Responsable de la compétition-client chez ORECA, Anthony Megevand a connu plusieurs vies aux 24 Heures du Mans : spectateur, journaliste, photographe, attaché de presse. Cet acharné du travail bien fait nous a fait part des ses émotions suite à la 87e édition des 24 Heures du Mans.
Dimanche 16 juin, 15h passé de quelques minutes. Comme les dernières années, je suis seul sur cette pitlane pourtant bondée, déjà. Un peu désorienté. Je suis seul parce que je ne sais pas où aller. Envahi par les émotions. Les émotions de ces dernières 24 heures. Les émotions de ces derniers jours et des dernières semaines. Peut-être même de ces derniers mois. Un châssis ORECA vient de gagner pour la 5èmefois la catégorie LMP2. A écouter certains, cela pourrait être une formalité. C’est tout sauf ça. Des années à attendre. Parce qu’au Mans, rien n’est jamais une formalité. Rien n’est jamais simple. L’histoire est toujours différente. L’émotion aussi. Les émotions.
La première image qui se grave dans mon esprit, ce n’est pas l’Alpine A470 qui passe sous le drapeau à damiers. C’est Nicolas Lapierre, les larmes aux yeux, dans sa voiture. Peu importe sa voiture d’ailleurs. C’est une émotion belle à voir pour un grand champion. Un grand champion qui a parfois eu un parcours semé d’embûches, mais qui vient de montrer qu’il était un maestro. Durant 24 heures, Il a eu deux coéquipiers parfaits. Et une équipe parfaite. Mais c’est bien lui le chef d’orchestre. Bravo.
Il y a cette émotion, palpable, visible. Et il y en a tant d’autres. La joie des uns et des autres. La déception des uns et des autres. Toutes se mélangent parce que tout est une question de perspective. Le succès est une question de perspective. Quelques minutes après, je regarde ce podium. Si haut. Si loin. Si mythique. Un peu plus de 24 heures avant, je remontais cette même pitlane avec Laurie, notre responsable de la com’. J’espérais qu’il y aurait un des nôtres au sommet. C’était une autre émotion. Le bonheur partagé d’être simplement là. Un plaisir simple. De l’envie, de la crainte. Un… mirage.
Sur ce podium donc, outre Nico, se trouvent Loic Duval et François Perrodo, que vous connaissez bien sur EI. Me revient à l’esprit le premier Le Mans de Loic, en 2008. J’avais l’impression que c’était un gamin à l’époque. Le voir de nouveau sur ce podium, après une prestation étincelante, comme c’est souvent le cas lorsqu’il est au Mans, avec ses gamins à lui, c’est… quelque chose. Et que dire de François. Ce podium, il le mérite tellement. Il le voulait tellement. C’est une belle récompense pour un Gentleman qui gagne à être connu. Je profite de cet instant parce que l’aventure LMP2 s’arrête pour lui, et je suis satisfait qu’elle se termine ainsi : mission accomplie. Quel chemin parcouru depuis ses premiers tours sous la pluie avec cette ORECA 07 alors toute jeune en novembre 2016.
Les émotions sont contradictoires. Je croise mon pote Romain Dumas et je suis déçu. Il a gagné au général, en GT, mais jamais le LMP2. On ne l’a jamais gagné « ensemble ». Et j’ai l’impression qu’on n’y arrivera jamais. C’est ce que je lui dis d’ailleurs. Il préfère en sourire. Il faut croire que jamais notre émotion ne sera partagée sur cette course. Quand il a gagné, j’étais de l’autre côté. « Bitter sweet », c’est le terme ? Tout s’enchaîne et la réalité reprend ses droits. Les debriefs, les notes, les questions en suspens malgré la première analyse. Quelques souvenirs déjà. Quelques regrets aussi. Comme cette panne sur la 26, qui change tout. Comme ces ravitaillements sur la 28, qui changent beaucoup de choses aussi.
Lundi 17 juin, 9h passé de quelques minutes. La pitlane est une vraie fourmilière, encore. Mécanos, voitures, camions. Le Mans c’est déjà fini. Et pas tout à fait encore. Les bolides sont devant leur box respectif. Ils attendent. Certains sont abîmés. Blessés presque. Tatoués des 24 Heures en quelque sorte. Certains paraissent épargnés. D’autres rescapés. C’est fou comme ces autos peuvent avoir un petit côté… humain. J’ai le cœur serré pour certaines, qui ont souffert. Je suis soulagé pour d’autres, qui ont traversé un double tour d’horloge – la chaleur, les quelques gouttes de pluie, la nuit, le levé du jour – sans encombre. Oui, il y a de l’émotion. Comme pour un au revoir.
Les missions du jour me ramènent une nouvelle fois à la réalité. Le temps passe à une vitesse folle. Et bientôt me reviennent en mémoire les petits instants. Profiter ne serait-ce qu’une fraction de seconde du sourire de May, ma mi-ange mi-démon, sur la grille de départ. Déguster notre traditionnel café Trottet avec Laurent Mercier. Discuter une petite minute avec Laurent Chauveau. et voir qu’il y a toujours cette passion qui l’anime. Visiter un box avec Captain Caf, notre responsable marketing. Se désaltérer d’une boisson anisée avec Kevin. Déguster les cookies de Vanessa. Gouter les churros de Caramel, notre responsable composite. Churros sans Nutella mais qui redonnent de l’énergie en plein milieu de cette nuit mancelle que je n’ai pas vu passer. Alterner les rires mais aussi les angoisses avec mes camarades du programme LMP2. Ecouter cette musique qui trotte dans ma tête et qui m’aura suivi durant une semaine, en boucle : « Le jour est venu de marcher vers… ». Marcher vers l’objectif. Ne pas s’arrêter, jamais, ni le jour ni la nuit, même fatigué. Essayer de comprendre avant de s’endormir. Flipper à l’idée de penser à ce qui pourrait se passer, ou ne pas se passer… Et puis se laisser bercer par les émotions qui attendent.
Vendredi 21 juin, 13h26. Laurent a accepté mon idée de texte mais j’ai plusieurs jours de retard. La pression n’est toujours pas retombée. La cadence non plus. Dans cet avion qui me transporte vers d’autres horizons, je trouve tout de même un petit moment pour repenser à toutes ces choses d’hier qui resteront demain comme les particularités de cette 87èmeédition. Les anecdotes qu’on se racontera dans quelques mois ou dans quelques années. Et qu’on se dira « on parle comme des vieux ». Je le suis peut-être déjà un peu mais je me dis que les voyages forment la jeunesse. Ça me rend heureux. Suffisamment pour profiter grandement de ce petit moment. Toujours avec la même musique. « Mais pourquoi cours-tu autant… Courir après quoi ? » Après ces émotions. Uniques, personnelles ou souvent partagées. Parce qu’on en a tous besoin, d’émotion(s).