Remontons à nouveau le temps, jusqu’à l’année 1978. Le 11 juin précisément, Renault Sport, après deux tentatives infructueuses en 1976 et 1977, obtenait son premier succès dans les 24 Heures du Mans grâce à l’Alpine-Renault A442B de Jean-Pierre Jaussaud et Didier Pironi, succès qui allait malheureusement également être le dernier puisque Renault Sport annonçait après la course son retrait des 24 Heures.
L’un des vainqueurs de cette édition, Jean-Pierre Jaussaud -qui allait rééditer sa victoire deux ans plus tard avec Jean Rondeau au volant de la Rondeau-Cosworth M379 aux couleurs du Point et de ITT- a eu la gentillesse de répondre à quelques questions :
Jean-Pierre, vous aviez déjà fait deux podiums au Mans -3ème avec Matra en 1973 et 3ème sur Mirage GR8 en 1975-, espériez-vous toujours une victoire aux 24 Heures ?
« Tu rigoles, non ? Tu parles à un pilote de course qui a toujours envie de gagner. Bien sûr, j’imaginais, j’espérais que j’allais gagner, même si les 24 Heures du Mans, ce n’est pas là-dessus que je comptais le plus. Moi, je voulais être pilote de F1 et être Champion du Monde, c’était ce que je projetais à l’origine. Comme j’étais chez Matra, j’ai été un peu contraint de faire du proto et donc les 24 Heures du Mans. Maintenant, je ne le regrette pas du tout, parce que cela m’a permis de gagner une belle course, ce que je n’avais prévu dans ma carrière. Gagner après avoir fait troisième à deux reprises, c’était quand même bien, c’est ce qui arrive quand on est dans des bonnes autos, il faut être là au bon moment.”
Le championnat du Monde 1978 concernait uniquement les Groupe 5, aussi comment aviez-vous préparé la course avec Alpine ?
« C’était très limite, parce que nous avons roulé une fois au Paul Ricard pour boucler un test d’endurance de 24 heures pour savoir si tout allait tenir. Nous avons également fait des essais de vitesse aux USA, à Columbus dans l’Ohio, sur un énorme circuit de 12 kilomètres avec un anneau de vitesse qui nous permettait de nous rendre compte si on pouvait rester pied au plancher pendant au moins la longueur de la ligne droite des Hunaudières et de voir si le moteur allait tenir en maintenant la pression du turbo à fond.”
Comment avaient été constitués les équipages Alpine-Renault ?
« Je ne sais pas trop. Ce que je sais, c’est que au tout dernier moment je me suis trouvé embarqué avec Didier Pironi. »
Quelle stratégie avait été définie pour les quatre Alpine ?
« La stratégie, c’est simplement qu’il fallait tenir. La seule voiture pour laquelle il y avait un programme, c’était celle de Jean-Pierre Jabouille et de Patrick Depailler, l’A443, la plus rapide, la plus puissante. Nous, on était chargés de suivre.”
Est-ce que Didier Pironi et vous, aviez des consignes de course différentes ?
« Moi, j’avais dit à Didier, ça serait bien de tourner en 3.40, 3.45. On a respecté ce schéma là, ce qui était assez étonnant de la part de Didier qui voulait gagner. Moi, je m’efforçais d’être toujours derrière lui au niveau des temps, comme ça quand il reprenait la voiture, il n’avait pas envie d’aller plus vite pour prouver qu’il était meilleur que moi.”
Est-ce que la fameuse bulle de l’Alpine A442B avait une réelle incidence sur le comportement e la voiture et, si oui, de quelle manière ?
« Avec la bulle, la voiture était plus rapide, d’une dizaine de kilomètres environ. On a voulu la garder mais avec Didier on trouvait que la voiture avait une certaine instabilité, donc on a chargé un peu la voiture en aérodynamique, sur le capot avant je crois, si bien qu’on ne gagnait plus que 5 km/h de vitesse maxi. Par contre, il faisait très chaud dans la voiture, entre 50 et 60°…Mais je supportais ça très, très bien, Didier beaucoup moins. Il a perdu huit kilos pendant la course, alors que je n’en ai perdu que trois. Trois kilos, c’est ce que je perdais également aussi quand je faisais une course en monoplace. »
Par rapport aux autres voitures pilotées préalablement au Mans, notamment la Matra 670B et la Mirage GR8, comment situez-vous l’Alpine-Renault ?
« C’étaient toutes d’excellentes voitures. Bien sûr, j’ai adoré la Matra, avec un bruit moteur fabuleux dont tout le monde se rappelle, la Mirage-Ford, c’était une superbe auto dans laquelle j’avais confiance. Avec ces voitures-là, il n’y avait aucun problème. Chaque modèle avait sa particularité, mais j’étais bien dans toutes. »
Votre Alpine a été constamment dans les premiers de la course. Etait-ce une situation confortable ou stressante?
« Ce n’était pas du tout stressant, parce que avec Didier on avait fait notre programme et on avait dit qu’on verrait ce qui se passerait. On respectait notre stratégie en se disant qu’au bout du compte on ne serait pas loin à l’arrivée et c’est exactement ce qui s’est passé.”
Question bateau, que ressent-on sur le podium des 24 Heures, après la victoire ?
« C’est sympa ! C’est tellement sympa que je me suis effondré et que j’ai pleuré comme une madeleine simplement parce qu’on chantait la Marseillaise sur le podium.
C’est un moment émouvant mais, si tu veux, gagner les 24 Heures, ce n’est pas ma victoire, ni celle de Didier, c’est la victoire d’une équipe. Quand je gagnais en monoplace et que je voyais le premier le drapeau à damiers, j’avais plus l’impression, c’était peut-être un peu égoïste, que c’était ma victoire. En monoplace, c’était toujours plus personnel, même s’il y avait toujours un travail des mécanos avant.”
En 2004, lors du Mans Classic, avec une Alpine-Renault, vous vous êtes retrouvé face à la Porsche 936 de Jürgen Barth. Avez-vous eu l’impression de revivre un peu les 24 Heures 1978 ?
« A chaque fois que je monte dans des voitures d’époque, je me demande comment j’ai pu piloter ça. Ce n’est pas vraiment de la nostalgie, mais je suis étonné d’avoir conduit des voitures aussi bien, aussi vite, et j’étais vraiment très bien dedans. Lors du Mans Classic, quand la 936 est repartie après avoir ravitaillé, Barth est resté au volant et moi je suis reparti après avoir pris le relais de Jean Ragnotti. Je suis reparti à froid, ce qui n’est pas tout à fait pareil. Jürgen Barth a pris de l’avance, je suis revenu sur la Porsche et dans l’avant-dernier tour je l’ai doublé dans la ligne droite en face des stands et ensuite, comme un couillon j’ai regardé dans le rétroviseur pour savoir si Barth était là ou s’il essayait de me repasser, j’ai freiné un peu trop tard en arrivant dans le Tertre Rouge et je suis sorti, en allant toucher les pneus. »
Qui peut le plus peut le moins, vous êtes revenu au Mans en 2008 et en 2010, mais avec la Simca 8 de Evelyne Heisé. Quelles sensations au volant de la Simca ?
« C’était un peu un rappel en arrière. Mon père avait une Simca 5 et quand Evelyne Heisé m’a proposé de courir au Mans Classic parce qu’elle n’avait pas de deuxième pilote, je lui ai dit « d’accord, je vais le faire ». C’était sympa, l’équipe était sympa. Ils ont eu du mal parce qu’ils ont dû acheter cinq voitures pour arriver à en faire une qui puisse courir, et cela leur a coûté beaucoup d’argent, mais c’était très sympa. »
Qui vous a donné le surnom de « Papy » Jaussaud ?
« C’est un peu tout le monde. J’étais chez Tecno à ce moment-là et ça s’est passé à Nogaro. Je crois que ce sont des gars de chez Renault qui m’appelaient Papy Jaussaud et quand je suis arrivé à Nogaro le speaker a dit au micro, et je ne m’y attendais pas « Jaussaud, qu’on appelle Papy, est vraiment papy car il vient d’avoir une petite fille », et c’était vrai ! »