Non, Frédéric Sausset n’était pas fou…

#84 SRT41 BY OAK RACING (FRA) MORGAN NISSAN INNOVATIVE CAR FREDERIC SAUSSET (FRA) CHRISTOPHE TINSEAU (FRA) JEAN BERNARD BOUVET (FRA)

Avec le temps, on oublie vite les choses. C’est pourquoi il est toujours bon d’aller piocher dans les archives d’Endurance-Info. Début mars 2014, je recevais un mail d’un certain Frédéric Sausset, que je ne connaissais pas du tout, qui me parlait de son envie de piloter aux 24 Heures du Mans. Tout le monde veut rouler au Mans, alors vous pensez qu’un de plus ne fait que rallonger la liste. Pourtant, son mail n’était pas commun.

On va être franc, à la première lecture, je me suis demandé si je ne rêvais pas. Ce Frédéric Sausset me sollicitait pour l’introduire auprès d’Alessandro Zanardi et de Sébastien Loeb afin de leur présenter son projet Le Mans. Rien que ça… Pour couronner le tout, il me fait part de son handicap : amputé des quatre membres. Là, je me dis que le gars est complètement fou et qu’il faut rester sérieux. On parle de participer à la plus grande course d’endurance au monde parmi l’élite du sport automobile mondial. Par chance, il me précise que ce n’est pas pour 2014 mais bien pour dans deux ans. Mais quand même…

Comment une personne, qui n’a pas disputé la moindre compétition, pourrait se retrouver au départ des 24 Heures du Mans deux ans plus tard ? No way ! Impossible ! C’est un peu comme si moi je me disais qu’après avoir testé une Ligier JS2 R, je me mettais en chantier d’être au Mans en 2023 pour le centenaire. Le gros avantage est que je suis valide, alors pourquoi pas… Mais là ? Cet homme du Loir-et-Cher, quadri-amputé, qui a passé deux mois dans le coma après une mauvaise bactérie qui a fait de sa vie un cauchemar, voulait donc aller au Mans. Ce serait tout de même un sacré pied de nez à la vie.

Le 10 mars 2014, il y a donc 7 ans jour pour jour, j’appelais Frédéric Sausset dans la foulée de son mail pour en savoir plus. Avant, je me demandais comment il pouvait faire pour répondre au téléphone sans bras. Je sais que ma remarque est un peu conne, mais imaginez-vous sans bras. Alors, de là à aller au Mans…

En spectateur aux 24H du Mans 2014. Deux ans plus tard, Frédéric Sausset sera au volant.

Dès les premières minutes, je sens que je ne suis pas face à un hurluberlu qui veut faire parler de lui. “J’ai connu un long combat pour survivre et retrouver un maximum d’autonomie”, nous déclarait Fred Sausset le 10 mars 2014. “Je me suis fixé un projet ambitieux où je veux prouver que je suis plus fort que la maladie. Jamais je n’aurais pu imaginer une telle chose en tant que valide. Je suis passionné de longue date de sport automobile et plus particulièrement des 24 Heures du Mans. Je me suis mis à écrire mon projet tout seul dans mon coin. J’en ai tout de même parlé à Christophe Tinseau, qui est l’un de mes amis. Il est nécessaire de le faire en prototype si j’en ai les capacités. Cela donne un caractère encore plus exceptionnel à mon projet que de le faire en GT. Par la suite, j’ai présenté le projet à Vincent Beaumesnil il y a 8 mois, qui a été séduit et touché. »

Les premiers pas en Audi RS3 sur le Circuit Bugatti

Le ton était donné. Il fallait avoir le niveau et les finances. “Je dois prouver que j’en ai les capacités mais aussi les moyens financiers”, expliquait-il. “Il faut imaginer un système qui me permette de retrouver les sensations de pilotage que je pouvais avoir auparavant. J’ai mis en chantier un système qui était quelque peu archaïque au début. Il a fallu trouver une auto pour le tester. Le choix s’est porté sur une Audi RS3 où j’ai effectué un test sur le Bugatti fin 2012. Les premiers résultats ont été prometteurs, ce qui m’a donné envie de poursuivre. Sur le Bugatti, j’ai tourné à trois secondes de Christophe Tinseau.”

La présentation fin mars 2014 au Mans en présence de Sébastien Loeb

Vous l’aurez compris, l’objectif était aussi d’être une vitrine pour le handicap : “J’ai bâti un budget prévisionnel. J’ai bien conscience que je n’ai pas de passé en compétition. C’est pourquoi j’ai voulu que Christophe Tinseau soit honnête avec moi et qu’il ne pas me laisser croire quelque chose d’inatteignable. Derrière ce projet, il y a aussi un vrai message fort car 5% des gens non-valides se battent. Je veux redonner de l’espoir et faire rêver les gens. Je souhaite me confronter aux valides et ne pas prendre le handicap comme quelque chose qui fait peur.”

La 1ère sortie en Ligier CN à Magny-Cours

Le 31 mars 2014, Sébastien Loeb était bien présent au Mans pour la présentation du projet. La suite, on la connaît. Après une formation en Ligier CN puis en LMP3, le programme s’est poursuivi en Morgan LMP2 jusqu’au Mans dans le cadre du Garage 56. Frédéric Sausset, bien secondé par Christophe Tinseau et Jean-Bernard Bouvet, était au départ des 24 Heures du Mans 2016, deux ans après le lancement de son projet. Et c’est lui qui a franchi la ligne d’arrivée.

2015, l’heure de boucler un tour du grand circuit du Mans en marge des 24H du Mans

En août 2021, Frédéric Sausset sera de retour au Mans, cette fois avec un autre rôle. La Filière Frédéric Sausset by SRT41 fera rouler deux pilotes non valides aux 24 Heures du Mans dans un prototype LMP2 fermé. Déjà en 2014, ce rêve de filière était dans un coin de sa tête : “Le deuxième volet sera d’avoir une structure pour faire rouler une auto pour des personnes ayant un handicap.”

Octobre 2015, la présentation du projet Le Mans 2016

La vie réserve parfois des belles surprises et ce projet initié en 2014 en est une. TOUS les pilotes qui ont partagé la piste avec Frédéric Sausset au Mans ont souligné ses capacités. En 2016, Audi, Porsche et Toyota se battaient pourtant comme des chiffonniers sur la piste.

Le 3 février 2016, la Morgan roule sur le Circuit Bugatti

La dernière phrase de Frédéric Sausset lors de notre entretien du 10 mars 2014 : “Je ne me considère pas comme handicapé”. Pour ma part, oubliez-moi pour être au départ des 24 Heures du Mans 2023…