Gamin, quand on vous demande quel métier vous voulait faire quand vous serez grand alors que vous êtes déjà passionné de sport automobile, la réponse est : pilote de course. Plus vous grandissez, plus vous comprenez que pour y arriver, il faut des moyens financiers conséquents et du talent. Pour ma part, j’ai vite abdiqué, mais je ne suis pas un journaliste frustré de ne pas avoir pu être pilote. Pilote est un métier, journaliste est un métier, mais le crayon est bien plus facile à tenir qu’un volant sur le circuit. Les crayons, je peux les acheter par paquet de 10, pas les voitures de course.
Pourtant, les propositions de rouler sur circuit se présentent de temps en temps. Deux ans jour pour jour après mon dernier roulage sur circuit en Funyo au Mans, Ligier Automotive me propose de tester la JS2 R et la JS P4 à Magny-Cours. Après avoir essayé toutes les Ligier de la gamme CN, je vais pouvoir continuer mon rôle de “pilote Ligier”. Cette fois, je prends du galon car ma dernière expérience était sur le circuit école de Magny-Cours au volant de la JS53 Evo 2. Cette journée était pour moi le summum avec la visite de Guy Ligier en personne. A la fin du roulage, j’étais un peu penaud en allant le saluer, lui qui était venu uniquement pour me voir tourner. Je roulais déjà avec le casque de mon ami Fred Mako. En ôtant le casque juste avant de serrer la main du créateur de la marque, j’ai eu le droit avec le sourire à un “ah oui je comprends pourquoi ça n’allait pas vite”. Le décor était planté, mais on a fini dans son bureau à discuter et à déguster une bonne bière. Un moment qui restera longtemps gravé dans ma mémoire. C’était il y a 6 ans quasiment jour pour jour.
Place donc à deux journées d’essais à Magny-Cours organisées par Ligier Automotive. En plus d’échanger avec les différents acteurs présents, le plan initial était d’effectuer un baptême en JS P4, ce qui m’allait très bien. Finalement, la JS P4 présente ne dispose que d’un baquet. Ligier Automotive n’ayant peur de rien, je peux passer de passager à pilote. Par chance, la météo est très belle.
Sans être pilote, j’ai toujours voulu essayer une GT équipée d’un toit. J’ai encore en travers de la gorge l’invitation de Vincent Vosse à venir tester une Audi R8 LMS GT3 à Navarra, invitation que j’avais été contraint de décliner à cause d’un clash de date. Là, je vais commencer par la Ligier JS2 R qui fait le bonheur de tous les pilotes qui roulent avec. Digne héritière de la JS2 qui a terminé 2e des 24H du Mans 1975, la JS2 R est la base de la pyramide Ligier. Pour moins de 90 000 euros, vous avez une voiture de course qui développe 330 chevaux (moteur V6 Ford 3.7 litres central arrière) pour 1010 kg.
Cette JS2 R est le grand luxe : parfaite pour les grandes tailles, caméra de recul, système de ventilation, pare-brise chauffant, direction assistée électrique, embrayage ZF bi-disques centrifuge, boîte 6 avec palettes au volant. Son look ne laisse pas indifférent.
Une fois à bord, l’assise fait penser à une voiture de série. Le siège est facilement réglable, les commandes sur le volant sont simples, tout comme les boutons centraux. Pas de superflu dans la JS2 R, juste ce qu’il faut.
Harnais attaché, les consignes sont bien en tête. Regarder devant, mais aussi derrière car je ne suis pas seul en piste. Une JS P217 (LMP2) et des JS P320 (LMP3) roulent en même temps. La dernière fois que j’avais fait le tour du circuit de Magny-Cours, c’était en footing avec l’ami Thomas Bastin. J’espère quand même aller plus vite.
La porte se referme, je suis prêt à partir. Je suis tellement comme dans ma voiture de tous les jours que même au point mort, j’en oublie même de freiner. Avant de partir, j’aurais déjà pu écraser la personne juste devant qui me faisait signe de partir. Le seul incident de parcours… L’embrayage centrifuge est un régal du genre. La JS2 R part tranquillement sans vous brasser comme une CN. Je n’ai pas encore attaqué la piste que je me dis que cette voiture est faite pour moi. J’ai juste oublié de vous dire qu’elle portait le numéro 26 cher à Guy Ligier.
Je ne vais pas vous la faire à l’envers en vous disant que là elle manque de ceci, que là il faudrait ça. Je vous rappelle que je ne suis pas pilote et encore moins essayeur. Je connais les trajectoires, le freinage dégressif, l’anticipation du regard, mais cela ne fait pas de moi un cador de la piste. Rouler avec le casque de Fred Mako et les gants de Guillaume Moreau ne fait pas gagner le moindre dixième. Dans la JS2 R, vous êtes comme à la maison. Cette auto, qui est la base, a tout de même des chronos proches d’une GT4. La JS2 R est douce, facile et ne vous prend jamais en défaut. La boîte de vitesses est un régal et le freinage parfait pour apprendre à taper dans la pédale de gauche.
Ma première série de sept tours n’a pas été digne d’une qualif’ ni même celle d’un Bronze Test. Il fallait appréhender la piste, la voiture, et surveiller ses arrières dans la caméra bien plus pratique que des rétroviseurs. Retour rapide au stand avant d’attaquer une nouvelle série de tours.
Là, il est temps de hausser le rythme. Comme on dit chez moi, “pas là pour écosser les mojettes”. Malheureusement, il y a une sortie dans le bac d’une autre voiture qui a ramené beaucoup de graviers sur le circuit. Arriver à fond (ou presque) à Adelaide avec des graviers sur la trajectoire de freinage m’a donné quelques sueurs froides. Il faut trouver la limite dans le freinage sans partir en toupie. Je peux vous dire que j’ai bien kiffé le passage dans Nürburgring avant d’attaquer le 180°. Allons-y gaiement sur les vibreurs aux virages 12 et 13 avant d’arriver au Château d’Eau.
Pour résumer, cette Ligier JS2 R est parfaite pour débuter. Mettez-m’en une de côté pour moi, donnez-moi un coach et je suis sûr qu’il y a moyen de progresser tant la voiture met en confiance.
Je pensais m’arrêter là, mais Ligier Automotive me propose de tester la JS P4 le lendemain. Deux voitures en deux jours, vous allez voir le vendredi je roule en JS P320, le samedi en JS P217 et aujourd’hui, vous retrouvez mon nom sur la liste des engagés des 24H du Mans. Avec la JS P4, on passe à la vitesse supérieure. On conserve les 330 chevaux, mais pour un poids total de 920 kg. La monocoque est en carbone issue de HP Composites et les règles de sécurité sont identiques à une LMP3. Pour moins de 150 000 euros, vous avez une voiture qui permet de bien appréhender l’aéro.
La position de conduite est plus dans l’esprit prototype. On sent de suite qu’on est dans la catégorie supérieure. A la pause déjeuner, j’ai la piste pour moi tout seul durant 15 minutes. T’es tranquillement assis au volant dans le stand. On me monte des pneus chauds, on met la voiture au sol comme si j’allais partir en qualif’. Et là, t’as juste envie d’ouvrir la porte et de dire : ‘cool les gars, je ne pars pas pour un chrono’. Une fois en piste, on constate vite que la JS P4 est plus bestiale que sa petite soeur. Il y a plus d’aéro, elle va plus vite, mais elle secoue bien moins qu’une CN. Les pilotes vous le disent tous : “pour faire fonctionner l’aéro, il faut aller vite”. J’ai encore en mémoire David Zollinger qui m’avait (gentiment) braillé dessus à Lédenon car je lâchais à l’approche du virage 1 au volant d’une CN. Il fallait juste débrancher le cerveau quelques secondes pour passer à fond et se rendre compte que ça passait “easy”. Avec la JS P4, c’est un peu la même chose dans la Grande Courbe. N’étant pas pilote, il faut comprendre où est la limite à ne pas dépasser pour ne pas se retrouver dans les graviers. Cette JS P4 est aussi facile à appréhender que la JS2 R, mais elle a ce petit truc en plus qui fait que vous êtes dans un prototype. Finalement, quinze minutes, c’est court.
En enfilant la combinaison, j’avais deux objectifs : prendre du plaisir et rester sur la piste. Mission remplie malgré un léger travers dans le 180° parfaitement contrôlé, certainement plus par l’agilité de la JS2 R que par mon pilotage. Sans être pilote, j’en étais à ma 15e voiture de course et pour la première fois, je me suis dis qu’en prenant un pilote pro pour me conseiller et me faire progresser, disputer une course en JS2 R serait possible. Je découvrais le pilotage avec une auto équipée d’un toit et j’avoue que j’ai bien apprécié ce paramètre.
Sur les 15 voitures de courses essayées, pas une sortie, pas une rayure, pas un bac. On m’a dit toujours dit qu’il fallait respecter la mécanique. Dans mon cas, certainement que je la respecte trop. Peu importe… Piloter est un métier et ma mère me croit journaliste…