Cette période de confinement permet de faire différemment, de penser différemment et de vivre différemment. Depuis mi-mars, les relations humaines ne sont plus que virtuelles ou du moins à distance.
Lorsque Claude a initié ce type d’article, je me suis aussi demandé quelle course me venait à l’esprit en premier. Laquelle sortait du lot ? Compte tenu de mon temps passé sur les circuits, cela devrait être assez facile. Finalement, il n’y en a pas. Certaines m’ont fait vibrer, d’autres m’ont fait rêver, mais de là à en sortir une ! Cette fois, j’ai plus envie de mettre l’humain en avant.
Je ne remercierai jamais assez mon père de m’avoir emmené aux 24 Heures du Mans alors que je n’étais qu’un gamin et que tous mes potes d’école ne pensaient qu’au football. Même plusieurs décennies plus tard, je me souviens des trajets vers Le Mans une fois par an le samedi matin de bonne heure. Le petit truc en plus reste gravé dans une mémoire à jamais. Chaque fois que je prends cette route vers Le Mans, c’est la même pensée, ce bond dans le temps. Je pourrais prendre l’autoroute, mais non je garde la route de mon enfance qui respire un brin de nostalgie. Depuis, le temps a passé, mon père n’est plus là pour m’accompagner. Finalement, une course reste une course.
Depuis 2006 et le début de l’aventure Endurance-Info, ces courses se sont enchaînées aux quatre coins du monde avec, à chaque fois, des histoires à raconter. Des histoires humaines qu’on ne peut guère raconter car ces elles se vivent. On peut parler d’un résultat, d’une course en particulier mais personnellement, j’ai toujours préféré l’humain. L’Endurance est une aventure humaine avant tout. Quand vous êtes gosse, vous ne pensez pas à tout ça, vous espérez juste suivre une course, approcher des pilotes. Le temps passe et un jour vous êtes de l’autre côté du grillage. Là, vous regardez les voitures, vous suivez les courses, forcément avec un regard différent. Être à l’intérieur fait que vous voulez tout emmagasiner dans votre cerveau, vous ne voulez pas en rater une miette.
Finalement, pourquoi cette course et pas celle-ci ? Le sport auto m’a fait rencontrer des gens extraordinaires. Il faudrait bien plus d’un article pour raconter toutes les histoires humaines vécues autour du monde. Certes, elles n’ont pas toutes été bonnes, mais on ne retient que les positives et les autres sont vite chassées de votre esprit.
C’est quand on prend le temps de se poser un peu qu’on repense à tout ce qui a été mis en place depuis la création de ce média. Il n’y a pas la moindre routine car chaque expérience est différente, chaque moment est différent et chaque rencontre est différente.
Quand certains vont évoquer les 24 Heures du Mans 1988, 1999, 2008 ou 2016, moi je vais vous parler de mes déplacements au Japon avec Mako et l’histoire du vélo à Kyoto en 2013, trois jours avant de monter sur la plus haute marche du podium à Suzuka, de novembre dernier où on cherchait à quel endroit le loueur avait pu bien laisser les clés de la voiture de loc’ alors qu’on était en pleine nuit à Tokyo et que tout était fermé. Que dire des 10 ans d’Endurance-Info fêtés chez Henri Pescarolo, du déjeuner avec Gérard Larrousse, de la visite au domicile d’André de Cortanze, des bières avec Guy Ligier, des longues discussions avec Yannick Dalmas, de la joie de vivre d’un Guillaume Moreau après avoir frôlé la mort, d’un stage de sport avec les copains Perrodo/Collard. C’est important tout ça, non ?
Il y en a eu des moments émouvants comme à l’arrivée des 12 Heures de Bathurst 2019 avec un Matthieu Vaxiviere qui sait qu’il vient de rater la victoire d’un cheveu ou en février dernier, à l’arrivée de cette même course, dans cette même salle de presse, avec Jules Gounon et Maxime Soulet qui savourent ce succès tant attendu. Que dire des 24 Heures du Mans 2017 avec un Thomas Laurent sur le podium après avoir mené la course ou des 24 Heures de Spa, toujours en 2017, avec une interview de Fred Thalamy, la coupe à la main, qui reste d’une humilité incroyable alors que son équipe et lui viennent de remporter la plus grande course GT du monde. On fait du sport, mais on fait aussi de l’humain.
En écrivant ces lignes, je me dis qu’elles n’intéresseront personne car je suis le seul à avoir vécu tout cela. Ce déplacement complètement fou à San Luis en 2011 avec l’ami Thibaut pour assister au titre d’Hexis Racing avec un tandem Mateu/Dumas, ému comme jamais. La seule fois où nous, journalistes français, avons crié à l’arrivée d’une course comme si la France venait de décrocher l’or olympique, ou encore l’arrivée des 12 Heures de Sebring 2018 avec un Nico Lapierre enfin récompensé d’une belle victoire au général. Un moindre mal quand on connaît le talent et la gentillesse du bonhomme. Et que dire de voir un Olivier Pla sur la plus haute marche du podium de Petit Le Mans après avoir tant rongé son frein ?
Je pourrais aussi revenir sur les déplacements rocambolesques à Baku, les histoires de taxi à six dans la même voiture, la discussion avec Philippe Dumas, tous deux assis dans une chaise de camping à boire du Coca sur les marches du palais présidentiel au beau milieu de la nuit.
Il y a aussi cette histoire des 24 Heures de Spa 2019 où tu te retrouves au petit matin sous une pluie battante assis, là aussi dans une chaise de camping, dans le stand GPX Racing. L’équipe est en tête de la course et personne ne croit à cette victoire qui va pourtant arriver quelques heures plus tard.
Vous me prendriez pour un fou si je vous racontais toutes les histoires rocambolesques avec Eric Gilbert, à Miami et au Mans avec Henri Pescarolo. Et l’histoire de la boîte de Pim’s et du Coca au beau milieu de la nuit en cherchant un hôtel avec Kendy Janclaes et Olivier Beroud… C’est quelque chose qui ne se raconte pas, mais qui se vit, comme notre aventure au Love Hotel au Japon ou la soirée d’Halloween à Los Angeles.
Je ne compte pas non plus les discussions ‘witmeuresques’ à la Pit Brasserie, les discussions à rallonge avec les amis limougeauds Paul, Jean-Luc, Guillaume et Franck, ou encore les déplacements en Asian Le Mans Series qui me font penser à une colonie de vacances qui vit ensemble le temps d’un week-end à l’autre bout de la planète, les discussions à refaire le monde avec les frères Lahaye, François Heriau, Olivier Panis et la famille Abadie. Et l’interview de Vincent Vosse à Laguna Seca dans une Corvette à faire crisser les pneus, on en parle ? Je ne peux pas non plus mettre de côté les week-ends avec Thomas Bastin car il faudrait un volume par an tout comme les discussions avec Romain Dumas.
Donc, si pour vous c’est une course qui sort du lot, pour moi c’est une multitude d’aventures humaines. Je pourrais aussi revenir sur ce mois de janvier 2020 passé en Australie en partie avec l’ami PP : vélo, tennis, sport auto. Là aussi, un tas d’histoires comme la nuit passée à Grong Grong, petite bourgade située au milieu de nulle part où la femme qui tenait l’hôtel demande de ne pas se mettre de parfum le matin pour ne pas laisser d’odeur dans la chambre (!?!?!?!). Des histoires plein la tête, je vous dis.
Quand je vois qu’un Jean-Claude Ruffier, envers qui j’ai une profonde estime, fait encore le pilote à plus de 75 ans au Turkmenistan, je me dis que ces aventures humaines vont continuer une fois sorti de ce “putain de virus” et que la vie va reprendre son cours. Si je sais que je ne vivrai pas la moindre histoire humaine avec Jean Rondeau et Bob Wollek, je peux la vivre par procuration respectivement avec Lucien Monté et Jean-Marc Teissedre avec les souvenirs de ceux qui les ont bien connus.
Une chose est sûre, je veux encore vivre plein d’histoires et souhaitons que la crise que nous traversons puisse remettre les relations humaines en avant. J’attends cette fin de virus pour dîner avec un quintuple vainqueur du Tour de France et ça, c’est une belle histoire.
Bon, c’est bien beau les histoires humaines mais les courses, elles reprennent quand ? Les deux sont indissociables car, sans course, pas d’histoire humaine…