Heureusement, Tim Davey qui pilotait l’autre Porsche 962 du team est venu prendre le relais sur la n°19 et moi je suis reparti sur la n°20 avec Giovanni Lavaggi. J’ai donc été un des rares pilotes à être classé deux fois dans les mêmes 24 Heures.
Egalement, en 2001, je pilotais la Porsche Seikel, j’assurais un des derniers relais et je soulageais un peu de 200 à 300 tours/minute dans les Hunaudières pour ménager la voiture, car nous allions terminer 12èmes au général. Le Team Manager me demande ce qui se passe, j’explique et il m’ordonne de rester « flat out » ! Voilà un des changements de l’esprit de l’endurance, des moteurs béton. »
Depuis votre dernière course au Mans, l’Endurance a bien évolué. C’est aussi votre avis ?
« La notion d’endurance qui faisait pour moi le charme et l’esprit de la dureté des 24 Heures a disparu en quelque sorte, c’est un autre combat. A l’arrivée, à l’époque, il pouvait y avoir 80% d’abandons. En 1970, seulement sept voitures ont terminé.
Heureusement la notion de danger a pratiquement disparu, c’est un changement fondamental. En dehors de l’accident tragique de l’Aston Martin d’Allan Simonsen, il n’y a pas eu d’accident mortel en course depuis 1986, c’est-à-dire sur 30 ans.”
Vous avez connu les Hunaudières sans les chicanes et avec. Que préférez-vous ?
« J’ai aimé les Hunaudières et la bosse qui existait avant Mulsanne, c’était autre chose, une forme de danger fascinant. C’était ça aussi Le Mans, un monstre qu’il fallait dompter. »
Quels pilotes actuels appréciez-vous ?
« Romain Dumas, Stéphane Sarrazin, ils sont dans la lignée des pilotes du Mans. »
Vous courez encore de temps en temps au Maroc, je crois…
« Oui, j’ai gagné deux courses l’année dernière, en avril et en décembre avec une Funyo 4, dans le cadre du Championnat du Maroc des circuits qui s’est déroulé sur 8 ou 9 épreuves, souvent sur un circuit urbain. »
Vous êtes membre du Club des Pilotes des 24 Heures du Mans. Quel est votre attachement au Club ?
« Avec Gérard Larrousse et Marie-Reine Beaumesnil, le Club est aujourd’hui attachant et efficace. Nous disposons d’installations judicieuses et le dîner Rolex à Mulsanne est un grand moment ! Nous avons accueilli des grandes figures des 24 Heures du Mans. »
Je ne pourrais terminer cet entretien sans parler des commissaires de piste, des véritables Saint-Bernard des pilotes, ils sont impressionnants. Le rôle du Club est également de perpétuer l’histoire de cette immense épreuve automobile. Ainsi quand le philosophe Auguste Comte disait « les morts gouvernent les vivants », il voulait dire par une formule lapidaire que toute civilisation est le fruit du passé et que l’on ne pouvait envisager l’avenir sans se référer au passé. »
Vous retrouverez d’autres photos des participations de Max Cohen Olivar au Mans ici
Remerciements à Laurent Chauveau, Luc Joly, Christian Vignon et Jean-Michel Lefebvre pour leur aide pour l’iconographie.