Le Mans 2017 reste probablement encore plus douloureux pour Toyota Motorsport que l’atroce scénario de 2016. A mi-course cette année, Toyota n’avait déjà plus le moindre espoir de pouvoir s’imposer alors que l’équipe avait fait l’effort d’amener trois voitures et non deux. Pascal Vasselon, le directeur technique de Toyota Motorsport, a bien voulu revenir en détails avec nous sur cette incroyable série noire.
Pascal, qu’avez-vous appris de ces 24 Heures 2017 si difficiles pour vous ?
« J’ai lu beaucoup de choses sur nous après ces 24 Heures et je dois dire que dans certains cas, je ne partage pas l’analyse. Ce que ces 24 Heures ne remettent pas en cause, c’est notre méthode de tests sur piste. Elle n’est absolument pas en cause et ce n’est pas en allant nous tester sur d’autres circuits que nous aurions pu éviter ce qu’il nous est arrivé en course. Là ou nous n’avons pas été à la hauteur, c’est principalement sur la gestion de circonstances exceptionnelles que les tests ne peuvent pas révéler. Sur ce point nous devons travailler, c’est évident. Mais je dirai que nous n’avons pas été victimes de notre fiabilité hormis dans le cas de la n°8. Cependant, là encore, ce ne sont pas nos tests en piste qui sont en cause. D’ailleurs, nous continuons de pousser pour diminuer les jours de tests alloués car nous pensons que cela pourrait se faire sans affecter réellement notre niveau global de fiabilité. Et cela irait dans le sens d’une réduction des coûts.
Il faut analyser tout ce qu’il s’est passé très finement car j’ai lu que les voitures hybrides n’étaient pas fiables. Non. Ca n’est pas le cas. Depuis 2012, nous avons montré un niveau général de fiabilité comparable aux voitures conventionnelles. Les problèmes que nous avons connus n’étaient à chaque fois que des pépins techniques isolés, pas des problèmes récurrents que nous n’avions pas su résoudre auparavant.
Si je reviens sur le cas de la n°8 cette année, nous cassons un pignon entre le moteur électrique et le différentiel. Sur cette course, il ne fait que 2.000 km. D’habitude, il en fait 20.000 sans problème. Donc cela révèle un problème interne dans la gestion de la qualité de nos pièces et approvisionnements. Nous avons donc des mesures à prendre afin de nous améliorer dans ce domaine mais cela n’est pas lié à nos procédures de tests. Et cela n’a rien à voir non plus avec la chaleur qui régnait sur le circuit cette année. »
Sébastien Buemi se plaignait à la radio depuis quelques minutes d’un bruit dans la voiture. Si vous aviez pu stopper la voiture un peu plus tôt, auriez-vous pu sauver ce pignon et le moteur ?
« La réponse est non. Il n’y avait rien à faire. Effectivement, Sébastien se plaignait d’un bruit et effectivement, il était sous le coup de la colère lorsque nous l’avons fait arrêter pour résoudre le problème. Nous étions certains qu’il avait raison en disant qu’il entendait un bruit dans le système de freinage. Mais on n’arrête pas une voiture de course qui joue la gagne pour un bruit. Puisqu’il s’agissait d’un problème mécanique et non électrique, aucun capteur ne nous en indiquait la cause. Ca pouvait être causé par un caillou coincé dans l’étrier ou beaucoup d’autres choses. Nous ne pouvions pas lui demander de rentrer et de lui faire perdre du temps à chercher ce que ça pourrait bien être. La voiture jouait la gagne ! Nous devions attendre de savoir ce dont il s’agissait réellement pour pouvoir ensuite intervenir. C’est un principe de base en sport auto. On n’arrête la voiture qu’une fois que l’on connaît le problème, aussi difficile que ce soit émotionnellement pour le pilote, qui entend le bruit et sent que quelque chose ne va pas. Malheureusement, dans notre cas, lorsque le problème s’est concrétisé, c’était irrémédiable et ce même si nous étions passés dans un mode de sauvegarde ou nous ne freinions plus qu’avec les freins mécaniques. »
Revenons ensuite sur le cas de la n°7. La question qui se pose est de comprendre pourquoi Kamui est reparti sur le moteur thermique et non l’électrique qui est votre mode de départ normal ?
« C’est une combinaison de circonstances qui a révélé une faille dans notre système. Mais c’est une faiblesse qui existe depuis 6 ans sur toutes nos voitures et qui n’avait jamais, jamais été mise en avant. Voilà pourquoi je dis que ce sont des circonstances exceptionnelles. Depuis 6 ans, notre embrayage n’est pas prévu pour relancer la voiture puisqu’elle repart en mode électrique. En 6 années de course ou de tests, imaginez le kilométrage que cela représente, jamais nous ne nous sommes retrouvés dans la situation de devoir repartir sur le moteur thermique. Même après une sortie de piste ! Dans le cas de Kamui, il s’est retrouvé dans une situation qui n’est ni une sortie de la pit-lane, ni une sortie de piste ou il repart sur le système électrique. L’erreur est donc que le système électronique a gardé le moteur thermique vivant. Il ne l’a pas coupé. Alors certes on peut se dire que Kamui aurait du y penser lui-même. Mais on ne peut pas lui en vouloir dans une situation de stress aussi importante : un faux-commissaire lui a fait signe de s’élancer et l’équipe lui crie au contraire dans le casque de ne pas y aller ! Comment lui en vouloir de n’avoir pas pensé à couper le moteur ? Imaginez le niveau de pression qu’il endure à ce moment-là !
Et dans ces circonstances hors-normes, il a effectué un départ qui n’est pas dans le manuel. Nous ne pouvons pas l’en blâmer. Les circonstances ont tout simplement été incroyables. Nous disons toujours à nos pilotes : dans le cas ou un système automatique et un commissaire te donnent deux informations contradictoires, tu suis celle qui t’es donnée par le commissaire et non par le système qui peut être en panne. Il nous annonce : le commissaire me fait signe d’y aller. Donc il repart sur le mode normal de la TS050. Ce n’est que parce que nous voyions la file des voitures se reconstituer derrière le feu rouge que nous lui donnons l’ordre de s’arrêter. Mais il est dans la côte du Dunlop et le système ne stoppe pas le moteur thermique. Il repart donc ensuite « à l’ancienne » ce que l’embrayage ne peut supporter. »
Par la suite, durant le tour derrière le safety-car, vous ne pouviez pas détecter le problème et l’affaiblissement qu’avait subi l’embrayage ? Car il casse dès la première accélération sous drapeau vert.
« Aujourd’hui, avec le recul, nous aurions du comprendre ce qu’il se tramait. Il est clair que cette course a mis en exergue des faiblesses sur lesquelles nous allons devoir travailler. Nous voulons une voiture qui puisse se maintenir d’elle-même dans le domaine de fonctionnement normal pour lequel elle est prévue. On nous reproche de ne pas avoir fait un embrayage suffisamment costaud. Mais encore une fois, il n’est pas prévu pour ce type de charge ! A nous de faire en sorte qu’il ne puisse pas sortir de son fonctionnement nominal. Si nous surdimensionnons toutes nos pièces, nous créons un panzer ! Une voiture de course est toujours optimisée sur le plan du poids. Nos suspensions sont dimensionnées pour tenir aux charges imposées par les chicanes du Mans et le raidillon de Spa, pas pour supporter le double de cette charge. Pourquoi ferions-nous autrement pour l’embrayage ? Il a du supporter une charge qu’il n’avait jamais vue en 6 années. Ce sont donc bien des circonstances exceptionnelles que nous n’avons pas anticipées et c’est à nous de faire en sorte, par nos procédures, qu’elles ne se présentent jamais. Il y a une erreur de notre part. Une erreur de troisième niveau mais une erreur. »
L’éternel problème du battement d’aile de papillon qui provoque une tornade…
« En quelque sorte, oui. »
Puis vient le problème de la n°9…
« Oui, une très triste histoire en fait. Lorsque l’on regarde la vidéo en caméra embarquée, on s’aperçoit que Nicolas Lapierre double l’ORECA Manor exactement trois secondes avant le choc ! C’est long trois secondes. Il effectue son lift off exactement 2,2 secondes avant l’impact (lever de pied pour sauver du carburant avant la zone de freinage). Il ne change pas de ligne, ne se rabat pas sur l’ORECA. Nous ne comprenons pas comment le pilote peut accuser Nicolas ! Nous ne comprenons pas ce qu’il a fait ! Nico ne pouvait pas attendre ! Il devait passer.
Par la suite, c’est la pire combinaison d’événements qui puisse être. Dans le contact, l’ORECA touche la jante ARG mais le pneu ne se dégonfle pas immédiatement. En revanche, le capteur de pression est détruit. Lorsqu’il ressort du bac à graviers, Nico annonce à la radio que la voiture semble OK donc en l’absence d’information du capteur de pression, nous pensons que le pneu est en état de marche. La n°9 est notre dernier fer au feu, nous ne pouvons pas lui demander de rentrer à 30 km/h ! Il repart donc à bonne vitesse, 170-180 km/h mais malheureusement, le pneu est bel et bien touché. Il se dégonfle très vite et la bande de roulement explose avant la première chicane. Celle-ci détruit alors l’ARG de la voiture, détruisant au passage le faisceau électrique de la boite. Nous perdons donc le contrôle de la boite de vitesses. Qui se met alors en mode par défaut ce qui a pour effet de monter les rapports automatiquement pour préserver la boite. Et non pas de les descendre car cela casserait les pignons. Dès lors, bloqué en sixième vitesse, le moteur était contraint de tourner très bas dans les tours ce qui a provoqué des défauts d’allumage. Cela explique les flammes vues à la sortie d’Arnage. Ce n’était pas un début d’incendie mais des flammes à l’échappement. Dès que notre moteur thermique tourne au ralenti extrême, notre système implique une activation du moteur électrique pour ramener la voiture. Mais même si on peut parcourir une grande distance juste sur l’électrique, le problème est survenu trop tôt dans ce tour pour que Nico puisse ramener la voiture aux stands. Il lui a manqué 300 mètres !
C’est une combinaison de divers facteurs. Si on en enlève un seul de l’équation, Nicolas peut ramener la voiture aux stands et nous la réparons en une demie-heure… Si le capteur ne lâche pas, nous pouvons immédiatement dire à Nico en fonction de la perte de pression, à quelle vitesse il peut ramener la voiture de manière sûre. Nous savons gérer cela. Nous avons effectué divers tests à diverses vitesses et diverses pressions pour savoir quand le pneu tient et quand il lâche. Nous aurions pu éviter que la situation ne dégénère. Mais nous étions privés d’infos et la n°9 était notre dernier espoir de victoire… »
Il vous faut donc une quatrième voiture ?
« Statistiquement, c’est encore mieux que trois, évidemment… Mais cette mauvaise série ne signifie pas qu’engager une troisième voiture cette année était une erreur. »
Avez-vous déjà décidé d’en engager une troisième l’an prochain ?
« Non, ça n’a pas encore été discuté. »