Comme beaucoup de membres de ce forum, la plus belle édition reste la première. Ce n’est guère original mais c’est ainsi.
C’est donc à l’occasion de l’édition de 1972 que je m’y suis rendu pour la première fois. Depuis, je n’en ai pas raté une seule. Je n’avais pas encore 15 ans, collégien à Ancenis (44), là ou enseignait mon grand frère Pierre qui se rendait au Mans depuis 1965 –belle année. Au début du mois d’avril, il me prit à part pour me dire qu’on irait aux 24 Heures si mes résultats scolaires s’amélioraient. Ils en avaient besoin ? J’ai fait ce qu’il fallait pour justifier sa confiance.
Le samedi 10 juin à midi après les cours, on sautait dans sa 2CV chargée pour le week-end. Après un arrêt billetterie à la caravane de l’ACO a Durtal, l’émotion est allée crescendo jusqu’au circuit. Remisage express sur le parking bleu et course vers les enceintes générales face aux stands. Je n’avais pas encore atteint la taille respectable de 1,72 m et je me suis usé la pointe des pieds. Quelle émotion, quelles sensations lorsque les voitures ont été lâchées. Le chant des V12 Matra groupés reste encore présent. Un autre son m’est resté, c’est celui généré par le passage des Corvette. Les vibrations dans le sol, les décibels m’ont fait douter. Allais-je tenir le coup ? Les doutes ont aussitôt été balayés par les mots de JC Laurens annonçant l’arrêt de Beltoise ! Une Matra de moins, en supporter que j’étais d’Henri Pescarolo, les craintes se sont installées. A chaque passage, j’écoutais…. Puis, les choses se sont calmées après le feu de paille Lola. Il nous est vite apparu que les Alfa n’étaient pas dans le coup. En fin d’après-midi, nous sommes allés découvrir la « nouvelle portion » (qui l’est toujours selon la terminologie 48 ans après.
A cette époque, on pratiquait un rituel qui consistait à arpenter les parkings pour y voir les belles voitures avant d’aller pique-niquer à la voiture.
Au retour sur le circuit, nous avons poussé au-delà des enceintes générales vers les “populaires” qui se trouvaient après la courbe Dunlop. J’entends encore la brusque mais courte montée en régime due au léger décollage sous la passerelle. Le passage dans la fête foraine sans y mettre un centime fut une découverte. Le stand des lutteurs de Jackson et son bagout de marchand de bretelles était un régal, même sans y entrer. On a poussé après les « S » du tertre Rouge, jusqu’au virage du même nom qui ouvre sur les Hunaudières où on pouvait entendre le chant des V12 longtemps, longtemps….
Au retour, une longue station devant les stands nous permit de décompter les rideaux fermés ? Eh oui, pas de radio Le Mans, pas d’internet, juste J-C Laurens et son ton que je reconnaîtrais encore.
Nous avons passé une courte nuit dans la 2CV et on s’est retrouvé au petit matin, vers 6 heures, au niveau de l’actuel karting à décompter les présents sur la grille fournie par Le Maine Libre. J’ai encore en mémoire cette vision des voitures émergeant d’un faible brouillard. A cet endroit, on pouvait voir les Capri « lever la patte » gauche, idem pour les Daytona qui semblaient pataudes et pourtant efficaces. Puis nous sommes remontés vers les stands pour un nouveau décompte des rideaux baissés. Vers 9 h, nous étions à la messe à la chapelle (eh oui, cathos de l’Ouest…) lorsque nous avons appris la mort de Jo Bonnier. La passion en prit un coup….
Pui, la pluie s’est invitée à la fête. L’intuition de Graham Hill d’un côté, la poussette de M-C Beaumont sur Howden Ganley en slicks de l’autre, a course était jouée. C’est alors qu’on vit arriver une antique et inattendue 908 sur le podium. Je n’ai plus guère de souvenirs de la fin de course jusqu’à l’arrivée. En pratiquant avisé, mon frère décida de viser directement le paddock plutôt que la piste envahie. Bien lui en prit, cela nous a permis d’être au plus près des pilotes et des voitures. L’initiative fut d’autant plus heureuse qu’en arpentant les coursives derrières les loges surplombant les stands, nous nous retrouvâmes nez à nez avec les vainqueurs !!! Je me souviens parfaitement du clin d’œil que nous adressa Graham Hill. Imaginez le bonheur d’un gosse de 15 ans croisant son pilote préféré vainqueur des 24 H du Mans. Je croyais qu’il était normal de croiser les gagnants comme ça, au détour d’un couloir. J’ai assisté à toutes les éditions depuis, eh bien je ne les ai jamais revus, hélas.
Le retour se fit avec des étoiles plein les yeux, du bruit plein les oreilles avec la furieuse envie de revenir.
Mon cher Pierre, tu as refermé ton parapluie (c’était ton expression) une nuit d’octobre 2016. Devant ton cercueil, j’ai pu te remercier pour cette fantastique initiation. Nous avions partagé bien d’autres éditions après celle de 1972. Maintenant, lorsque je reviens aux 24 Heures, « Le Mans Classic », tu es là. Merci,