Nous faisons aujourd’hui un saut en arrière de 35 ans grâce à Mike Wilds, membre du Club Britannique des Pilotes des 24 Heures du Mans. Mike Wilds a disputé sept fois les 24 Heures du Mans entre 1981 et 1988. Il a également couru en Formule 1 entre 1974 et 1976. Il nous emmène aujourd’hui dans le cockpit de l’Ecosse C284 #76 qu’il pilotait au Mans en 1984 :
“Ma première visite au Mans en tant que pilote, c’était en 1981, avec une Porsche Kremer 935 K « Baby » et j’ai eu le plaisir de disputer cette magnifique course à sept reprises, ce qui a été pour moi loin d’être suffisant !
Lors de ma troisième venue au Mans, en 1984, je courais pour l’emblématique Ecurie Ecosse à bord de leur délicieuse Ecosse Cosworth DFL C2. Nous avions déjà disputé les 1000 km de Monza et les 1000 km de Silverstone, la voiture était très performante, mais nous n’avons jamais pu exploiter la vitesse maxi de la C2 sur l’un ou l’autre de ces circuits, leurs lignes droites n’étant pas assez longues. Nous sommes arrivés dans la Sarthe en début de semaine, prêts pour la “drôle” journée traditionnelle du contrôle technique de l’ACO (Pesage) et ensuite pour les très attendus essais libres plus tard dans la semaine. On a jugé que je devais faire la première séance d’essais libres à bord de la voiture pour contrôler si tout était OK sur notre machine.
Comme toujours, Ray Mallock avait été méticuleux dans ses préparatifs et ses estimations pour l’épreuve. Si ma mémoire est bonne, il pensait que, avec les rapports de boîte de vitesses que nous avions et avec l’élargissement des pneus à pleine vitesse, nous devrions dépasser les 320 km/h dans la ligne droite des Hunaudières.
Donc, je suis dûment parti pour mon tour d’installation, tout fonctionnait bien, la voiture était fantastique comme toujours, je ne suis pas passé à fond dans les Hunaudières dans ce premier tour, car je montais seulement les différents éléments en température, le moteur, l’huile, les freins, la boîte de vitesses, les pneus, et moi-même !
Après que les mécaniciens ont inspecté la voiture sur la voie des stands, on m’a donné le feu vert pour faire quelques tours rapides. A chaque fois que je pilotais l’Ecosse, je me sentais très bien et à l’aise à son bord. C ‘était comme si je me mettais mes chaussons confortables à la maison, ce qui me permettait d’être totalement détendu quand je pilotais la voiture. A la sortie des stands, j’ai accéléré, le Cosworth DFL poussait vraiment et m’a propulsé sous la passerelle Dunlop ; avec ce splendide V8 qui chantait derrière moi, j’étais tout sourire !
En traversant les Esses et en descendant vers le Tertre Rouge, j’étais très excité de piloter au Mans de nouveau. En entrant dans les Hunaudières, je montais les rapports de la petite Ecosse à 8000 tours/minute en cinquième, je commençai à éprouver l’une des sensations les plus extraordinaires en sport auto, à savoir dévaler à fond les six kilomètres de la magnifique ligne droite vers la Bosse de Mulsanne et, enfin, vers le droite serré du virage de Mulsanne lui-même.
La voiture marchait à merveille alors que je continuais à accélérer le long de la ligne droite. La petite Ecosse était vraiment stable, si stable en fait qu’on pouvait enlever les mains du volant, la voiture restant parfaitement en ligne au fur et à mesure que la vitesse augmentait. Je contrôlais les températures et les pressions alors que le moteur montait dans les tours, à 7000 tours/minute, puis à 7500 et enfin à 8000. L’Ecosse volait et continuait à monter dans les tours, je pensais que je devais être à plus de 320 km/h et j’ai extrêmement heureux quand j’ai vu 8200 tours/minute sur le compte-tours !
C’est alors qu’il y a eu un TRÈS gros bang ! J’étais sous le choc, il y avait un bruit assourdissant dans le cockpit qui était également plein de poussière : je n’ai pas voulu surréagir et provoquer davantage de problèmes donc j’ai gardé le volant bien droit, levé doucement le pied de l’accélérateur et commencé à freiner prudemment pour réduire la vitesse, ne sachant pas ce qui était arrivé à la voiture.
Comme la vitesse diminuait, je commençais à me ressaisir et à inspecter l’intérieur de la voiture. Nous avions encore le volant, les freins fonctionnaient et la voiture était toujours stable… alors, je jetais un coup d’œil à ma droite, il y avait un grand trou où était d’habitude la portière du conducteur !
N’ayant pu essayer la voiture à vitesse maxi au Royaume-Uni avant de partir pour Le Mans, nous n’avions pas vraiment compris l’aérodynamique de la voiture, particulièrement l’augmentation de la pression de l’air dans le cockpit combinée avec l’écoulement de l’air sur la carrosserie. Je peux juste dire, à propos du bang et du changement de pression dans la voiture, que c’était comme si j’avais été dans un gigantesque ballon plein d’air et que quelqu’un le faisait éclater !
Quand je suis revenu, un peu secoué, sur la pitlane, Ray Mallock et sa fantastique équipe de mécaniciens s’affairèrent pour remplacer la portière et à percer des trous dans les vitres pour restreindre l’augmentation de la pression interne. Une fois fait, nous n’avons plus du tout eu d’autres problèmes !
L’Ecosse était une des C2 les plus rapides dans les Hunaudières, aidée par sa très petite surface frontale, nous pouvions tourner régulièrement à des vitesses de près de 350 kmh. Quand on roulait à pleine vitesse, c’était un bon moment pour le pilote : rester tranquille, en profiter, le bout des doigts sur le volant, le pied à fond sur l’accélérateur, la voiture étant totalement stable. La capacité de piloter d’une manière aussi détendue donnait à tous les pilotes de l’Ecosse un répit bienvenu pendant leurs relais. Tout ce que nous avions à faire, c’était de contrôler les températures et les pressions, avoir de temps en temps une conversation à la radio avec les gars sur la pitlane et aussi de regarder les panneaux brandis par les commissaires britanniques qui nous panneautaient systématiquement à chaque tour, ce qui était formidable.
Notre petite voiture était si rapide dans les Hunaudières que, lors d’un tour, je me glissais dans l’arrière de la Porsche 956 Canon de Jonathan Palmer et je le dépassais très lentement à l’approche de la Bosse de Mulsanne. Je peux vous dire que ça ne l’a pas du tout amusé ! Inutile de dire qu’il m’a doublé à la sortie du lent Virage de Mulsanne et qu’il m’a distancé.
J’ai fait quatre fois les 24 Heures du Mans avec l’Ecurie Ecosse et en ai apprécié chaque seconde, mais je n’en ai tristement fini aucune en raison de diverses circonstances. Néanmoins, ce furent sans doute les moments les plus heureux de ma modeste carrière en sport auto.“
Les participations de Mike Wilds au Mans :
1981 : Porsche 935 (Jan Lundghard/Axel Plankenhorn) – Abandon
1982 : De Cadenet-Lola LM-Ford Cosworth (François Duret/Ian Harrower) – Abandon
1984 : Ecosse C284-Ford Cosworth (David Duffield/David Leslie) – Abandon
1985 : Ecosse C285-Ford Cosworh (Ray Mallock/David Leslie) – Abandon
1986 : Ecosse C286-Austin-Rover (Ray Mallock/David Leslie) – Disqualifiée (assistance extérieure)
1987 : Ecosse C286-Ford Cosworth (Les Delano/Andy Petery) – Abandon
1988 : Nissan R88C (Allan Grice/Win Percy) – 14ème
Peu de réussite donc dans la Sarthe pour Mike Wilds, avec une seule arrivée en sept participations, à bord d’une Nissan officielle.
On peut revoir de temps à autre les Ecosse, comme ici lors du Mans Classic 2018.
Merci à Christian Vignon pour les photos.